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si grand crime que de se laisser adorer (1)? L'étiquette passée jadis d'Europe en Orient; adoptée par les souverains de l'Allemagne, quand ils crurent avoir exhumé l'Empire romain; chez elle en Espagne; florissante en France sous Henry III et sous Louis XIV, était de sa nature ombrageuse, despotique et litigieuse. En y consacrant par le fait, dans notre cour, des réformes depuis longtemps préparées par le changement des mœurs générales, des opinions et des idées, Marie-Antoinette avait blessé le fanatisme obstiné des vieilles traditions qui ne voyait le salut de la monarchie que dans la maxime absolue de la forme. En cédant aussi trop à la lettre aux reproches de sa mère qui la gourmandait sur le peu d'attention accordé par elle à ses anciens compatriotes, elle s'était compromise dans la haute société française par la prétention de faire primer sur cette société les princes lorrains.

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Il est des moments où Marie-Antoinette a des paroles de regret pour le silence et pour la retraite. On en aurait à moins, et qui donc n'a eu de ces moments-là? On ne veut cependant pas qu'elle ait pu déplorer à son heure « la destinée cruelle des filles du trône » ; qu'elle ait eu « des instants de noir qu'elle avait peine à secouer » ; et qu'enfin elle eût voulu « se laisser aller et s'écouter vivre » . On ne voit là que des mièvreries indignes de la fille de Marie-Thérèse. Des mièvreries! mais, dans la véritable acception du mot, ce seraient de petites malices, des légèretés d'enfants que veut dire ici mon censeur par l'emploi d'une telle expression pour qualifier des paroles de chagrin et d'ennui? Quant au fond du reproche, je lui en demande pardon, la remarque est injustifiable, lorsqu'on se souvient des tracasseries que Marie-Antoinette,

(1) Voir les Mémoires du Prince de Ligne, si souvent cités. l'adorait sans songer à l'aimer.

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dans l'entier abandon où elle se trouvait, essuyait incessamment en sa propre famille; quand on connait son imagination, tout ardente qu'elle fût, portée à la rêverie; quand on se rappelle la jeune femme s'envolant à son Trianon pour oublier les contraintes du trône, pour se sentir vivre, comme elle disait; pour y étre elle-même; quand on se souvient aussi des termes si pleins de sentiment de ses correspondances de tous les temps avec la princesse de Lamballe, avec la duchesse de Polignac; quand on se rappelle surtout encore les derniers mots romanesques d'une de ses lettres à la duchesse (1), dont on n'a pas la ressource de nier l'authenticité :

« Dans les malheurs qui nous accablent, nous avons besoin de plus de courage que sur un champ de bataille, ou plutôt, à vrai dire, c'en est un réel ici........... Il y a des entraves et des combats continuels à livrer. En vérité, je suis honteuse et indignée du peu d'énergie des honnêtes gens. Une captivité perpétuelle dans une tour isolée sur les bords de la mer serait moins cruelle... »

Mais, objectera-t-on, cette lettre est de l'époque virile et affligée; de tels mots alors n'ont rien qui étonne. Soit. Eh bien retournons à ce Trianon qui lui-même est une démonstration des goûts de la nature et en quelque sorte idylliques de la Reine; relisons quelques lignes de ces correspondances à madame de Lamballe que nous nous étions tout à l'heure abstenu de reproduire, parce qu'elles sont dans toutes les mémoires; de ces lettres de 1774 à 1785, à propos de Trianon, à propos des jeunes filles qu'elles mariaient de concert, et nous retrouverons des traits nombreux de cette vivacité subitement voilée, de ces sourires en quelque sorte mouillés qui attestent les dispositions tendres, rêveuses, mélancoliques même de

(1) 17 mars 1792.

Marie-Antoinette. Voyez par exemple cette lettre si char

mante :

« Je la ferai venir, dit-elle de sa jeune protégée, et sans qu'elle s'en doute, nous saurons toutes ses petites affaires de cœur, nous adoucirons tous ses petits chagrins..... Le bonheur des autres fait du bien partout; mais il semble qu'il en fait encore plus devant la simple nature et loin du bruit où nous sommes condamnées à vivre. »

Et cette autre du 27 novembre 1781, dont M. Ambroise Firmin Didot est l'heureux possesseur :

« Je veux être marraine du premier enfant de la petite Antoinette. J'ai été toute attendrie d'une lettre de sa mère qu'Elisabeth m'a fait voir, car Élisabeth la protége aussi. Je ne crois pas qu'il soit possible d'écrire avec plus de sensibilité et de religion. Il y a dans ces classes-là des vertus cachées, des âmes honnêtes jusqu'à la plus haute vertu chrétienne. Pensons à les savoir distinguer. Je chargerai l'abbé de travailler à en découvrir. "

Toute la correspondance de Trianon est pleine de ces doux épanchements d'une Allemande Française. Plus tard elle trouve des expressions sublimes qui ont encore été critiquées comme faisant trop saillie, comme trop littéraires. Mais quoi de plus beau, quoi de plus vrai et de plus littéraire que sa réponse : « J'en appelle à toutes les mères qui sont ici! » Et le mot à madame de Lamballe? « Ne venez pas vous jeter dans la gueule du tigre. » Il faut cependant bien se résigner à reconnaître que Marie-Antoinette avait trop de caractère pour ne pas s'être fait peu à peu un style style parlé, sensé, ingénieux avec des éclairs touchants ou naïfs en 1774; rêveur, vaporeux même en ses beaux jours contemplatifs de nature et de cœur; plus tard cornélien. Elle avait de rares souvenirs

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littérairement parlant; mais elle les avait pleins de bonheur et d'à-propos. Dans la première période, elle ne se souviendra que par hasard, elle n'aura d'abord que des réminiscences en général toutes féminines et frivoles elle songera aux contes bleus et à Robinson; ensuite elle s'élèvera à Esther, à Athalie, aux opéras de Gluck et aux vers de Métastase. Plus tard, elle aura le langage d'une Reine, qui est mère, qui a lu son histoire romaine, son histoire d'Angleterre et certainement Corneille, qu'admirait Louis XVI, et qu'à la même époque ont dù lire Marie-Antoinette et Charlotte Corday.

que ce

Et qu'on ne nous dise pas ici que nous peignons un fantôme légendaire, que nous satisfaisons à tout prix une manie romanesque; non, nous n n'avons caractérisé qui est vrai, que ce qui est historiquement irrécusable. Où donc en ce que nous avons rappelé est la mièvrerie? Des mièvreries, des naïvetés, des enfantillages, la correspondance de Vienne en fourmille, et il serait d'ailleurs surprenant qu'il n'en fût pas ainsi. Chaque chose en son temps et à sa place. Soyons pratiques et ne mentons pas à la nature. Peignons des êtres vivants dans toutes les conditions de l'humanité, et non pas des statues. Traduisons la vérité comme elle arrive dans le monde des faits avec tous ses caprices et ses hasards, avec ses influences impérieuses et dominatrices comme avec ses causes secondaires, toujours désavouées, toujours puissantes. Personne n'est tout d'une pièce. Marie-Antoinette ne l'était pas, ne le pouvait pas être. Elle était femme, et, comme nous l'avons déjà dit, la plus réellement femme qui ait orné un trône.

Aux portraits qu'en se jouant elle a faits, en 1771, de M. de Provence, du comte et de la comtesse d'Artois (1), on oppose solennellement les lignes qu'on appelle « san

(1) 7 décembre 1771.

glantes », écrites par elle quatre ans après, contre le premier de ces princes, qui « n'a pas les inconvénients de la vivacité et turbulence du comte d'Artois, mais qui à un caractère très-faible joint une marche souterraine et quelquefois très-basse ; qui emploie pour faire ses affaires et avoir de l'argent de petites intrigues dont un particulier honnête rougirait (1) ». Déjà, dès le 21 janvier 72, la Dauphine avait écrit à sa mère :

« Je me suis bien trompée sur ce que je vous ai mandé sur le comte de Provence; il s'est beaucoup déshonoré dans l'affaire de madame de Brancas. Sa femme le suit en tout, mais ce n'est que par peur et par bêtise, étant, comme je le crois, fort malheureuse. Au reste, je vis fort bien avec eux, quoique je me méfie de leur caractère, qui n'est pas aussi sincère que le mien (2).

En bonne conscience, y a-t-il là parité de situation? Est-ce que l'Antoinette de 1772 et de 1775 est et peut être la méme que celle de 71? Son esprit d'observation n'a-t-il pas mûri d'année en année dans cette serre chaude de la Cour, et ce qu'elle avait à dire de Monsieur quand elle l'eut mis à l'épreuve, pouvait-il être ce qu'elle en pensa't et disait au début? Elle a commencé par d'innocentes gaietés, elle finit par des paroles de gourdin. Et, dans ce sens, l'adversaire eût pu citer aussi le passage écrasant de la lettre à madame de Lamballe, lettre tombée de la chevelure de cette princesse, dans le sang, quand elle fut

massacrée :

« Je n'ai pas changé d'avis sur ce dont je vous ai parlé, puisque les choses sont toujours les mêmes. Soyez sûre, ma chère Lamballe, qu'il y a dans ce cœur-là plus d'amour personnel que d'affection pour son frère, et certai

(1) 12 novembre 1775. ARNETH, p. 162.

(2) ARNETH, p. 58.

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