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tion en d'autres collections privées, et enfin aboutir à la mienne. Comment s'est-il trouvé dans des ventes publides lettres de Marie-Antoinette détachées des papiers de la famille de Polignac, qui n'en a donné à personne? des lettres de Madame Élisabeth qui eussent dû figurer dans les dossiers du marquis de Raigecourt, si justement jaloux des écrits de sa mère? Comment ont circulé les papiers recueillis par l'abbé de Vermond? Comment le testament de Louis XVI, cette sainte relique, titre de famille pour la France, et dont l'armoire de fer, aux Archives générales de l'État, conserve religieusement le double, était-il allé s'égarer en Hongrie, où je l'ai découvert ou plutôt exhumé? Les lettres originales de MarieAntoinette, absentes de la Bibliothèque particulière de l'Empereur d'Autriche, et que M. d'Arneth a publiées sur les copies, que sont-elles devenues? Une seule est arrivée dans ma collection: il faut bien que les autres soient quelque part. Je ne doute pas qu'elles ne se retrouvent un jour, si déjà elles ne sont dans le cabinet de quelque curieux; mais par quelles obscures coulisses auront-elles passé? je crains fort que ce ne soit toujours un mystère. S'agit-il d'un tableau de maître, l'histoire de l'art en suit la trace de cabinet en cabinet, et le prix considérable qu'on le paye en marque les étapes dans les catalogues. Mais les pérégrinations d'aussi subtils documents que les autographes sont trop fugitives pour que le plus souvent le marchand ne les ignore pas lui-même, dès le moment que ces sortes de feuilles volantes ne sont pas tenues, comme les immeubles, comme les grands colis commerciaux, comme les bijoux et métaux précieux, à être accompagnées de leurs titres de propriété successive, d'acquits à caution et d'enregistrements motivés. Et d'ailleurs, connût-il la généalogie de sa marchandise, un marchand d'autographes, par peur de la concurrence, ne révélerait jamais ses sources et gar

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derait soigneusement pour lui son secret de métier, toute légitime que fut sa possession. Demandez donc à un libraire le nom à inscrire sur le catalogue d'une bibliothèque anonyme ou pseudonyme! A coup sûr, il le refusera. Les curieux font des questions sur des noms qu'il serait souvent plus qu'indiscret de révéler. Tel personnage vous ouvrira son cabinet ou son cartulaire, qui mettra pour condition de n'être point nommé, soit pudeur de la publicité, soit désir de s'épargner l'importunité des demandes. Tel a été le cas pour un petit nombre des pièces de mon recueil, que j'ai copiées, du reste, sur les originaux. Ailleurs, de beaux documents proviendront d'une famille insouciante ou pauvre qui vend ses papiers, l'exemple n'est pas très-rare, le secret du nom n'est pas notre secret. Au fond, dès le moment qu'on montre les pièces et qu'on en administre les preuves d'authenticité, les demandes au delà sont, je le soupçonne, beaucoup plus curiosité pure qu'amour brûlant de l'histoire et dévouement paléographique.

et

J'ai eu le soin d'indiquer en tête de chaque lettre la source où je l'ai puisée. Que pouvais-je faire de mieux ? Les quatre-vingt-quinze centièmes des pièces que j'imprime ont été tirées des Archives officielles de Vienne, de Moscou, de Stockholm, de Darmstadt, de Paris. Le riche cartulaire de Mgr l'Archiduc Albert d'Autriche m'a fourni des trésors. Les nobles familles de Gramont, de Fitz-James, de Polignac, de Bouillé, d'Amelot de Chaillou, m'ont communiqué en toute bienveillance ce qu'elles conservent de Louis XVI et de notre infortunée Reine. En outre, les lettres de Madame Élisabeth faisant partie des papiers de famille des marquis de Raigecourt, de Castéja et de Soran ont passé en totalité dans mon recueil. Ce sont là tous documents irrécusables. Eh bien, ce ne serait peut-être pas une raison pour qu'ils ne rencontrassent point d'incré

dules. Qui sait? l'envie, la légèreté humaines sont susceptibles de tant de singularités, et l'imagination, de même que les rancunes révolutionnaires ou autres, ont tant de penchant à affronter l'évidence!

Ces lignes étaient imprimées et me revenaient en épreuves, quand on me communiqua le numéro du 28 avril de l'Athenæum anglais, où je lus ces mots bien inattendus, écrits en anglais par M. Louis Blanc, que l'Athenæum avait invité à donner son avis sur l'authenticité des lettres par moi imprimées :

18 avril 1866.

« Vous désirez connaitre mon opinion au sujet des lettres récemment publiées par M. Feuillet de Conches comme étant de Marie-Antoinette. A peine y avais-je jeté un premier coup d'œil, que j'avais été frappé du peu d'accord qu'elles offraient, à beaucoup d'égards, avec l'idée que je m'étais formée de Marie-. Antoinette, à la suite d'une étude patiente et attentive des événements dans lesquels elle a joué un rôle durant la Révolution française. Aussi n'ai-je été nullement surpris d'en voir mettre en question l'authenticité, et suis-je forcé de déclarer qu'après avoir donné toute l'attention possible à la controverse suscitée par ces lettres, mon impression est bien formellement qu'elles ne sont point vraies. »

Certes, ce n'est point là parler en critique, et le lecteur ne peut s'empêcher de sourire à un arrêt qui condamne en bloc, ex cathedra, d'une façon si curieusement suffisante et insuffisante, des pièces dont les quatre-vingtquinze centièmes sortent d'archives publiques, où tout le monde en peut vérifier la vérité. De pareilles questions ne se décident pas ainsi au pied levé; et qui donc prêterait crédit à un juge soi-disant convaincu qui ne motiverait pas sa conviction et son arrêt? En vérité, encore une fois, c'est trop de dédain et de légèreté. Un vrai critique n'opine point du bonnet. Il est possible que mon recueil

dérange les idées préconçues par l'écrivain, et je le soupçonne; mais assurément il n'a démontré que sa prévention et n'a lancé contre ma publication qu'un boulet perdu. Attaque bien peu digne d'un homme qui tient une plume.

J'ai reçu de deux conventionnels, dont l'un est Courtois, presque toutes les pièces que je possède de Louis XVI, et particulièrement le manifeste autographe laissé par ce prince en partant pour Varennes, document paraphé sur toutes les pages par le marquis de Beauharnais, alors président de la Constituante. D'eux je tiens encore quelques lettres de la Reine à madame de Lamba!le, quelques autres à Léopold II, lettres interceptées, et peut-être écrites pour qu'elles eussent ce sort; enfin des papiers de Vermond trouvés dans une cachette en une maison qu'il avait habitée à Bielle (1). J'ai acquis aussi aux enchères publiques quelques lettres de Louis XVI et de Marie-Antoinette, notamment à des ventes de l'Alliance des Arts dirigées par le bibliophile Jacob et à des ventes de l'expert Charron. C'est ainsi que chez ce dernier, j'ai trouvé à Paris la lettre de cette Princesse à sa mère, en date du 14 juin 1771, dont j'ai donné, en mon troisième volume, un fac-simile qui malheureusement est loin d'en rendre exactement la physionomie, mon éditeur ayant hésité, à cause des frais, à reproduire, en son tirage de cinq mille exemplaires, la curieuse vignette coloriée qui entoure la feuille. Ce n'est plus à Paris que j'ai acheté l'autre lettre, également encadrée, mais d'un autre dessin, et du même papier vergé, datée du 20 novembre même année, et dont on a aussi en ce troisième volume le fac-simile, incomplet comme le précédent, — ce n'est plus à Paris, dis-je, c'est à Vienne, lors de mon premier voyage, chez un de ces bouquinistes qu'on appelle antiquaires et qui demeurait tout près de la

(1) A 25 kilomètres d'Oloron, Basses-Pyrénées.

rue de Carinthie. Enfin, c'est chez ce vieil antiquaire que j'ai trouvé, avec leurs enveloppes revêtues du sceau aux armes accouplées de France et d'Autriche, des lettres de la Reine à son frère Léopold et au comte de Mercy, avec une lettre de Louis XVI à l'Empereur, scellée à lacs de soie bleue, et un énorme paquet des plus précieuses pièces de princes, d'hommes politiques, d'écrivains ou d'artistes du seizième siècle, provenant d'Espagne.

Mes deux premiers voyages en Autriche, sous le ministère de l'illustre chancelier prince de Metternich, duquel j'ai eu tant à me louer personnellement, n'avaient produit aucun résultat bien complet pour mes travaux. La cour de Vienne, en présence de la branche aînée des Bourbons qui recevait d'elle l'hospitalité, éprouvait des scrupules à livrer les correspondances de la Reine Marie-Antoinette. Mais ces scrupules ayant été levés sous le ministère du prince de Schwarzenberg, je me mis sur-le-champ à l'œuvre aux Archives impériales de Cour et d'État. Je reçus en communication ce qu'on avait rassemblé à cette époque, et tout ce que je reçus je l'ai publié en mon recueil. Le critique allemand cite, je ne sais à quel propos, deux ou trois petits billets imprimés par M. d'Hunolstein et dont suivant lui, au témoignage d'une note de l'archiviste, j'aurais eu communication aux Archives de Vienne, et il n'imagine pas pour quel motif j'aurais dédaigné de les donner aussi. La raison en est simple, c'est qu'ils n'étaient point dans mes copies primitives que je possède encore au complet, et que dès lors ils ne m'avaient pas été communiqués. Je ne les ai connus que par la publication de M. d'Hunolstein, et je n'étais pas autorisé à les reproduire, n'en ayant pas plus de copies relevées aux archives officielles que je n'ai eu connaissance des nombreux billets analogues publiés aujourd'hui par le conservateur de ces mêmes Archives.

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