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Désobéir à cette injonction, est-ce commettre un délit rural ? C'est simplement encourir une réclamation à fins civiles de la part du propriétaire lésé, qui peut revendiquer ses bestiaux pendant trois ans (C. civ., art. 2279). Et la loi, sciemment, ne frappe pas pénalement l'acheteur, parce qu'elle le trouve assez puni par l'obligation où il est de restituer sans indemnité la chose achetée.

664.-Admettons, toutefois, que le fait que nous étudions constitue théoriquement un délit ou une contravention. Nous soutenons qu'il demeure impuni, l'article 12 n'édictant aucune pénalité. Et il est calculé le silence de cet article; le législateur a pensé, non sans raison, que les dégâts causés par des bestiaux ou des volailles laissés à l'abandon seraient largement réprimés et par la saisie ou la vente des bestiaux et par la perte des volailles, et par la réparation du préjudice.

Ici encore se dresse contre notre système la doctrine de la Cour suprême, doctrine qui se traduit ainsi : le fait de laisser des animaux à l'abandon est un délit rural; tout délit rural est punissable, d'après l'article 3 de la loi de 1791, d'une amende ou d'une détention. Et puisque l'article 12 se tait sur le taux de l'amende et sur la durée de l'emprisonnement, il faut appliquer l'article 3 de la loi du 23 thermidor an iv, qui punit tout délit rural d'une amende de trois journées de travail ou de trois jours d'emprisonnement.

Et la Cour de cassation trouve un appui dans une lettre ministérielle, en date du 16 novembre 1819, et qui est ainsi

conçue :

« Quoique l'article 12 de la loi rurale de 1791 ne prononce aucune peine contre celui qui a laissé des bestiaux à l'abandon, il doit toujours en être appliqué une, en vertu de l'article 3 de la même loi. Seulement, cette peine doit être la moindre de celles qui ont été instituées contre les contraventions. >>

Nous protestons également contre ces déductions. Nous disons qu'en matière pénale, on ne doit pas statuer par voie d'analogie; que des peines peuvent être infligées alors seulement qu'elles ont été édictées par le législateur pour chaque fait délictueux; que l'article 12 ne mentionne aucune sanction pénale; que, dès lors, aucune peine n'est applicable.

Nous disons que la loi de thermidor a eu pour but unique d'élever l'échelle de la pénalité pour les délits ruraux; et non de créer une peine pour les cas non prévus par la loi de 1791.

Rien, en effet, dans ses termes, ne laisse transpirer cette intention.

En résumé, suivant nous, le fait prévu par l'article 12 de la loi de 1791, n'est pas un délit rural; il ne peut pas être poursuivi par l'action publique, il donne seulement naissance à l'action civile; il n'est frappé par la loi d'aucune répression pénale; il n'est passible que de la réparation pécuniaire du dommage causé. Enfin, et en tout cas, il ne devient répréhensible que s'il réunit cette double condition: dégâts causés et abandon des animaux; c'est-à-dire que les dégâts causés par des bestiaux non abandonnés, c'est-à-dire que l'abandon des bestiaux qui n'ont commis aucun dégât, ne sont pas atteints par l'article 12.

Nous avons avoué que notre opinion était généralement repoussée par les auteurs et par la jurisprudence; et peu de tribunaux de police, sans doute, en feront la timide application. C'est pourquoi nous allons entrer dans quelques détails, que l'adoption de notre système priverait de tout intérêt.

665.-L'article 12, interprété comme l'interprètent la doctrine et les arrêts, engendre deux répressions: la répression pénale du délit, la répression civile du dégât. Il vise et les bestiaux et les volailles.

666. Le délit est constitué par le seul fait de l'abandon des bestiaux. D'après un arrêt précité de cassation du 15 février 1811, il y a délit, et, par suite, il y a lieu à l'application de la peine, lors même que les bestiaux laissés à l'abandon n'ont fait aucun dommage, et cela par le motif que c'est principalement l'abandon des bestiaux, c'est-à-dire la négligence du propriétaire, que la loi a voulu punir.-Conf. Cass. 10 novembre 1837.

667.-Le délit résulte de ce que l'abandon a eu lieu sans la participation du conducteur où du propriétaire. Sa participation donnerait naissance à la contravention prévue, soit par l'article 471, § 4, soit par l'article 479, § 10, du Code pénal. Ainsi jugé :

« Sur le deuxième moyen, tiré d'une prétendue violation de l'article 471, § 4, C. pén., en ce que le jugement n'aurait pas fait application de cet article au prévenu:

«< Attendu qu'il résulte des qualités que c'est l'application de l'article 479, § 10, qui a été requise; qu'en tout cas, pour l'application de l'un ou de l'autre de ces articles, il faut la participation volontaire du conducteur des animaux à leur passage sur le terrain d'autrui, et que le jugement constate

sommairement, en fait, que le bœuf du prévenu était à l'abandon, lorsqu'il s'était introduit sur le terrain de Poggi, sans que son maître l'y eût fait ou laissé passer; que, dès lors, les dispositions applicables étaient les articles 3 et 12 du titre II de la loi des 28 septembre-6 octobre 1791. » Cass. 4 juin 1875, Annales, 1876, 60.

668.-L'article 12 vise les bestiaux de toute espèce. Nous avons vu, sous l'article 479, § 10, n° 594, que la jurisprudence comprenait sous cette désignation, non pas seulement les bestiaux proprement dits, mais encore les animaux de trait, de charge, de monture; les porcs, les chèvres, etc.

Aussi, a-t-il été jugé que le fait d'avoir laissé à l'abandon des juments, qui sont entrées accidentellement sur la propriété d'autrui, constitue le délit prévu par l'article 12. Š. P. Montaner, 18 juillet 1861, Bulletin, IV, 61;

Que le fait d'avoir abandonné une chèvre, qui s'est introduite dans la propriété d'autrui et y a été trouvée pacageant, constitue le délit rural prévu par l'article 12. Cass. 27 février 1875, Annales, 1875, 383.

669. Une dernière condition constitutive de l'infraction, c'est l'abandon des bestiaux à la campagne dans les propriétés d'autrui, soit dans l'enceinte des habitations, soit dans un enclos rural, soit dans les champs ouverts; en un mot, dans toute exploitation rurale et non urbaine; car, le Code de 1791 ne s'occupe que de la police rurale.

670.-Quelles personnes sont responsables pénalement de l'abandon des bestiaux ?

Naturellement, celles qui ont la jouissance ou la garde de ces bestiaux. C'est leur négligence, leur manque de surveillance, qui a occasionné le délit; elles doivent donc en subir la peine.

671.-La peine encourue par la contravention dont s'agit consiste en l'amende ou en l'emprisonnement. D'après la loi déjà citée du 23 thermidor an iv, le minimum de l'amende est de la valeur de trois journées de travail; le minimum de la détention est de trois jours. Quant au maximum, inutile de répéter qu'il ne peut excéder quinze francs pour l'amende et cinq jours pour l'emprisonnement.

672.Sur cette répression pénale, sur cette punition de l'acte délictueux, se greffe une répression purement civile, la réparation du dommage causé.

Ici l'article 12 n'a plus besoin d'interprétation subtile, il s'exprime clairement.

Les dégâts que les bestiaux de toute espèce, laissés à l'abandon, feront sur les propriétés d'autrui, seront payés par les personnes qui ont la jouissance de ces bestiaux, c'est-à-dire les fermiers, les usufruitiers, etc.

Que ces personnes soient insolvables, les dégâts seront payés par les propriétaires desdits bestiaux.

673.-Pour assurer le paiement de l'indemnité qui lui est due, le propriétaire lésé a le droit de saisir les bestiaux, sous la condition de les faire conduire, dans les vingt-quatre heures, au dépôt désigné par la municipalité.

Et si les bestiaux ne sont pas réclamés, si, huit jours après leur saisie, le dégât ne lui a pas été payé, le propriétaire peut les faire vendre et s'en adjuger le prix jusqu'à concurrence de l'indemnité qu'il réclame.

Cette vente devra être autorisée par le juge de paix. Nous le pensons ainsi, par analogie avec certaines dispositions éparses dans d'autres lois. Ainsi, d'après le décret du 18 juin 1811, art. 40, la vente des animaux saisis et des objets périssables mis en séquestre est ordonnée par le juge de paix. Ainsi, d'après le Code forestier, art. 169, la vente des bestiaux saisis est ordonnée par le juge de paix. Ainsi encore, d'après le décret du 20 novembre 1806, art. 1°, le décret du 18 septembre 1811, art. 1°, l'ordonnance du 9 décembre 1814, art. 82, etc.

Sous le commentaire des articles 471, § 14, 475, § 10, et 479, § 10, du Code pénal, nous avons examiné et développé quelques-unes des questions que nous venons de résumer. Nous croyons devoir renvoyer à nos précédentes explications.

674.-De même que pour les bestiaux, le fait seul d'abandon des volailles constitue un délit, et est passible des peines édictées par l'article 2 de la loi du 23 thermidor an iv; peu importe que des dégâts n'aient point été commis. Ces propositions ressortent de cet arrêt :

«Attendu que le jugement attaqué a relaxé Delaplesse des fins de la poursuite, par le motif que le fait de laisser des volailles à l'abandon sur la propriété d'autrui ne serait atteint par aucune disposition pénale;

«< Attendu, en droit, que si le fait dont il s'agit n'est pas prévu et puni par les articles 475 et 479 du Code pénal, il est qualifié délit rural par les articles 3 et 12 de la loi des 28 septembre-6 octobre 1791; que, si cet article 12 autorise le propriétaire qui a souffert le dommage causé par les volailles, de

quelque nature qu'elles soient, à les tuer sur le lieu même, au moment du dégât, cette disposition est édictée sans préjudice de la peine à appliquer au délit; que l'article 3 précité soumet ce délit, comme tout autre délit rural, à une peine soit municipale, soit correctionnelle, suivant la gravité du fait, indépendamment de l'indemnité due à celui qui a souffert du dommage; et que l'article 2 de la loi du 23 thermidor an iv dispose que la peine ne peut, pour tout délit rural et forestier, être au-dessous de trois journées de travail ou de trois jours d'emprisonnement; d'où il suit que le jugement attaqué a formellement violé les dispositions légales ci-dessus visées. » Cass. 7 novembre 1873, Annales, 1874, 134.

675. L'article 12 parle des volailles, de quelque espèce que ce soit.

En général, la dénomination de volailles s'applique aux oiseaux que l'on tient en état de domesticité, que l'on élève et nourrit dans les basses-cours; tels que les poules, les oies, les canards, les dindons, les pintades, les paons.

676.

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Les pigeons, voués en quelque sorte à la divagation par leur nature et par leur instinct, ne sont pas susceptibles d'être gardés à vue, et ne peuvent, conséquemment, jamais être considérés comme laissés à l'abandon, ni rangés dans la classe des volailles proprement dites. Le cultivateur dévasté par ces animaux peut, ou s'en emparer après les avoir tués, comme gibier, et se pourvoir en dommages-intérêts contre le propriétaire de ces oiseaux, mais par action civile seulement.

677. — L'abandon des volailles, pour être punissable, doit avoir eu lieu à la campagne, sur les propriétés d'autrui, soit dans l'enceinte des habitations, soit dans un enclos rural, soit dans les champs ouverts.

678.-Sont pénalement responsables ceux qui jouissent des volailles, les propriétaires, les fermiers, les détenteurs, etc., en un mot, ceux à qui est reprochable le défaut de surveillance.

Nous avons vu plus haut, n° 674, que la peine encourue était au moins une amende de trois journées de travail, ou un emprisonnement de trois jours.

679. En cas de dégâts causés par des volailles laissées à l'abandon, les personnes ci-dessus indiquées sont tenues de le réparer pécuniairement.

680.-Pour garantir le paiement de son indemnité, nous venons de voir, n° 673, que le propriétaire lésé avait la fa

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