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substituer à la constitution de Suède existante une monarchie plus absolue. Tout le monde sait, et la Dauphine savait de reste, que Gustave avait appris à Paris la mort de son père et qu'il avait été proclamé Roi en Suède, pendant son absence de ses États. Mais quelle était la date de la lettre à laquelle elle répondait? La Dauphine ne faisait-elle pas que répéter une expression de sa sœur, ne faisait-elle pas que répondre à quelque allusion dont on ignore les termes, et dont il faudrait avoir connaissance pour en apprécier l'à-propos? Le jour où elle écrivait, Gustave avait pris les rênes de son gouvernement; mais il ne fut couronné et ne fit parler de lui que plus d'un an après. Qu'a-t-elle dit? « Le Prince royal passait pour........ » indiquant ainsi qu'il ne s'agissait point du présent. Est-ce que d'ailleurs ces mots histoire ancienne n'ôtent pas toute équivoque à la pensée de la Reine? La manie de voir partout le faux rend bien subtil et bien injuste :

Lurida præterea fiunt quæcunque tuentur
Arquatei.

Ce n'est pas tout. Trop occupé par mes fonctions publiques et par des travaux en cours d'exécution pour avoir encore recueilli et commenté toutes les pièces qui devaient concourir à l'ensemble de mon recueil de Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Élisabeth, pour avoir terminé une longue étude diplomatique et maritime que je méditais sur ce règne, je n'étais pas prêt à livrer mon recueil à la presse, quand M. d'Hunolstein publia son volume. J'avais ignoré jusque-là l'existence entre ses mains de tant de lettres de l'infortunée Reine; l'alarme me prit je dus craindre qu'au moyen de ses propres pièces et de communications étrangères, il ne me fit perdre le fruit de mes efforts et recherches de vingt années,

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je me mis sur-le-champ à l'œuvre pour prendre date. En moins de six semaines, préface, notes, impression du premier volume, tout fut fait, tout fut publié. C'était trop de hâte, je le reconnais et l'ai bien regretté, car l'exécution de ce premier volume devait s'en ressentir. « L'homme qui fait le plus vite et le plus de choses, a dit justement Euripide dans l'OEnomaüs, est celui qui fait le plus de fautes. » Par exemple, sur la foi d'indications trop conjecturales de mains étrangères sur les lettres, des dates erronées se sont glissées qu'heureusement j'ai pu contrôler et redresser depuis, et qui ont été peupler mes

errata.

Ces misérables dates inexactes, qui arrêtaient et jetaient de la confusion, et n'ont que trop souvent ouvert le champ à une critique spécieuse; ces dates qui en disent parfois plus qu'un texte, portent malheur à tout le monde, à commencer par moi. Ainsi, page 40 de mon premier volume, une lettre totalement sans date, écrite de la Muetté, le mercredi, 1o juin 1774, veille de la FêteDieu, à l'occasion de laquelle Louis XVI annonce qu'il suivra, le lendemain, la procession du Saint-Sacrement à l'église paroissiale de Passy, avait été inscrite, par je ne sais quel possesseur antérieur, à la date du samedi 4 juin, date impossible, puisque la fête se célébrait le jeudi et non le dimanche. Cette date erronée a été reproduite à l'impression, et le déplacement d'un crochet, laissant croire que la lettre était en partie datée de la main royale, rendait l'erreur plus saillante. Pures misères, il est vrai, comme il en échappe à tout travailleur. Mais il y a tant de gens qui cherchent, comme on dit, la petite bête, et sont à l'affût pour vous en faire autant de gros crimes. Ainsi encore, la date du mariage du comte Valentin Eszterházy, dont on lira les Mémoires au début du présent volume, m'est arrivée trop tard d'Allemagne, malgré

TOME IV.

toutes mes instances, pour que je ne fusse pas exposé à me tromper sur la personne de l'Eszterházy qui a été l'objet des sévérités de Marie-Thérèse en dépit des recommandations de Marie-Antoinette. La date une fois acquise, j'ai dû reconnaitre que ce n'était pas Valentin dont il s'agissait, mais un de ses cousins, marié douze ans avant lui. Le coupable d'ailleurs paraît avoir commis de folles prodigalités qui eussent été au-dessus des conditions de fortune où se trouvait alors Valentin (1). Ainsi encore un certain nombre de lettres copiées par moi à Vienne manquaient de dates originales, et la main qui y avait suppléé n'avait pas toujours été heureuse. Je citerai un billet de la Reine à Mercy, billet non daté, et qui avait été porté au mois d'août 1791, tandis qu'il y avait lieu de l'attribuer à juillet 1788. C'est le n° CCCCLII de mon troisième volume, et où Marie-Antoinette dit au comte qu'elle l'a cherché dans sa loge, après le spectacle. Or, bien que la cour, ni en 91 ni plus tard, n'eût renoncé à toute distraction, puisqu'aux Archives impériales de France, les relevés des parties de billard jouées entre Louis XVI et sa sœur Élisabeth se poussent jusqu'au 10 août 92, la date de 91 ne pouvait être exacte. Dans cette année de crise, presque au lendemain du funeste retour de Varennes, il n'y avait plus de petits spectacles; et d'ailleurs s'agit-il, comme ce serait possible à la rigueur, d'une représentation à un grand théâtre public où, par étiquette, la Reine eût dû se montrer, la date n'en serait pas moins fautive, puisque le comte de Mercy avait, depuis septembre 90, quitté la France pour s'établir à Bruxelles, par l'ordre de son gouvernement.

Les dates ont aussi méchamment trahi l'attention de M. le chevalier Alfred d'Arneth, qui a pris la peine de dresser l'errata de quelques-unes de mes lettres, pages 161

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et 173 de son livre de Marie-Antoinette, Joseph II et Léopold II, publié, il y a environ six semaines. Je ne puis que l'en remercier avec déférence, tout en avouant qu'il eût pu s'en épargner les frais, car déjà la correction avait été faite par moi-même depuis tantôt deux ans, dans mon second tirage. Et, en effet, les lettres du 2 mai et du 6 juin 1791, auxquelles il m'accuse d'avoir donné la date de 90, sont à leur vraie place, à leur date réelle, pages 44 et 81 du second volume de ce tirage. Je ne crois pas qu'il ait été jusqu'ici dans les usages de la critique de s'en tenir à une première édition quand il y en a une seconde, et de faire rétrospectivement des crimes aux malheureux éditeurs, de péchés avoués, et qui par cela méme devraient être pardonnés. Que dirait mon censeur si je lui reprochais d'avoir daté du 15 mars 1775, dans sa première publication, une lettre de Marie-Thérèse à laquelle la Reine aurait répondu (un peu vite pour l'époque) le surlendemain du jour où elle était écrite à Vienne? Il me répliquerait que sa seconde édition, rétablissant la date vraisemblable du 5, m'a ôté tout droit de censure, et il aurait raison.

J'aurai à m'expliquer plus loin, encore à propos de rectification de date, au sujet d'une lettre de la Reine à sa mère sur Madame Élisabeth. Je citerai de même un autre tour joué par une date, à propos d'une lettre de MarieAntoinette, écrite à la princesse de Lamballe le 29 décembre 1774. Cette lettre a été portée par lapsus au millésime de 75. Même erreur a été commise pour des lettres de Louis XVI et de Marie-Antoinette touchant l'affaire du Collier. M. Campardon lui-même, tout plein cependant des détails de ce premier coup de tocsin contre la Reine de France, M. Campardon, juge si compétent des pièces de cette époque, n'en avait pas été frappé, et il avait exclusivement abandonné à son lithographe le soin de la reproduction de lettres que je lui avais confiées pour les

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joindre en fac-simile à son volume. Alors, le copiste, qu'eut pu avertir la différence des nuances d'écriture et d'encre, prit le change, comme la rapidité de la mise sous presse l'avait déjà fait prendre pour le texte, et il exécuta ses calques du même ton. Inde mali labes. J'ai donc vérifié en ma trop rapide publication du premier volume, ce qui a été dit tant de fois, que celui qui commence un livre est l'écolier de celui qui l'achève, et qu'une première édition n'est qu'une épreuve. Que d'aménités ces lapsus et minuties, inséparables de si nombreux détails, ne m'ont-ils pas values! Chicanes mesquines, coups d'épingle dont le travail des adversaires est hérissé, et qui sont peu dignes de telles plumes, peu dignes de réfutation. Mais cela fait nombre dans le fagot d'épines, et cette accumulation de petites querelles, de petits faits, séparément sans valeur ni portée, forme comme un faisceau, comme un nuage obscur qui inquiète la confiance du lecteur, tend à égarer l'opinion, à causer l'amoindrissement d'un recueil vrai et historique qui gène la malveillance des attaquants. Tactique pitoyable plutôt que vraie critique. Escrimez vous donc à relever, comme les fourmis de la fable, ces grains de poussière, vous remplirez des pages à endormir le lecteur !

Y avait-il lieu d'insister encore avec tant d'amertume sur une misérable erreur, pure omission typographique, touchant une lettre de Marie-Thérèse au Dauphin, page 3 de mon troisième volume? La lettre est indiquée par moi comme tirée des Mémoires de Weber, frère de lait de MarieAntoinette. Halte là! s'écrie M. de Sybel, en caractères majuscules équivalant à une grosse voix, la lettre n'est point dans le texte de ces Mémoires de Weber; elle n'est que dans une note des éditeurs. C'est vrai; l'omission des mots: Note des Éditeurs, avait échappé à la correction. Mais cela est indifférent et n'implique nullement contre l'authenticité de la pièce; et bien que les éditeurs n'eus

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