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de cachets; il l'est également pour quelques-uns de ces doubles qu'en dépit des périls du transport, la Reine expédiait par de courageux affidés. Y a-t-il quelque part un danger à courir, soyez assuré qu'il se trouvera vingt dévouements pour un prêts à l'affronter. Les noms de ces généreux messagers sont connus. L'intervention d'un secrétaire de la main se constate surtout aussi dans une lettre de quinze pages de la Reine la moitié est d'elle; le reste trahit une autre plume par quelques nuances, dont une attention soutenue se rend compte. Même encre, du reste; même papier, et la fermeté coulante des caractères exclut l'imitation étudiée d'un croque-notes de hasard. Le fait est évident et acquis. Sans y attacher plus d'importance qu'il ne convient et en faire une règle, il est bon cependant d'être averti.

Louis XVIII, qui, dans sa jeunesse, avait en même temps deux écritures très-différentes, dont j'ai sous les yeux un exemple aussi curieux qu'extraordinaire, délégua son écriture et même sa signature officielle pour l'étranger, dans la dernière année de sa vie, alors que les infirmités lui interdirent le facile usage de la plume. A force de copier une écriture, un secrétaire finit par y mouler la sienne. C'est ainsi que mademoiselle d'Aumale avait pris l'écriture de son illustre patronne, la marquise de Maintenon, et finit par écrire souvent pour elle. Quelques particuliers ont eu aussi ce luxe d'un secrétaire de la main. En dehors du cardinal de Richelieu, l'on pourrait nommer plusieurs ministres de nos jours, plusieurs grandes dames. Tel par exemple croit posséder l'écriture du baron Gérard, le peintre célèbre, qui n'a qu'une imitation due à la calligraphie de sa fidèle élève mademoiselle Godefroid. Les exemples de cette nature se pourraient multiplier à l'infini.

Quant aux signatures, elles ont été moins souvent délé

guées que l'écriture. Henri IV préférait donner des blancs seings à son confident Jacques L'Allier, sieur Du Pin, et ne délégua jamais sa signature, non plus que Louis XIV. Marie-Antoinette délégua la sienne pour toutes les lettres d'étiquette qui allaient à l'étranger. C'étaient les secrétaires des commandements, Beaugeard père et Augeard, qui étaient investis de cette mission de confiance (1).

Cette princesse a dit elle-même, dans une lettre à sa sœur Marie-Christine, que son écriture est facile à imiter; c'est possible, quand on songe à ce qu'il y avait d'artificiel, de lâche et de décousu de mot à mot, de lettre à lettre, de jambage à jambage, dans son écriture. Cependant, à l'exception des faux commis par la femme de Villiers, puis par Rétaux de Villette, dans l'affaire du Collier, faux du reste très-mal exécutés et qui n'ont pu induire en erreur que des aveugles, on ne cite pas des imitations constatées de cette écriture royale, trop étrange, trop nerveuse, ce semble, et trop nuancée pour être facile à contrefaire.

Voilà pour la partie graphique, pour ce qui frappe tout d'abord les yeux; mais il en est d'un monument écrit tout comme d'un tableau. De même que l'aspect d'une peinture trahit à ne s'y pas tromper, aux yeux d'un artiste ou d'un curieux exercé, la pensée, la composition comme le faire de tel ou tel maitre, de même l'étude intime d'une pièce, l'accord du style et de toutes les circonstances qui se rattachent au document, la critique historique et littéraire

(1) Il y a ici une distinction à faire : il est rare que les pièces de détail d'administration intérieure, celles qu'on appelle les De par le Roi, soient signées de la main souveraine. Les minutes ou rapports étaient revêtus de l'approuvé royal autographe, mais certaines pièces d'exécution, certaines pièces comptables portaient une signature non autographe, sous la responsabilité d'un contre-seing ministériel ou de secrétaire des commandements. Louis XIII signait tous ses actes; mais à partir de Louis XIV, les secrétaires de la main remplaçaient le plus ordinairement les souverains sur les brevets.

en un mot, fournissent des éléments de certitude tout aussi concluants, pour ou contre l'authenticité, que l'examen matériel du papier, de l'encre, de l'écriture même. Assurément la physionomie d'une pièce a son éloquence propre, mais la logique des faits mis en rapport avec l'expression et le style, a une valeur aussi considérable. Abordons ce nouveau terrain.

IV

Les recueils publiés à Vienne par M. le chevalier Alfred d'Arneth sont devenus des points de comparaison en dehors desquels les adversaires affectent de ne voir que discordances littéraires et morales, contradictions de faits, vide en matière d'informations.

«En face de la vie réelle, dit résolûment l'un d'eux, la vraie Marie-Antoinette a l'expression forte et grave. Elle sent vivement, et elle écrit de même, soit qu'elle rende sa profonde et inébranlable affection envers sa mère, ou ses propres sentiments maternels (1). »

Oui, sur ces derniers sentiments, le jugement est juste. İl Y a de M. de Lescure un mot déjà remarqué, mot que j'aime et qui porte coup, parce qu'il est vrai : « Marie-Antoinette fut une grande mère (2). » Elle le fut en effet, non pas seulement le jour qu'elle eut à disputer son second Dauphin à d'affreux bourreaux calomniateurs, et qu'elle en appelait d'eux à toutes les mères, mais dès les premiers temps, bien avant le Calvaire, alors qu'elle tenait ses trois enfants sous son aile, alors qu'elle écrivait

(1) Revue des Deux-Mondes, numéro du 15 septembre 1865. Article de M. Geffroy, p. 347 et suivantes.

(2) La vraie Marie-Antoinette, p. 11, 44 et suivantes.

pour madame de Tourzel cette admirable instruction si pleine de tendresse et de sagacité. Quant à l'autre partie du jugement, qui se rapporte aux premières années de Marie-Antoinette en France, n'oublions pas qu'il s'agit de la correspondance de la Dauphine, de la jeune Reine avec l'Impératrice, et qu'on y chercherait en vain cette « profonde et inébranlable affection filiale, dont parle un peu complaisamment le critique. Comment oublier en effet que :

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« Marie-Thérèse, imposante par ses grandes qualités, inspirait aux Archiduchesses plus de crainte et de respect que d'amour? C'est au moins, ajoute madame Campan, dont nous empruntons les paroles, ce que j'ai remarqué dans les sentiments de la Reine pour son auguste mère (1). »

Respect, vénération, culte même, si vous le voulez, mais crainte, et non pas tendresse, voilà ce qu'il eut fallu dire pour être dans le vrai.

La grande âme de l'Impératrice a dominé sa famille et son empire pendant un règne de quarante années qui parcourut avec calme et fermeté une révolution d'éclat et de revers. Sa vivante et austère image plane encore de nos jours, en Autriche, à l'instar d'une sorte de palladium, mais plus imposante que touchante, comme chez nous la figure olympienne de Louis XIV. Malheureusement elle avait fort négligé l'enfance de Marie-Antoinette, sa dernière fille; et ses vives sollicitudes pour cette princesse ne se sont guère éveillées qu'à partir de l'heure où l'enfant fut destinée au trône de France. La souveraine songeait alors avec chaleur, il est vrai, mais un peu tardivement, à payer les dettes de la mère.

(1) Mémoires, t. I, p. 37.

Le 21 avril 1770, jour du départ de la jeune Archiduchesse Dauphine pour la France, Marie-Thérèse lui remit un papier renfermant un règlement à lire tous les mois (1). Ce règlement consistait en sages et minutieuses instructions sur la pieuse division du temps, sur la prière, sur les recueillements religieux, sur le choix scrupuleux dans les lectures, sur le bon exemple à donner de la tenue dans les églises, sur l'examen journalier de conscience. A ces pensées excellentes, bien rendues et appropriées à l'àge tendre de la future Reine, Marie-Thérèse ajoutait, sous forme d'instruction particulière, les plus sages conseils de conduite.

Le 4 mai 1770, l'Impératrice écrivait à Marie-Antoinette une première lettre depuis le départ de l'Archiduchesse, qui bientôt allait arriver à Strasbourg (2). Cette lettre, encore pleine de conseils, disait :

« Madame ma chère fille, vous voilà donc où la Providence vous a destinée de vivre. Si on ne s'arrête que sur le grand établissement, vous êtes la plus heureuse de vos sœurs et de toutes les Princesses. Vous trouverez un père tendre, qui sera en même temps votre ami, si vous le méritez. Ayez en lui toute votre confiance, vous ne risquerez rien. Aimez-le, soyez-lui soumise, tâchez de deviner ses pensées, vous ne sauriez faire assez dans le moment où je vous perds..... Du Dauphin, je ne vous dis rien; vous connoissez ma délicatesse sur ce point. La femme est soumise en tout à son mari, et ne doit avoir aucune occupation que de lui plaire et de faire ses volontés. Le seul vrai bonheur dans ce monde est un heureux mariage; j'en peux parler. Tout dépend de la femme, si elle est complaisante, douce et

amusante.

(1) Maria-Theresia und Marie-Antoinette, seconde édition, p. 1. Toutes les fois que nous mentionnerons ce recueil, il est bien entendu que ce sera toujours d'après la seconde édition.

(2) Cette lettre était en original dans la possession de l'ancien chancelier, M. le duc Pasquier. Elle a été publiée par M. Arneth, p. 6, sur une copie.

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