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loi du 18 novembre 1814, sur laquelle nous devons nous ar

rêter.

801.-Au seuil de notre examen, une question se dresse, très-chaudement controversée : la loi de 1814 est-elle encore en vigueur?

Pour conclure à son abrogation, on prétend tout d'abord que cette loi est attentatoire à la liberté de conscience, et l'on répète avec Portalis : « Les hommes sages ont toujours compris la nécessité d'interrompre les travaux journaliers et de consacrer au repos quelques instants d'une vie occupée, et rien n'est plus légitime et plus louable assurément que de les offrir à la Divinité comme un tribut de reconnaissance et de prière. Mais cet hommage de la conscience doit être libre dans sa manifestation, et lorsque dans un Etat se trouvent plusieurs cultes et des hommes qui n'en ont aucun, la liberté de conscience exige que chaque homme puisse, à son gré, exprimer sa pensée religieuse ou ne pas l'exprimer... Jamais, à aucune époque, on n'a empêché, pendant les jours de dimanche et de fêtes, l'avocat, l'homme de lettres, l'artiste de travailler dans leurs demeures, et les médecins de soigner leurs malades. Pourquoi donc les hommes de peine, les journaliers, les terrassiers et les marchands seraient-ils les seuls qui ne pussent gagner leur vie ces jours-là? »

On dit aussi l'article 6 de la Charte de 1814, qui déclarait religion de l'Etat la religion catholique, apostolique et romaine, a été remplacé par l'article 7 de la Charte de 1830, qui se borne à reconnaître que la religion catholique, apostolique et romaine est professée par la majorité des Français.

A ce sujet sont rappelées les paroles de Dupin, prononcées à la séance du 7 août 1830, dans son rapport sur la Charte :

« Nous vous proposons de supprimer l'article 6 de la Charte, parce que c'est l'article dont on a le plus abusé. Mais votre commission ne veut pas que la malveillance puisse affecter de s'y méprendre. Cette suppression n'a point pour but de porter la plus légère atteinte à la religion catholique. Au contraire, après avoir proclamé, avec l'article 5, que chacun professe sa religion avec une égale liberté et obtient pour son culte la même protection, nous reconnaissons et nous disons, dans l'article 7, que la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de la majorité des Français, rétablissant des termes qui ont paru suffisants aux auteurs du Concordat; termes qui ont suffi pour relever la religion de ses ruines, et dont il n'est ar rivé aucun dommage à l'Etat; tandis que les expressions de

l'article 6 ont réveillé d'imprudentes prétentions à une domination exclusive, aussi contraire à l'esprit de la religion qu'à la liberté de conscience et à la paix du royaume. »>

La Constitution du 4 novembre 1848 déclare, de son côté, dans son article 7, que chacun professe librement sa religion, et reçoit de l'Etat, pour l'exercice de son culte, une égale protection.

La Constitution du 14 janvier 1852 étant muette sur ce point, les principes de la Charte de 1830 et de la Constitution de 1848 sont seuls applicables aujourd'hui. Dès lors, en l'absence de religion de l'Etat, la loi de 1814, faite évidemment en vue d'une religion de l'Etat, n'a plus sa raison d'être.

On invoque encore une circulaire du ministre de l'intérieur, du 24 mars 1848, et qui est ainsi conçue :

« Quelques arrêtés de police municipale, soumis à mon examen, contiennent l'interdiction aux aubergistes, cabaretiers, cafetiers, traiteurs et débitants de boissons, de tenir leurs établissements ouverts et d'y donner à boire et à manger, ni à jouer, les dimanches et les jours de fêtes, pendant le temps des offices.

« L'interdiction dont il s'agit est basée sur l'article 3 de la loi du 18 novembre 1814, relative à la célébration des fêtes et dimanches. Mais cette loi, qui n'était que le corollaire et la sanction pénale des dispositions de l'article 6 de la Charte de 1814, portant que la religion catholique, apostolique et romaine était la religion de l'Etat, cette loi est devenue sans application sous le régime de la liberté des cultes, dont l'une des principales conséquences est nécessairement que les citoyens ont le droit de travailler lorsqu'ils le jugent à propos, chacun ne devant compte qu'à sa conscience de la transgression des règles de la discipline du culte qu'il professe.

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<< Dans aucun cas l'autorité ne saurait prendre une mesure dans l'intérêt exclusif d'un seul culte, sans s'exposer à blesser les autres cultes et à violer ainsi le principe de l'égale protection garantie à tous. Un autre inconvénient à remarquer dans les dispositions de la loi du 18 novembre 1814, c'est qu'elles ont pour résultat d'apporter arbitrairement des entraves au libre exercice des professions utiles. Sous tous les rapports cette loi doit être aujourd'hui considérée comme étant sans effet. »

On trouve un argument nouveau dans le rejet d'un projet de loi présenté en 1873, relativement au repos du dimanche. Et l'on conclut qu'il n'est plus dans nos mœurs d'imposer à la

conscience publique des repos et des interdictions de travail.

Cette proposition de loi à laquelle il est fait allusion était émanée de M. le baron Chaurand; elle fut présentée à l'Assemblée nationale le 15 février 1873. Le rapport déposé le 24 mars 1873 par M. Chesnelong, concluait à la prise en considération. La discussion eut lieu les 5 et 6 juin 1874; et le projet fut rejeté par 292 voix contre 251 voix. Cette loi se composait de dix articles reproduits dans notre Code annoté des juges de paix, p. 368.

On ajoute enfin que la loi de 1814, si elle n'est pas légalement abrogée, est tombée en désuétude; qu'elle n'est que très-rarement appliquée; que la jurisprudence cantonale se refuse à lui reconnaître force obligatoire. En ce sens est cité un jugement du tribunal de police de Laon, du 8 mars 1831. 802.-Ceux qui soutiennent que la loi du 18 novembre 1814 n'est nullement abrogée, opposent des arguments non moins puissants.

La loi de 1814 n'est pas inconciliable avec la liberté de conscience; elle ne prescrit rien de contraire à aucune croyance religieuse, elle ne fait pas obstacle à ce que chacun observe les lois et les pratiques de sa religion. Le juif peut se reposer le samedi, rien ne l'en empêchc.

La loi de 1814 n'est pas davantage incompatible avec la Charte de 1830 et les Constitutions postérieures.

La loi de 1814 n'a été ni expressément ni implicitement abrogée par aucune loi postérieure.

Bien plus, en 1832, Portalis, membre de la Chambre des députés, en demandait l'abrogation formelle; sa proposition, prise en considération, ne reçut nulle suite. En 1840, pareille demande renouvelée fut repoussée purement et simple

ment.

En regard de la circulaire du ministère de l'intérieur, on place une circulaire du ministre des travaux publics, en date du 20 mars 1849, et d'après laquelle les ateliers des travaux publics doivent être fermés le dimanche et les jours fériés, pour les ouvriers employés à la journée au compte du Gouvernement.

Quant au projet de loi Chaurand, son rejet n'a pas d'importance pour la question. La loi, en effet, visait les travaux publics, les gares de marchandises, les écluses, les bureaux de poste, objets absolument étrangers à la loi de 1814.

Enfin, la jurisprudence de la Cour de cassation est constante

à décider que la loi de 1814 est toujours en vigueur, ainsi qu'en témoignent les arrêts suivants :

« Attendu que la loi du 18 novembre 1814 n'a point été expressément abrogée; que la proposition en avait été faite à la Chambre des députés, le 11 février 1832, mais qu'elle n'a été suivie d'aucun résultat; que l'abrogation tacite de ladite loi ne peut s'induire ni de la suppression de l'article 6 de la Charte de 1814, ni de l'article 5 de la Charte de 1830, portant que chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection; que ces diverses dispositions n'ont rien d'incompatible et peuvent facilement se concilier; que d'une part la loi de 1814 ne contient aucune prescription qui soit contraire à la liberté religieuse; que, de l'autre, la protection promise à tous les cultes légalement reconnus, n'exclut pas le respect dont la loi civile est partout empreinte pour le culte professé par la majorité des Français; qu'ainsi, par l'article 57 de la loi du 18 germinal an x, le repos des fonctionnaires publics est fixé au dimanche; que les articles 65, 781, 1037 C. proc. civ., et 162 C. comm., interdisent tout exploit, tout protêt, toute signification et exécution les jours de fêtes légales. » Cass. 25 juin 1838.

Un arrêt du 6 décembre 1845 (Dalloz, 1846, 1, 27) consacre la même doctrine et dans des termes presque iden tiques.

Sous l'empire des Constitutions qui ont succédé à la Charte de 1830, la Cour suprême a de nouveau déclaré que la loi du 18 novembre 1814 n'ayant pas été abrogée expressément, est, dès lors, encore en vigueur; que, lorsqu'une contravention à cette loi a été constatée, le juge de police ne peut acquitter le prévenu par les motifs erronés, en droit, que cette loi est tombée en désuétude et que, d'ailleurs, elle a été abrogée par les différentes Constitutions qui se sont succédé en France. Cass. 19 décembre 1872, Gaz, des trib., 20 décembre

1872.

Il nous faut donc conclure que si, philosophiquement, la loi de 1814 peut être regardée comme abrogée, juridiquement elle a conservé toute sa force; et que ses prescriptions, qu'il nous reste à étudier, doivent être observées.

803. L'article 1er de la loi du 18 novembre 1814 pose un principe général :

« Les travaux ordinaires seront interrompus les dimanches et jours de fêtes reconnues par la loi de l'Etat. »

Interpréter rigoureusement les termes de cet article amè

nerait à décider que tous les travaux, sans distinction, doivent cesser les dimanches et jours de fêtes. Tel n'est pas le véritable sens de la loi qui, dans les articles suivants, indique quelles occupations, quels négoces sont interdits; quelles occupations, quels négoces sont tolérés.

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804. L'interdiction s'étend aux dimanches et jours de fêtes reconnues par l'Etat.

Les fêtes peuvent se diviser en fêtes nationales ou civiques, et en fêtes religieuses.

Les fêtes nationales sont établies par le Gouvernement. Ces fêtes étaient très-nombreuses avant 1789; elles le furent également de 1789 à la Restauration.

Depuis cette époque, nous signalons la fête du 21 janvier, jour anniversaire de la mort de Louis XVI (L. 19 janvier 1816); la fête des 27, 28, 29 juillet (0.6 juillet 1831); la fête du 20 avril (D. 17-18 avril 1848); la fête du 24 février et du 4 mai (L. 15-17 février 1849); la fête du 15 août (D. 16 février 1852). Toutes ces fêtes ont cessé d'exister.

Il ne reste plus qu'un jour férié, le premier de l'an, d'après un avis du Conseil d'Etat du 13 mars 1810, approuvé le 29 du même mois.

Les fêtes religieuses sont fixées par la puissance spirituelle et le Gouvernement.

« Aucune fête, porte l'article 41 de la loi du 18 germinal an x, à l'exception du dimanche, ne pourra être établie sans la permission du Gouvernement. >>

L'arrêté du 29 germinal an x, ordonnant la publication d'un indult (1) pour la réduction des fêtes, déclare que les jours de fêtes qui seront célébrées en France, outre les dimanches, sont la naissance de Notre Seigneur Jésus-Christ, l'Ascension, l'Assomption de la très-sainte Vierge, la fête de tous les saints.

La fête de l'Immaculée-Conception n'est pas reconnue par l'Etat. Cass. 31 janvier 1861, Annales, 1861, 310.

805. Les fêtes civiles ayant disparu, il est presque sans intérêt de rechercher si la loi de 1814 pourrait leur être applicable; en d'autres termes, si, pendant un jour de fête purement nationale, des marchands vendaient, des artisans tra

(4) On appelle indult la grâce ou dispense que le pape accorde par bulles à quelque corps, communauté, ou même à quelque personne distinguée, pour faire ou obtenir certaine chose contre la disposition du droit commun: Pontificiaria gratia indulium à verbo indulgere,

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