Page images
PDF
EPUB

En quittant le pays, il exprima d'une manière très-nette et très-vive l'estime qu'il emportait pour la personne de

sa sœur :

L'Empereur, écrivait Marie-Thérèse à Marie-Antoinette, a été touché de vous goûter. Il trouvoit une grande douceur dans votre conversation et amitié. Je ne le trahis pas, en mettant ses propres paroles, que je ne pourrois jamais rendre si bien :

« J'ai quitté Versailles avec peine, attaché vraiment à ma sœur. J'ai trouvé une espèce de douceur de vie, à laquelle j'avois renoncé, mais je vois que le goût ne m'avoit pas quitté. Elle est aimable et charmante; j'ai passé des heures et des heures avec elle, sans m'apercevoir comment elles s'écouloient. Sa sensibilité au départ étoit grande, sa contenance bonne; il m'a fallu toute ma force pour trouver des jambes pour m'en aller (1). »

Vingt jours avant cette lettre de l'Impératrice, Joseph lui-même, s'épanchant en toute franchise et familiarité dans une lettre à sa sœur Christine, lui avait dit :

« La Reine est une femme charmante, en vérité, et sans sa figure elle devroit plaire par sa façon de s'expliquer et l'assaisonnement qu'elle sait donner à toutes les choses qu'elle dit (2). »

Et plus tard :

« Je suis charmé que la Reine et ses enfants se portent bien ; mais elle est un peu francisée, et du bon gros Allemand il n'y a plus que la figure (3).

jamais. Pour en venir à bout, on l'apprend dans sa présence à un jeune enfant de son age. » Lettre du comte de Podewils, ministre de Prusse à Vienne, au Roi Frédéric II. Der Wiener Hof in der Jahren 1746, 1747 und 1748, von Dr Adam Wolf.

(1) 29 juin 1777. ARNETH, p. 212.

(2) 9 juin 1777, p. 17 de mon troisième volume. (3) 31 août 1786, p. 141 du même tome III.

Ne trouve-t-on pas encore dans les lettres de MarieAntoinette à sa mère et à sa sœur des mots qui prouvent combien elle était ravie d'être devenue Française?

« Je sens tous les jours de plus en plus ce que ma chère maman a fait pour mon établissement. J'étois la dernière de toutes, et elle m'a traitée en aînée. Aussi mon âme est-elle remplie de la plus tendre reconnoissance (1). »

Et plus loin :

« Quoique Dieu m'a fait naître dans le rang que j'occupe aujourd'hui, je ne puis m'empêcher d'admirer l'arrangement de la Providence, qui m'a choisie, moi, la dernière de vos enfants, pour le plus beau royaume de l'Europe. Je sens plus que jamais ce que je dois à la tendresse de mon auguste mère, qui s'est donné tant de soins et de travail pour me procurer ce bel établissement. Je n'ai jamais tant désiré de pouvoir me mettre à ses pieds, l'embrasser, lui montrer mon âme tout entière, et lui faire voir comme elle est pénétrée de respect, de tendresse et de reconnoissance (5). »

"

Quel bon peuple que les François ! » disait-elle à son entrée en France. « La nation est excellente », dit-elle ailleurs : « les critiques et oppositions de mon frère ne font que me renforcer encore dans ces idées. »

Que veut-on de plus? Mais quoi! préoccupé d'une pensée d'opposition, on la porte à son insu jusqu'à l'extrême, pour achever, s'il est possible, de jeter le doute sur l'authenticité de documents sincères et de déprécier un recueil qui n'a contre lui que le tort impardonnable du succès.

« Prêter à Marie-Antoinette un sentiment libéral, ardent, exclusif, de nationalité française, ajoute M. Geffroy, serait une de ces fausses vues qu'ont autorisées les récentes publications,

[blocks in formation]

suscitées par la généreuse réaction de notre temps en faveur de sa mémoire. »

A la bonne heure : n'exagérons rien de part ni d'autre. Si l'union constante des deux cours de France et d'Autriche n'a cessé de paraître à Marie-Antoinette la condition de leur salut; si jamais elle n'a fait difficulté d'admettre un grand nombre d'étrangers à la cour de Versailles, qu'y a-t-il là d'antifrançais? Cette vieille France, l'étranger le sait à merveille, a toujours été l'El Dorado de ce qui vient du dehors. L'affluence des étrangers, souvent même à l'exclusion des nationaux, a toujours été l'un des attributs de notre hospitalité de cour, sous toutes les monarchies. Eh! mon Dieu! Française! l'infortunée Reine l'a été par sa fille, par ses deux Dauphins; elle l'a été même par ses défauts comme par ses qualités; elle l'a été par son caractère, par sa grâce, par son charme, par la mobilité de son esprit. Elle ne demandait pas mieux que de s'assimiler de tout son étre aux entrailles du pays. Elle a été tout ce qu'elle devait, tout ce qu'elle pouvait se montrer selon son cœur et selon sa chair, au milieu des épouvantables circonstances sous lesquelles était comprimé l'essor de ses sentiments. Elle avait ses préjugés d'éducation, elle avait ce que l'aveugle postérité, qui juge trop à son point de vue actuel, lui a reproché, l'orgueil de race. D'accord. Elle ne s'était pas laissé porter au flot des grandes idées de réforme du siècle, en un mot, la Révolution avait marché beaucoup trop vite pour qu'elle en pût suivre le

pas.

1789, enflammé par toutes les grandes pensées qui ont occupé l'esprit humain depuis l'origine des sociétés; saisi de cet enthousiasme philosophique dont l'Amérique, devenue indépendante, avait donné l'exemple, 89 avait entrepris d'achever l'œuvre de Louis XVI et de Turgot, en abolissant à jamais la torture et les corvées; il avait,

par l'organe de la Constituante, proclamé la liberté des cultes la plus complète et replacé la religion à sa véritable place, dans le sanctuaire de la conscience, et, prenant la liberté pour but et pour moyen, il avait proclamé la liberté civile pour tous, l'égalité de tous devant la loi, et répandu un bien-être général par la division des fortunes. Mais, encore une fois, la Révolution avait marché trop vite pour la Reine; trop d'horreurs avaient accompagné les élans généreux et calomnié la liberté ; trop de fois le couteau lui avait été mis sur la gorge, pour qu'elle dût croire que les commotions sanglantes pussent aboutir à étendre et consolider les notions de justice, à placer plus haut l'avenir social. Les surprises de la première heure l'avaient montrée frivole. Elle s'est bien corrigée de ces funestes surprises; elle les a bien expiées par ses luttes, par ses dévouements héroïques, par les cruelles stations de son martyre de 89, de 91, de 92, de 93. Que de fois, à l'offre de la faire évader avec ses enfants, n'a-t-elle pas répondu que son sort était inséparable de celui du Roi de France, et qu'elle ne partirait qu'avec lui! Elle s'est défendue sans jamais frapper, et de fait, quel est donc le sang français qui jamais ait pu crier contre elle? M. Cuvillier-Fleury a raison :

« Le patriotisme l'accusait; la démagogie l'a condamnée, l'humanité l'absout (1). »

Eh quoi! toutes ces victimes, monarchistes comme elle, livrées aux tigres de la ménagerie de Marat, de Chaumette et d'Hébert, n'étaient-elles donc pas Françaises?

Malheureuse Reine! contestée de son vivant, immolée comme Autrichienne; trop Française pour les Allemands; aujourd'hui trop Autrichienne encore pour certains critiques français qui, importunés de ce qu'on relève une

(1) Études et portraits: MARIE-ANTOINETTE.

Reine, ne voient que des paroles menteuses de mélodrame dans de sincères et légitimes accents de douleur et d'angoisse, et qui donnent le nom de « période de l'expiation » au supplice de son emprisonnement, de son procès et de sa mort.

Paris, le 20 mai 1866.

Ce qui précède était sous la presse, quand parut, le 1er juin, dans la Revue des Deux-Mondes, un article où M. Geffroy reprend en sous-œuvre toutes les critiques de M. de Sybel déjà reproduites par lui l'année dernière dans la même Revue. Il ajoute quelques objections nouvelles, inspirées par les mêmes préoccupations. Qu'on veuille donc bien nous permettre ici quelques mots de plus pour en finir avec cette guerre de tirailleurs, où l'assaillant échappe et disparaît dès qu'on pousse à lui.

M. Geffroy, essayant d'étendre le cercle de l'attaque, déclare dès l'abord, avec une majesté sereine, qu'on ne saurait désormais admettre comme authentique, parmi les lettres de Marie-Antoinette à sa mère imprimées par moi, que celle qui porte la date du 14 juin 1777. Rien de plus commode assurément que de se faire ainsi à soimême son terrain et son siége, d'écarter tout document importun qui gène au triomphe d'une thèse préconçue. Procéder par assertion, est de toutes les méthodes la plus aisée, mais aussi la plus périlleuse; ce n'est point là de la critique, c'est de l'arbitraire, et l'arbitraire conduit droit à l'aveuglement. Je me demande comment un homme qui a eu l'honneur de toucher à l'histoire peut descendre aux minuties dont il nous secoue la poussière, comment il peut espérer de faire admettre que d'hier seulement, rien que d'hier, on soit en mesure de parler avec justesse de Marie-Antoinette. A Lui tout seul il vient de découvrir la

« PreviousContinue »