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contracté l'habitude d'écrire on ne peut pas plus lentement. Comme rien de ce qui peut être utile à S. A. R. ne me paroît étranger à mes devoirs, j'assiste souvent à ses écritures, mais j'avoue que c'est l'article sur lequel j'ai le moins gagné (1). »

Lorsque le subtil abbé écrivait ces mots, il était encore à Vienne, que Marie-Antoinette quitta seulement le 21 avril de l'année suivante. Il revint avec elle.

A l'arrivée en France de la jeune Dauphine, madame Campan écrivait d'elle : « Elle savoit parfaitement ce qui lui avoit été enseigné. Sa facilité à apprendre étoit inconcevable, et si tous ses maîtres eussent été aussi instruits et aussi fidèles à leurs devoirs que l'abbé Métastase, qui lui avoit enseigné l'italien, elle auroit atteint le même degré de supériorité dans les autres parties de son éducation. La Reine parloit cette langue avec grâce et facilité, et traduisoit les poëtes les plus difficiles. Elle n'écrivoit pás le françois correctement, mais elle le parloit avec la plus grande aisance, et mettoit même de l'affectation à dire qu'elle ne savoit plus l'allemand (2).

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A Versailles, le mouvement de la Cour prit beaucoup sur son temps; et comme elle aurait rougi, aux yeux de sa nouvelle famille, d'avoir l'air d'être encore en éducation, elle s'adonna d'abord fort peu à l'étude. Elle n'avait jamais eu et n'eut jamais de grands attachements à la lecture, et c'était en vain que sa mère lui demandait un compte écrit de ses lectures historiques; elle ne rendait compte que de peu; et quand elle écrivait, ce n'était le plus souvent, dit-on, que le jour même du courrier (3). De là trop de hâte, de là souvent aussi mauvaise écriture,

(1) ARNETH, P. 360.

(2) Mémoires, t. I, p. 40.

(3) Vermond dans ARNETH, p. 369. Année 1770.

mauvaise orthographe. Aussi Marie-Thérèse lui écrivaitelle, le 10 février 1771: « Je dois vous relever que le caractère de vos lettres est tous les jours plus mauvais et moins correct. Depuis dix mois, vous auriez dû vous perfectionner. J'étois un peu humiliée en voyant courir par plusieurs mains, celles des dames que vous leur avez écrites (1). » Au mois d'octobre de la même année, pareils reproches : « Vous perdrez tous vos soins, lui disait-elle, si vous prenez la plume à la main : ni le caractère ni la diction [ne] préviendront pour vous (2). »

Marie-Antoinette avait donc, de 70 à 73, une mauvaise écriture suivant sa mère et suivant Vermond. Elle n'en eut d'ailleurs jamais une bonne en aucun temps. L'écriture constatée de 74 à 93 est lâche, mauvaise, bien qu'assez régulière et lisible; véritable écriture d'allumette, non de plume; des jambages jetés séparément, jamais une liaison. Et c'est là précisément ce qui criait en face des fac-simile viennois de lettres des quatre premières années, où tous les caractères sont serrés et liés comme dans l'écriture la plus rapide. Or Vermond vient de nous dire que Marie-Antoinette avait contracté l'habitude d'écrire on ne peut plus lentement.

Aussi les premiers fac-simile viennois excitèrent-ils à Paris un étonnement universel, et l'exclamation contraire à l'authenticité des originaux fut-elle tout d'abord unanime chez les hommes du métier, qui ne pouvaient comprendre que de ces rudiments de 1770 à 1774, tout gradués qu'on eût pris soin de les produire, sortit un jour l'écriture connue de la Reine. La femme n'était point là dans l'enfant. Que la première enfance, dont la plume est conduite par un maître, imite et ne soit pas elle-même, cela se com

(1) ARNETH, p. 25. (2) ARNETH, p. 53.

prend; mais abandonnez la main de la jeunesse à sa propre allure, le naturel reviendra au galop au bout de la plume, résultat chez chacun de nous de notre organisation musculaire et nerveuse, de notre tempérament. Or, Marie-Antoinette n'en était plus alors aux premiers temps de la salle d'étude, elle était mariée, elle était Dauphine de France. En 1774 elle avait dix-neuf ans. Pour changer son écriture du tout au tout et maintenir le changement, il faut un je ne sais quoi de plus qu'une volonté de fer. Cette volonté, Marie-Antoinette l'avait-elle eue, et pourquoi l'eût-elle eue? Comment, en un mot, aurait éclaté tout à coup, après son avénement, après l'écriture des documents allemands de 70 à 74, cette écriture sui generis, si différente de physionomie, et qui ne changea plus? Comment, après avoir eu des habitudes contractées, après avoir affecté des F glissant avec facilité, des D toujours italiens, c'est-à-dire composés d'un O et d'un jambage de T, des R de coulée, serait-elle tout à coup et comme par enchantement passée aux doubles F si nerveux et comme fébriles, à ces R de bâtarde, à ces P aussi de bâtarde, enfin à ces D encore de bâtarde jetés d'un seul coup et bouclés si curieusement, sans que jamais une seule fois en près de vingt ans la facture des lettres anciennes revint sous sa main, si ce n'est çà et là en imperceptibles éclairs? Comparez en effet, dans les facsimile Arneth, la lettre du 21 septembre 1773 à celle du 17 décembre 1774, le contraste est-il assez saillant?

C'est radicalement invraisemblable, répétait-on. Mais le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable, et si une première impression d'instinct a son prix, il faut néanmoins, en matière d'expertise, s'en méfier. Aussi mes amis et moi crùmes-nous devoir suspendre notre opinion jusqu'à plus ample informé. Pour mon compte, j'aime à voir et à toucher, et j'aurais désiré voir et toucher les

pièces authentiques reproduites dans le recueil viennois. En attendant, instruit de l'existence d'une lettre originale de Marie-Antoinette à Parme, celle du mois d'avril 1770, transcrite plus haut, j'en demandai un fac-simile. J'eus l'idée aussi de relever aux registres de l'état civil de Versailles tout ce qui pouvait s'y trouver de signatures de la Reine, et particulièrement celle de son acte de mariage. La moisson fut abondante. Outre cette dernière, qui est écrite de tous ses noms :

1° Marie-Antoinette-Josephe-Janne (sic), j'en trouvai dix-huit autres;

2° Une du 14 mai 1771, ainsi formulée: Marie-Antoinette-Josephe-Jeanne;

3° Une du 4 septembre de la même année, écrite seulement Marie-Antoinette.

A partir de cette époque, la signature est toujours de ces deux noms seuls. En voici les dates :

4o, 5o et 6° 11 mars, 23 mai, 16 novembre 1773;

7° et 8° 6 et 21 août 1775; la première est sur l'acte d'ondoiement du duc d'Angoulême;

9° 5 août 1776;

10°, 11° et 12° -24 janvier 1778; 25 mars 1779; deux signatures à cette dernière et même date;

13° 28 septembre 1783;

14° -17 mai 1785. Acte de baptême du duc d'Enghien; 15° et 16° 28 août 1785. Deux signatures du méme jour pour le baptême du duc d'Angoulême et du duc de Berry ;

17° et 18° 12 mai 1788. Deux signatures du même jour pour le baptême de Louis-Philippe d'Orléans et du duc de Montpensier;

19° 19 avril 1789. Acte de baptême de Madame Adélaïde d'Orléans.

Toutes ces signatures sont d'une grande variété d'as

pect. Tantôt les initiales des deux noms sont de grandes lettres, tantôt de petites. A partir de 75, l'A initial d'Antoinette est toujours minuscule de forme, rarement un peu forcé de grosseur. Les deux signatures du même jour, 12 mai 1788, ne sont pas semblables; à la première, I'M est majuscule, l'a est minuscule. Pas de majuscules du tout à la seconde.

Tantôt l'écriture des signatures est penchée, tantôt elle est droite. Deux d'entre elles offrent une barre ou paraphe au-dessous. Il y en a une très-forte à la signature d'une autre lettre au duc de Choiseul, et où les deux initiales ne sont point majuscules (Isographie).

La première de toutes les signatures des registres de Versailles, celle du mariage, est fort timide; un pâté couronne le J du nom Josèphe. La seconde est moins timide; la troisième l'est moins encore, et l'on ne peut pas se dissimuler que toutes trois ne rentrent dans la physionomie des premiers fac-simile de Vienne. Là s'arrête l'analogie.

Enfin on retrouve dans les trois lignes du P. S. de la lettre de Parme, la même physionomie que dans l'écriture des fac-simile des lettres antérieures à 74. Point important et décisif. La lumière était faite pour les lettres viennoises, et il eût été difficile, en présence de tels documents français et parmesan, précis, authentiques, de ne pas admettre que Marie-Antoinette avait eu deux écritures, dont une de 70 à 74, et qu'à partir de cette dernière année, elle avait fait en secret pour changer son écriture les efforts héroïques qu'elle fit pour la musique. La Dauphine avait voulu protéger et protégea en effet, autant qu'elle le put, la réputation de l'Archiduchesse. Persécutée à outrance et tournée en ridicule pour le mauvais aspect de son écriture de jeune fille, amalgame bizarre de tous les genres et qui gardait quelque chose du caractère anguleux de l'écriture allemande, elle la méta

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