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III

La question de la nature et du format du papier n'est pas, chez le professeur de Bonn, un détail bien péremptoirement traité. Que les filigranes ou marques et les pontuseaux, que les grandeurs en aient différé, en quoi cela peut-il importer dans l'espèce? Si les lettres déposées à Vienne sont sur papier in-octavo, autrement dit papier poulet, comme les lettres à Mercy, page 228 de mon tome II, et à madame de Polignac, tome III, page 303, desquelles j'ai donné des fac-simile; si elles sont toutes dorées sur tranche, comme on l'a prétendu (à tort du reste), tandis que beaucoup de lettres des collections françaises ne seraient pas uniquement sur papier poulet, mais aussi parfois sur papier in-quarto, sans étre toujours dorées, qu'est-ce que cela prouve encore? Serait-il raisonnable de prétendre que la Reine ait eu invariablement toute sa vie une papeterie uniforme? Il y a des modes pour ce genre de détail comme pour toute autre chose, et l'on pourrait même dire que l'uniformité serait plutôt une raison de conclure à l'inverse de mon censeur. Il est évident par tout ce qu'on possède de Marie-Antoinette et de Louis XVI, qu'ils avaient en même temps des papiers de tout format et de fabriques diverses, dorés ou non dorés, car (abstraction faite des pièces que l'on possède en France) si la Reine avait écrit sur petit papier à sa mère les lettres viennoises, elle usait indistinctement de grand ou de petit format, doré ou non doré, pour la Landgravine Louise de Darmstadt. L'adversaire allemand est bien forcé de le reconnaitre lui-même. Les lettres et notes de Louis XVI sont innombrables et sur papier de toute dimension. Il en était ainsi avant son avénement; mais immédiatement après, toutes ses lettres écrites de la

Muette sont sur in-quarto, et plus tard elles reprennent leur variété.

L'usage en France était alors, dans le grand monde et à la Cour, d'employer du papier vergé de Hollande ou façon de Hollande, d'aspect peu coquet, mais de pâte solide et ferme, fin quelquefois, plus généralement fort, et dont la tradition excellente va se perdant tous les jours. Ce papier était plus rarement cylindré sous le règne de Louis XVI que du temps des talons rouges, courtisans de Louis XV. Et cependant, sous le premier, les élégantes de cour avaient aussi du papier de luxe glacé, festonné, à vignettes de couleur, obtenues probablement au moyen de ponsifs. Les papiers timbrés Konig, Zoonen, Blauw ou Van der Ley, les papiers fleurdelisés d'Annonay étaient les plus en vogue. Il n'est pas un archiviste, pas un homme du métier qui ne soit au courant de ce fait. Il n'en est pas non plus qui ne sache qu'on avait également introduit des papiers allemands depuis la Dauphine saxonne, mère de Louis XVI, et en même temps des papiers de façon anglaise, sinon réellement anglais, à la marque G. R. d'un côté, et aux armes de la Grande-Bretagne de l'autre, comme parurent plus récemment le papier Whatman, et cet affreux papier Weynen qui heureusement a disparu. Il n'en est pas enfin qui puisse ignorer que, vers 1780, les frères Matthieu Johannot, dont un ancêtre avait porté en Allemagne de belles fabriques de papier, après la révocation de l'édit de Nantes, avaient fait sortir de leurs manufactures d'Annonay, pour l'usage de la librairie, des cabinets et des bonheurs du jour, des papiers vélins. Aussi, à partir de 1785, commence-t-on à trouver des lettres de Marie-Antoinette écrites sur cette sorte de papier. Je n'avais nulle raison de me préoccuper de cette remarque, alors que je relevais les lettres de cette princesse aux archives de Vienne; mais le fait de la variété de fabrication du papier

employé par elle et par Louis XVI, à la même date, est si constant en France, que je ne doute pas qu'il n'en ait été de même pour ce qu'on possède en Autriche.

Quant au papier de deuil, il n'était point usité en France avant le règne de Louis XVI, et l'on n'en trouverait pas un seul exemple dans toute notre ancienne monarchie, antérieurement à l'avénement de Marie-Antoinette. Ce fut cette princesse qui introduisit cette nouveauté, à l'imitation de sa mère, laquelle, depuis son veuvage, n'employait que du papier à lettre largement bordé de noir. Mais comme nos papeteries n'y étaient pas encore dressées, on eut recours, au début, à une ressource sommaire : au lieu d'employer pour cette bordure, comme on le faisait depuis longtemps en Allemagne, une préparation de noir, appelée husch, analogue à l'encre de Chine, on noircit à l'encre ordinaire la tranche du papier, en même temps qu'on essaya de le border à la main d'un léger liséré d'encre. Affaire d'huissier de la chambre ou de quelque garçon bleu. De là ces lettres des premiers mois de l'avénement de Louis XVI, écrites de la Muette ou de Marly, souvent pleines de bavures noires ou rongées et comme corrodées par l'excès de l'oxyde vieilli. Mais c'en est trop sur un si mesquin détail, dont l'adversaire a eu le tort de s'occuper sans s'être rendu compte à l'avance de l'usage français.

La question de l'écriture n'est pas aussi facile à trancher qu'on le suppose, et les lettres ne fussent-elles pas toujours d'une identité graphique absolue, ce ne serait une raison pour qu'elles ne fussent point authentiques; on en verra plus bas le motif.

pas

Dans tous les cas, animé du désir de pousser à ce sujet l'enquête aussi loin que possible, j'ai voulu m'éclairer des lumières des hommes du métier les plus compétents. Et

TOME IV.

d'abord, un fait évident, indiscutable, c'est que MarieAntoinette, à partir de l'année 1774, avait une écriture fixée, qui se soutint constamment la même jusqu'à sa mort. La preuve en est, pour nous appuyer uniquement sur les documents viennois, que les caractères du fac-simile d'une lettre du 17 décembre 1774, fourni par M. d'Arneth, sont identiquement les mêmes que ceux des derniers billets écrits par cette princesse dans la prison du Temple, au courageux baron de Jarjayes; qu'ils sont les mêmes que ceux de sa dernière lettre à Madame Élisabeth, testament écrit en 93, tout près de l'échafaud. Que tantôt, dans l'intervalle, l'écriture ait été plus serrée ou plus lâche, tantôt plus droite ou plus penchée, plus grosse ou plus fine, dans telle ou telle circonstance, peu importe (exemple: les fac-simile du 17 décembre 1774, de février 1775 et d'avril 1777 :- Recueil Arneth). La différence de plume, la variété des impressions morales et physiques sous lesquelles on écrit, changent le mouvement et les effets de main, comme disent les experts; mais, après tout, le fond de l'écriture reste le même, et là est la question entière: base typique, en dehors de laquelle la discussion ne serait que vaine et puérile. L'examen n'était donc à porter que sur les lettres des quatre premières

années.

:

Or, nous avions en présence deux écritures différentes, antithétiques celle de 1770 à 1774, fournie par les documents de Vienne, et celle de 74 à 93, qui est partout. Quelle était la vraie? quelle était la supposée, s'il y avait supposition? Étaient-elles authentiques toutes les deux aux époques correspondantes, bien que l'une d'elles dut ne pas être essentiellement autographe?

Remontons d'abord à l'éducation qu'avait reçue MarieAntoinette avant d'arriver en France, et suivons-la à Versailles.

Quand l'abbé de Vermond, qui avait un si grand intérêt à ramener une Dauphine accomplie, était arrivé à Vienne auprès de la jeune Archiduchesse, il s'était tout d'abord employé à connaître le degré d'instruction où elle était parvenue, et il avait reconnu que la comtesse de Brandis, à qui avait été confiée son enfance, cette femme excellente qui l'aimait beaucoup, l'avait fort gàtée, et ne l'avait génée pour aucune espèce d'obligation. Dans une lettre du 21 janvier 1769 au comte de Mercy, l'abbé écrivait de Vienne qu'on ne pouvait guère dater l'instruction de la Princesse que depuis environ neuf mois qu'elle était sous la direction d'une nouvelle grande maîtresse, la comtesse Marie-Walburge de Lerckenfeld, dont la sévérité lui imposait (1). Il lui manquait alors la facilité d'expression qu'elle acquit si remarquablement dans la suite; mais en somme, et sans s'aveugler sur ce qui pourrait lui manquer encore au temps fixé pour le départ, Vermond se flattait qu'elle ne faudrait en rien d'essentiel, et qu'on la trouverait, à beaucoup d'égards, supérieure à son age (2).

En effet, les progrès furent rapides : « Il lui reste, écrit l'abbé, en octobre 1769, au comte de Mercy, quelques mauvais tours de phrase dont elle se corrigera promptement lorsqu'elle n'entendra plus l'allemand et le mauvais français des personnes qui la servent. Elle ne feroit presque aucune faute d'orthographe, si elle pouvoit se livrer à une attention suivie. Lorsque j'examine ses écritures, je n'ai besoin que de montrer les mots avec le bout de mon crayon, elle reconnoît tout de suite ses méprises. Son caractère d'écriture n'est pas fort bon; le plus fàcheux est qu'un peu par paresse et distraction, un peu aussi, à ce qu'on croit, par la faute de ses maitres d'écriture, elle a

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