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involontaire sans doute, car la loi dit formellement cueilli ou mangé.

182. Par fruits, la loi comprend ordinairement toutes récoltes, toutes productions de la terre utiles à la nourriture des hommes et des animaux. Mais, dans le paragraphe qui nous occupe, cette signification doit être restreinte et appliquée seulement aux produits des arbres et arbustes fruitiers, ou à certaines plantes pouvant être mangées par l'homme.

Ce qui ne laisse aucun doute sur le sens limité qu'exige ici le mot fruits, c'est que la loi parle de fruits mangés sur le lieu même. Or, quelles productions de la terre autres que les fruits proprement dits, et peut-être quelques légumes, peuvent être mangées sur le lieu même où elles ont été cueillies,

détachées ou trouvées?

Ceci admis, nous ajoutons avec Dalloz, v° Contravention, n° 186, que le sens du mot fruits doit être encore limité aux produits de quelque valeur, et qu'il y aurait exagération à l'étendre à ces fruits sauvages que le propriétaire lui-même abandonne.

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183. Il faut que les fruits cueillis ou mangés appartiennent à autrui. «Mais s'il y avait erreur de fait, de la part du contrevenant, cette erreur, justifiée, serait exclusive de toute culpabilité. La bonne foi, il est vrai, n'est d'ordinaire d'aucune considération en matière de contraventions; mais ici l'acte n'est pas, comme le plus souvent, dangereux ou nuisible en soi, et, pour cela, défendu par la loi d'une manière générale. Rien de plus permis, assurément, que de cueillir des fruits qu'on croit siens. Si, me trompant sur les limites de mon champ, je détache quelques fruits d'un arbre que je crois être à moi, je pourrai bien avoir à répondre au civil de ce faible dommage, mais je ne commets aucune infraction que les lois pénales puissent justement atteindre. » DALLOZ, vo Contravention, no 190.

Cette opinion des rédacteurs du Répertoire est à coup sûr très-équitable. Nous doutons cependant qu'elle soit sanctionnée par la jurisprudence. Il est de principe absolu que la bonne foi n'excuse ni ne justifie jamais une contravention. Vous avez cueilli ou mangé des fruits qui ne vous appartenaient pas, vous avez par cela seul commis l'infraction au paragraphe 9 de l'article 471.

Inutile de faire remarquer que si l'inculpé se prétendait propriétaire des arbres ou des fruits, il y aurait une exception

préjudicielle qui motiverait un sursis qu'ordonnerait le tribunal de police.

184. Prenons une espèce. Les branches d'un pommier appartenant à Primus s'étendent, chargées de fruits, sur le terrain de Secundus. Secundus cueille des pommes, ou mange celles qui sont tombées. Commet-il une contravention?

Secundus a cueilli des pommes. Rigoureusement, il a commis la contravention; ces fruits ne lui appartiennent pas. Et en vain il exciperait de ce que les branches s'étendent sur son héritage, puisque l'article 672 du Code civil et l'article 5 de la loi du 25 mai 1838 lui donnent le droit d'exiger l'élagage.

S'il a seulement mangé les pommes tombées, la question est plus délicate. Ces fruits, en effet, lui appartiennent, d'après plusieurs auteurs; dès lors, pas de contravention. Mais d'autres écrivains, et nous partageons leur opinion, estiment que les fruits tombés ne deviennent jamais, ipso facto, la chose de celui sur le terrain duquel ils tombent. Dans ce système donc,' la contravention existerait.

Nous ne nous dissimulons pas ce que cette conclusion a d'excessif. En fait, elle trouvera bien rarement une application. Et les tribunaux civils auront d'ailleurs à décider préalablement si les fruits appartiennent à Primus ou à Secundus. Mais s'il était jugé, avant faire droit, qu'ils sont la propriété de Primus, Secundus, ayant cueilli ou mangé des fruits appartenant à autrui, serait fatalement passible des peines édictées par l'article 471.

185. Il faut que les fruits cueillis ou ramassés aient été mangés sur le lieu même.-Si les fruits ne sont pas mangés sur le lieu même, la contravention devient plus grave, elle prend le caractère de larcin; elle est prévue par l'article 475, § 15, qui punit d'une amende depuis six francs jusqu'à dix francs inclusivement ceux qui dérobent, sans aucune des circonstances prévues en l'article 388 du Code pénal, des récoltes ou autres productions utiles de la terre qui, avant d'être soustraites, n'étaient pas encore détachées du sol.

Telle est du moins la déduction logique qu'entraîne le rapprochement des articles 471, § 9, et 475, § 15.

Et cependant à quelles conséquences puériles ou monstrueuses nous arrivons! Un promeneur mange sur le lieu même la pomme qu'il a cueillie ou ramassée; il est puni d'une amende de un à cinq francs. Au lieu de manger immédiate

ment, sur le lieu, le fruit cueilli, il le mange en continuant sa route, et il est puni d'une amende de six à dix francs!

Supposons qu'il n'ait pas cueilli la pomme, qu'il l'ait ramassée au pied de l'arbre, qu'il la mange hors du lieu même. Ce n'est plus cette amende qu'il a encourue; car le § 15 de l'article 475 ne vise que les récoltes ou productions de la terre qui, avant d'être soustraites, n'étaient pas encore détachées du sol. Or, la pomme était détachée du sol. Ce n'est plus une contravention qu'il a commise, mais un vol. Et le cas de notre promeneur mal inspiré est celui de l'article 388, §3: «Quiconque aura volé ou tenté de voler dans les champs des récoltes et autres productions utiles de la terre, déjà détachées du sol, sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à deux ans et d'une amende de seize à deux cents francs. »

Nous nous bornons à ces observations; il nous est permis peut-être de critiquer la loi, nous avons le devoir de nous incliner devant elle.

186. — Quid du fait de ramasser et de manger des fruits tombés sur une route, sur un chemin public?

Evidemment, suivant nous, il ne constitue aucune contra-vention. Les fruits, il est vrai, appartiennent à autrui; mais ils n'ont été ni cueillis, ni ramassés, ni mangés sur le lieu même, c'est-à-dire sur le terrain du propriétaire.

187.- Il faut qu'aucune circonstance prévue par les lois n'accompagne l'action de cueillir ou de manger des fruits appartenant à autrui.-La rédaction de ce paragraphe laisse à désirer; elle manque de précision, elle n'indique rien de positif.

Quelles circonstances peuvent modifier le caractère de l'acte que nous étudions; aggraver sa criminalité; de simple contravention, en faire un délit?

Tout d'abord, nous venons de voir que si les fruits ne sont pas mangés sur le lieu même, l'infraction devient punissable de peines plus fortes, celles édictées par l'article 475, § 15.

Et puis, ce sont les circonstances énoncées dans le § 3 de l'article 388, C. pén., que nous avons transcrit tout à l'heure, et dans les §§ 4, 5 et 6 du même article, dont voici les

termes :

« Si le vol a été commis, soit la nuit, soit par plusieurs personnes, soit à l'aide de voitures ou d'animaux de charge, l'emprisonnement sera d'un an à cinq ans et l'amende de seize francs à cinq cents francs.

« Lorsque le vol ou la tentative de vol de récoltes ou autres. productions utiles de la terre, qui, avant d'être soustraites, n'étaient pas encore détachées du sol, aura eu lieu, soit avec des paniers ou des sacs ou autres objets équivalents, soit la nuit, soit à l'aide de voitures ou d'animaux de charge, soit par plusieurs personnes, la peine sera d'un emprisonnement de quinze jours à deux ans et d'une amende de seize francs à deux cents francs.

« Dans tous les cas spécifiés au présent article, les coupables pourront, indépendamment de la peine principale, être interdits de tout ou partie des droits mentionnés en l'article 42, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, à compter du jour où ils auront subi leur peine. Ils pourront aussi être mis par l'arrêt ou le jugement sous la surveillance de la haute police pendant le même nombre d'an

nées. >>

Ce sont enfin les circonstances aggravantes indiquées par les articles 381 et 384 du Code pénal, circonstances qui, de l'enlèvement de récoltes ou productions utiles de la terre, en font un crime, et lui rendent, dès lors, applicables les peines du crime dont il a pris le caractère.

188. La contravention peut être poursuivie d'office par le ministère public. En conséquence, l'inculpé ne saurait être renvoyé de la plainte, sous le prétexte « que le propriétaire n'a pas voulu donner suite au procès-verbal dressé à sa requête.» Cass. 29 décembre 1837.

Mais, doit être relaxé l'inculpé lorsque le propriétaire déclare à l'audience que le fait incriminé était autorisé par lui.

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189.-Seront punis d'amende, depuis un franc jusqu'à cinq francs inclusivement, ceux qui, sans autre circonstance, auront glané, ratelé ou grappillé dans les champs non encore entièrement dépouillés et vidés de leurs récoltes, ou avant le moment du lever ou après celui du coucher du soleil.

<«<Lorsque tu moissonneras les récoltes de ton champ, tu ne couperas pas jusqu'au sol, et tu ne ramasseras pas les épis qui sont restés.

<«<Lorsque tu moissonneras les récoltes de ton champ, si par oubli tu as laissé une gerbe, tu ne viendras pas pour la prendre; mais tu permettras à l'étranger, au pupille, à

veuve de l'emporter, et Dieu te bénira dans toutes tes œu

vres.

«Dans tes vignes, tu ne ramasseras pas les grappes et les grains tombés à terre; tu les abandonneras aux pauvres, aux pupilles et aux veuves. >>

Ainsi parlent les Livres saints.

Dans une ordonnance de Louis IX on lit:

« Qu'il était défendu d'introduire les bestiaux dans les champs moissonnés, si ce n'était trois jours après l'enlèvement de la récolte, afin que les pauvres membres de Dieu y pussent avoir glanaison; que nul ne souffre mettre bêtes en chaumes, en autrui blé, jusqu'au tiers jour que la ruraison sera amenée; et est le tiers jour entendu, si comme le blé était porté hors le lundi, les bêtes y peuvent aller le mercredi après. >>

190. On abusa, sans doute, de ce droit que l'humanité avait créé en faveur de l'indigence. L'abus est constaté dans le préambule d'un édit de Henri II, du 2 novembre 1554.

Cet édit essaya d'apporter un remède, et de réglementer le glanage. Ses dispositions, encore en vigueur aujourd'hui, doivent être reproduites.

Voici leur texte :

<< Combien que par les degrez de charité l'homme ne puisse moins faire pour son prochain, que de luy être libéral de ce qui ne luy profite point, et qui pourroit un peu profiter à autrui, et que, suivant ce, tous gens d'église, nobles, bourgeois, laboureurs et toutes autres personnes, qui ont terres enfructées en blez et grains, permettent libéralement en temps de moissons, et après qu'ils ont fait cueillir et scier leurs dits blez et grains, à toutes personnes de venir glaner et enlever les épis que les scieurs ont laissés; toutefois, nous sommes avertis que, sous couleur de telle permission, plusieurs personnes mal vivants, tant de faubourgs des villes closes que plats pays, s'assemblent par turbes et grandes compagnies, et, sous couleur de glaner, dérobent les gerbes, blez et grains délaissez par les champs, tant celles qui appartiennent aux laboureurs que celles qui sont délaissées pour droit de dîmes et autres devoirs. Et bien souvent aussi avient que les seigneurs, propriétaires ou laboureurs des champs ensemencés en blez on en grains, ont fait mauvais devoir de payer les dimnes, et s'excusent de les-avoir délaissées sur les champs et avoir été enlevées et dérobées par lesdits glaneurs.

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