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morphosa à force de dominer la constitution naturelle de sa main. Elle se fixa en définitive à l'écriture essentiellement bâtarde, si répandue alors en France. Acte de volonté qui est un trait des plus frappants.

Au surplus cette écriture primitive a-t-elle été tracée avec lenteur? Nous ne le pensons pas; il y a là une impossibilité physique; il suffit du premier coup d'œil pour s'en convaincre ; et cette opinion n'est pas seulement la nôtre. La Dauphine a bien pu, par défiance d'elle-même, par peur de sa mère, se montrer lente à prendre la plume, lente à assembler ses phrases, non pas lente à jeter son écriture. J'avoue, de plus, que je ne suis pas de ceux qui trouvent si singulièrement ridicule sa première écriture, parce qu'elle manquait de tenue et de propreté. J'en excepterai la première lettre, celle du 9 juillet 1770, barbouillage. informe, malpropre, impossible comme missive d'une Dauphine à une Impératrice. Les caractères en sont généralement mal formés, les fautes les plus grossières y abondent; on dirait l'œuvre d'un enfant indocile de sept à huit ans. Et cependant, à y bien regarder, on trouve déjà, même dans cette lettre si étrange, des caractères jetés avec une fermeté remarquable. Puis, dans la lettre de l'année suivante, si ferme à tout prendre, on sent, au fond d'une écriture haute, serrée, irrégulière, mauvaise, même grossière, mais qui dessine bien ses effets, on sent germer les rudiments d'une belle et grande écriture à l'instar de celle de nos anciens rois. En brisant les tendances graphiques de la jeune Dauphine, pour la contraindre à un autre type, on lui a fait perdre ce que son type primitif avait de bon et de naturel; en un mot, on lui a donné une écriture artificielle.

La main de la lettre de Parme paraît être celle d'un homme qui de l'abbé de Vermond passa à Marie-Antoinette, lui donna des leçons en France, écrivit sous sa

pect. Tantôt les initiales des deux noms sont de grandes lettres, tantôt de petites. A partir de 75, l'A initial d'Antoinette est toujours minuscule de forme, rarement un peu forcé de grosseur. Les deux signatures du même jour, 12 mai 1788, ne sont pas semblables; à la première, I'M est majuscule, l'a est minuscule. Pas de majuscules du tout à la seconde.

Tantôt l'écriture des signatures est penchée, tantôt elle est droite. Deux d'entre elles offrent une barre ou paraphe au-dessous. Il y en a une très-forte à la signature d'une autre lettre au duc de Choiseul, et où les deux initiales ne sont point majuscules (Isographie).

La première de toutes les signatures des registres de Versailles, celle du mariage, est fort timide; un pâté couronne le J du nom Josèphe. La seconde est moins timide; la troisième l'est moins encore, et l'on ne peut pas se dissimuler que toutes trois ne rentrent dans la physionomie des premiers fac-simile de Vienne. Là s'arrête l'analogie. Enfin on retrouve dans les trois lignes du P. S. de la lettre de Parme, la même physionomie que dans l'écriture des fac-simile des lettres antérieures à 74. Point important et décisif. La lumière était faite pour les lettres viennoises, et il eut été difficile, en présence de tels documents français et parmesan, précis, authentiques, de ne pas admettre que Marie-Antoinette avait eu deux écritures, dont une de 70 à 74, et qu'à partir de cette dernière année, elle avait fait en secret pour changer son écriture les efforts héroïques qu'elle fit pour la musique. La Dauphine avait voulu protéger et protégea en effet, autant qu'elle le put, la réputation de l'Archiduchesse. Persécutée à outrance et tournée en ridicule pour mauvais aspect de son écriture de jeune fille, amalgame bizarre de tous les genres et qui gardait quelque chose du caractère anguleux de l'écriture allemande, elle la méta

le

morphosa à force de dominer la constitution naturelle de sa main. Elle se fixa en définitive à l'écriture essentiellement bâtarde, si répandue alors en France. Acte de volonté qui est un trait des plus frappants.

Au surplus cette écriture primitive a-t-elle été tracée avec lenteur? Nous ne le pensons pas; il y a là une impossibilité physique; il suffit du premier coup d'œil pour s'en convaincre; et cette opinion n'est pas seulement la nôtre. La Dauphine a bien pu, par défiance d'elle-même, par peur de sa mère, se montrer lente à prendre la plume, lente à assembler ses phrases, non pas lente à jeter son écriture. J'avoue, de plus, que je ne suis pas de ceux qui trouvent si singulièrement ridicule sa première écriture, parce qu'elle manquait de tenue et de propreté. J'en excepterai la première lettre, celle du 9 juillet 1770, barbouillage informe, malpropre, impossible comme missive d'une Dauphine à une Impératrice. Les caractères en sont généralement mal formés, les fautes les plus grossières y abondent; on dirait l'œuvre d'un enfant indocile de sept à huit ans. Et cependant, à y bien regarder, on trouve déjà, même dans cette lettre si étrange, des caractères jetés avec une fermeté remarquable. Puis, dans la lettre de l'année suivante, si ferme à tout prendre, on sent, au fond d'une écriture haute, serrée, irrégulière, mauvaise, mėme grossière, mais qui dessine bien ses effets, on sent germer les rudiments d'une belle et grande écriture à l'instar de celle de nos anciens rois. En brisant les tendances graphiques de la jeune Dauphine, pour la contraindre à un autre type, on lui a fait perdre ce que son type primitif avait de bon et de naturel; en un mot, on lui a donné une écriture artificielle.

La main de la lettre de Parme paraît être celle d'un homme qui de l'abbé de Vermond passa à Marie-Antoinette, lui donna des leçons en France, écrivit sous sa

dictée, fit ses copies, fut un secrétaire de la main. Si les minutes ou les transcriptions de lettres de Marie-Antoinette trouvées chez l'abbé, si les deux lettres passées du cartulaire de la maison de La Trémouille aux mains d'un des honorables conservateurs de la Bibliothèque impériale de France, M. Rathery, et dont j'ai reproduit un facsimile, ne sont pas d'une main intermédiaire et autographe de Marie-Antoinette, elles sont de ce secrétaire.

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Résumons en un mot formel la question. Faute de documents autographes de Marie-Antoinette des années 1770 à 1774, soit à notre cour des Comptes, soit à notre Bibliothèque impériale, soit à nos grandes Archives nationales, qui ne possèdent que des pièces d'années postérieures faute de points de comparaison, en un mot, on avait admis jusqu'ici en France pour l'écriture primitive de cette princesse une écriture qui n'était point la sienne. Écrivant mal, elle faisait le plus souvent écrire pour elle, jusqu'au jour où elle se produisit avec sa plume métamorphosée. Tous, tant que nous sommes, nous avions pris le change. J'ai réussi à fournir des éléments de conviction sur ce point, et je m'en applaudis.

Marie-Antoinette, à l'exemple de presque tous les Rois et de quelques Reines de France, avait son secrétaire de la main. Tout le monde sait de reste quelle était la fonction spéciale de cet officier de maison souveraine, imitateur confidentiel, faussaire autorisé, si l'on peut associer de pareils mots. Ainsi Henry IV eut le fameux religionnaire Du Pin, qui reproduisait à s'y méprendre son mouvement de plume et jusqu'à son orthographe et ses fautes. L'homme distingué qui a le plus étudié Catherine de Médicis intus et in cute, est à peu près en mesure d'affirmer que cette défiante princesse n'a point eu de secrétaire de la main ; mais sa longue familiarité avec le seizième siècle le porterait volontiers à croire le contraire de Jeanne d'Albret,

attendu qu'il a maintes fois rencontré des lettres authentiques d'elle qui, à première vue, semblaient être de sa propre main, et dans lesquelles, avec plus d'attention, il avait vu se trahir une imitation habile. Des lettres, même assez familières, de Marie de Médicis à sa sœur Éléonore, duchesse de Mantoue, femme de Vincent I de Gonzague, et qui se voient aux archives de Florence et de Mantoue, attestent que Paul Phélypeaux de Pontchartrain, frère de Phélypeaux d'Herbault, avait la délégation de la main de cette princesse. La Reine Anne avait aussi son secrétaire intime de la main, dont je n'ai pas encore retrouvé le nom. Louis XIII eut d'abord Beaugrand, son ancien maître, qui lui avait enseigné l'écriture, depuis les premiers éléments, jusqu'à lui tracer au crayon des épitres que le jeune Dauphin repassait à la plume. Louis XIV eut deux secrétaires de la main qui affectaient le laisser aller du Roi, et dont le premier, de beaucoup le plus habile, fut le président Rose, si connu à cause du témoignage de Saint-Simon. Louis XV avait au département des affaires étrangères un calligraphe auquel il avait délégué sa main pour ses lettres autographes aux souverains étrangers. Louis XVI, qui aimait à écrire, n'a jamais eu, que je sache, de secrétaire de la main. Mais Marie-Antoinette, harcelée à cause de l'ensemble de sa mauvaise écriture et pressée ensuite par le temps, alors qu'elle se fut mêlée d'affaires, eut le sien, nommé Dessalles, qui, pour cette fonction, se tenait dans l'ombre comme ces sortes d'officiers intimes, et, par la suite, devint en même temps, je crois, professeur des pages. C'était un homme d'esprit original, de caractère ferme, peu soucieux de paraître, et qui avait juste la nature obstinée propre à opérer chez sa souveraine la révolution graphique qu'il a accomplie. Le rôle de cette plume est manifeste pour des lettres des premiers temps, authentiques et revêtues

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