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Arrêtons-nous un instant sur ce sujet, et étudions, en les rapprochant, l'article 475 et la loi du 6 octobre 1791.

332-«Le ban à vendanger est le droit qu'a le seigneur de fixer et arrêter le temps des vendanges au temps convenable et nécessaire, de sorte que personne ne peut vendanger aupara vant, et la vendange de celui qui l'emporterait avant le jour du ban de vendanges pourrait être saisie de plein droit.

« Les gentilshommes ni les ecclésiastiques ne sont pas exempts de ce droit de ban à vendanger, parce que c'est une charge réelle et patrimoniale, et de droit public; ainsi, personne n'en est exempt, excepté ceux dont les vignes sont enfermées dans leurs enclos, parce qu'ils ne font tort à personne quand ils vendangent avant les autres.

« La proclamation de l'ouverture des vendanges doit être réglée par les officiers de la justice du lieu, sur l'avis des habitants, ou information de commodo et incommodo. » DE FERRIÈRE, Dict. de droit, v° Ban à vendanger.

L'usage admettait, et la loi autorise le ban de vendanges, afin que, dit Magnard dans son Recueil des arrêts du Parlement de Toulouse, « vendangeant devant, au lieu de bons et vins purs, on ne fasse du vinaigre, et si verts qu'on n'en puisse boire ou les débiter commodément. »

333. Quelle autorité a le droit d'ordonner les bans de vendanges?

D'après la loi de 1791, ce droit appartenait au conseil général de la commune. Le conseil général de la commune est remplacé aujourd'hui par le conseil municipal. Est-ce donc le conseil municipal qui peut prendre un arrêté relatif au ban de vendanges?

La négative n'est pas douteuse: le maire seul est revêtu de ce pouvoir. La législation le prescrit, la jurisprudence l'enseigne.

La loi du 28 pluviôse an vui, concernant la division du territoire français et l'administration, porte, dans l'article 14, que « dans les villes... il y aura un maire et un adjoint à la place de chaque administration municipale. »

La loi du 18 juillet 1837, dans son article 10, charge le maire de la police rurale, et, dans son article 11, lui délègue le soin de prendre des arrêtés sur les objets confiés à sa vigilance et à son autorité.

Aussi, la Cour suprême a jugé que, « d'après l'article 14 de la loi du 28 pluviose an viu, les maires remplissent aujourd'hui les fonctions que remplissaient autrefois les anciens

corps municipaux; que les arrêtés de l'autorité municipale, en matière de police, sont essentiellement des actes d'administration proprement dite, et que, dès lors, les maires seuls sont investis du pouvoir de prendre de tels arrêtés. » Cass. 6 mars 1834.

Et spécialement: «qu'il résulte de la combinaison des articles 9, 10, 11, 17 et 19 de la loi du 18 juillet 1837, que, dans les pays où le ban de vendanges est en usage, c'est au maire seul, et non au conseil municipal, qu'il appartient de fixer, chaque année, par un arrêté, le ban d'ouverture des vendanges. Cass. 16 décembre 1842.

334. En quels lieux peut-on publier des bans de vendanges?

Le Code pénal ne faisant aucune distinction, on serait fondé à penser que le droit de fixer l'ouverture de la vendange est général et absolu; que tout maire peut, pour sa commune, prendre un arrêté sur cet objet.

Mais la loi des 28 septembre-6 octobre 1791, qu'il faut combiner avec l'article 475, § 1o, C. pén., n'autorise la publication des bans de vendanges que dans les pays où ces bans sont en usage.

Longchampt, Police rurale, n° 74, pense, au contraire, que les bans de vendanges peuvent être introduits partout où l'autorité municipale en reconnaît l'utilité. Cette opinion, isolée d'ailleurs, ne saurait être partagée par nous. Si l'inculpé excipait de ce que le ban de vendanges n'est pas autorisé par l'usage dans la commune, le tribunal de police ne devrait pas statuer sur l'exception, mais surseoir jusqu'à ce que l'autorité administrative ait vidé cette question préjudicielle. C'est ce qu'a décidé la Cour de cassation:

«Attendu que les inculpés ont déclaré que le ban de vendanges n'était pas en usage, depuis un temps immémorial, dans la commune, et qu'ils ont été renvoyés de la plainte par ce motif que le ministère public avait lui-même attesté l'exactitude de ce fait;

<< Attendu qu'à l'autorité administrative appartenait le droit de décider si le ban de vendanges n'était pas en usage dans le territoire où sont situées les vignes des délinquants; qu'il suit de là que l'autorité judiciaire, incompétente pour résoudre cette question, devait surseoir au fond jusqu'à la décision du préfet ;

<«< Attendu qu'il n'appartenait pas davantage au tribunal d'exciper, de l'aveu du ministère public, pour invalider l'ar

rêté du maire, et substituer cet aveu ou déclaration au pouvoir du préfet pour l'examen et la solution d'une question placée en dehors de la compétence du tribunal. » Cass. 19 novembre 1859.

D'ailleurs, si le ban de vendanges n'est pas autorisé par l'usage, les intéressés peuvent se pourvoir devant le préfet contre l'arrêté du maire.

335. A quelles vignes peut s'adresser le ban de vendanges?

Le Code pénal garde également le silence sur ce point; et l'on pourrait encore conclure que le ban de vendanges peut s'appliquer à toutes les vignes.

Mais, rapprochant de nouveau de l'article 475, § 1er du Code pénal, l'article 2 de la loi de 1791, nous voyons que le ban de vendanges ne doit régir que les vignes non closes. Les vignes closes n'y sont donc pas soumises.

336.Les vignes seront closes lorsqu'elles réuniront les conditions de clôture exigées pour les héritages par l'article 6 de ladite loi des 28 septembre-6 octobre 1791. Nous avons déjà eu l'occasion de citer cet article; nous croyons nécessaire d'en reproduire les termes :

« L'héritage sera réputé clos lorsqu'il sera entouré d'un mur de quatre pieds de hauteur avec barrière ou porte, ou lorsqu'il sera exactement fermé et entouré de palissades, ou de treillages, ou d'une haie vive, ou d'une haie sèche faite avec des pieux, ou cordelée avec des branches, ou de toute autre manière de faire les haies en usage dans chaque localité, ou enfin d'un fossé de quatre pieds de large au moins à l'ouverture et de deux pieds de profondeur. >>

On a hésité un moment à emprunter à la loi de 1791 les conditions constitutives de la clôture légale, et on a été tenté d'exiger celles de l'article 391 du Code pénal, qui est ainsi

conçu :

«Est réputé parc ou enclos tout terrain environné de fossés, de pieux, de claies, de planches, de haies vives ou sèches, ou de murs de quelque espèce de matériaux que ce soit, quelles que soient la hauteur, la profondeur, la vétusté, la dégradation de ces diverses clôtures, quand il n'y aurait pas de portes fermant à clef ou autrement, ou quand la porte serait à claire-voie et ouverte habituellement. »

La Cour de cassation a fait justice de cette hésitation.

« Attendu, dit-elle, que si l'article 6 de la loi de 1791 se trouve plus particulièrement en relation avec les droits de

parcours ou d'usage de la vaine pâture, il faut reconnaître que ses dispositions, les seules qui déterminent les divers modes de clôture de biens ruraux, ont été introduites dans une loi qui concerne spécialement cette espèce de biens, les usages ruraux et la police rurale; qu'elles sont portées dans la section intitulée des Clôtures, et que, dès lors, elles doivent servir de règle pour tout ce qui concerne les biens ruraux comme pour tout ce qui est relatif aux contraventions de police rurale; qu'une clôture réelle et efficace peut seule pourvoir aux vues que se propose l'autorité municipale lorsqu'elle affranchit du ban de vendanges les propriétés closes

« Attendu que l'article 391, C. pén., qui n'a d'autre objet que de déterminer les circonstances aggravantes qui doivent constituer le crime de vol, seraient d'ailleurs sans aucune application dans l'espèce. » Cass. 24 juillet 1845, Dalloz, 1846, 4, 31.

Une vigne, dont trois côtés sont entourés d'une haie vive, et dont le quatrième est bordé, sur un chemin public, par un fossé dépendant du domaine public et un talus qui en rendent l'accès impossible, est close, et, par suite, n'est pas assujettie au ban de vendanges. Ainsi décidé par arrêt de cassation du 22 mars 1855, que recueille Blanche, Contraventions, no 278.

337. Mais une vigne est non close, et, dès lors, soumise au ban de vendanges, si, entourée de fossés, ces fossés n'ont pas la largeur et la profondeur exigées par la loi de 1791, soit quatre pieds de largeur et deux pieds de profondeur. Áinsi décidé par arrêt de cassation des 24 juillet 1845 et 24 janvier 1861, rapportés par Blanche, no 278.

338. Quid des vignes contiguës appartenant à plusieurs propriétaires, non séparées entre elles, mais formant un enclos? Doivent-elles être considérées comme closes, et peuvent-elles se soustraire au ban? La Cour de cassation répond négativement:

«Attendu, dit-elle, que si les vignes sont contigues et séparées de celles des voisins, ce n'est pas une raison pour que, par leur mutuel accord à vendanger avant l'époque fixée par le règlement municipal, les propriétaires puissent se soustraire à l'autorité de ce règlement et aux peines par eux encourues; qu'en effet, peu importe que les vignes des quatre prévenus, contigues les unes aux autres, soient séparées de celles des voisins par des haies; que si les vignes qui, dans cette partie du territoire, appartiennent à quatre différents

propriétaires, ne sont point closes, elles rentrent dans les dispositions de l'article 2, section V du titre Ier du Code rural, qui autorise les bans des vendanges où ils sont en usage pour les vignes non closes, puisque ce sont bien évidemment des vignes non closes que celles qui, bien qu'entourées d'une clôture générale, se subdivisent en diverses portions sans clôture. » Cass. 5 août 1830.

Nous ne pouvons enregistrer cette décision sans la critiquer. Nous ne comprenons pas tout d'abord qu'une vigne enceinte d'une clôture générale, de murs ou de haies, ne soit pas une vigne close, parce que chaque parcelle de cette vigne ne sera pas, elle, ceinte d'une clôture particulière. Il nous paraît presque puéril d'exiger une pareille condition; il nous paraît bien subtil de faire une pareille distinction.

Et puis, nous comprenons encore moins que des propriétaires contigus clos par une clôture générale, s'entendant pour vendanger à telle époque, soient soumis au ban. Mais quel est donc le but du ban de vendanges? Quels intérêts veut-il protéger ? Quels dangers veut-il prévenir? Nous l'avons dit plus haut: il tend à protéger l'intérêt privé, le commerce, la santé publique; il tend à prévenir les dégâts et les anticipations.

L'intérêt privé, le commerce, la santé publique, il ne peut les protéger que dans le cas de vignes non closes. Sa protection s'arrête impuissante devant une vigne close.

Quant aux dégâts et aux anticipations, ils ne sont pas à redouter; et, après tout, ils seront supportés sans plainte par les propriétaires contigus, puisqu'ils sont d'accord pour faire leurs vendanges en même temps, à telle époque qui leur conviendra.

Aucune raison sérieuse ne milite donc en faveur de la doc+ trine de la Cour suprême, et nous persistons à penser que des propriétaires de parcelles de vignes non séparées entre elles, mais closes par une clôture générale, ne sont pas sou mis au ban de vendanges.

339. Les bans de vendanges obligent, en l'absence de distinction, même les propriétaires dont les vignes sont isolées, non closes. Cass. 24 janvier 1861, Sirey, 1861, I, 1005.

340.-Quels objets réglemente le ban dont nous nous occupons?

Il doit, suivant nous, se borner à fixer l'époque de l'ou verture des vendanges.

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