Page images
PDF
EPUB

1791.

devenait plus impétueux encore par la situation où il se trouvait placé : l'établissement de cette constitution lui paraissait une victoire décisive sur ceux qu'on lui fesait considérer comme ses oppresseurs. Une partie de la noblesse était devenue volontairement plébéïenne, l'autre était en fuite, ou fuyait tous les jours chez l'étranger; la haute majesté, l'opulence sacrée des autels étaient anéanties; le philosophe superbe ne voyait plus que des égaux, et le roi lui-même venait de consacrer ce changement inoui, par un serment solemnel. Quel triomphe pouvait être plus complet pour la masse du peuple? L'avidité avec laquelle il saisissait les avantages momentanés d'un tel bouleversement, ne lui permettait pas d'en connaître les dangers, ni d'en calculer les suites: elles ne pouvaient être aperçues que par un petit nombre d'observateurs dont le fanatisme du jour n'avait pas décomposé la raison. Du sein de cette mer brillante qui, sous un ciel serein, ne paraissait agitée que par des vents favorables, ils voyaient surgir les symptômes effrayans de la tempête; des nuages noirs, amoncelés à l'autre extrémité de l'horizon, devaient bientôt faire disparaître ce beau jour,et le frêle vaisseau de l'état, brisé par les écueils, allait

abandonner son équipage à la voracité des 1791. monstres de l'Océan,

En effet,si la constitution comptait d'innombrables partisans, elle avait des ennemis terribles; ces ennemis étaient tous les rois de PEurope, qui craignaient de voir dissoudre leurs états, par l'introduction des principes français; une grande partie des gens riches et des anciens privilégiés de l'intérieur, qu'on n'avait que dispersés, et momentanément ́réduits au silence; les hommes avides qui, n'ayant pas encore trouvé dans la révolution la fortune et le pouvoir qu'ils en avaient attendu, étaient décidés à en perpétuer les désordres jusqu'au moment où elle leur aurait assuré l'une et l'autre; les philosophes idéologues qui, rêvant sans cesse lá perfectibilité de l'espèce humaine,voulaient appliquer à une nation, vieillie dans une longue civilisation, et qui avait parcouru toutes les phases de l'immoralité, un mode de gouvernement convenable tout au plus pour les premières sociétés répandues sur la terre: la constitution de 1791 avait enfin elle-même, contre elle-même, je veux dire sa faiblesse, son incohérence, sa nullité, en ajoutant à cela la versatilité de la nation à laquelle elle était destinée; voilà ce que tous les Français auraient aperçu, si leurs

1791.

yeux eussent alors pu s'ouvrir à la lumière:
voilà sur - tout ce qui devait être palpable
pour
les hommes, sans doute à grands talens,
par qui fut tissu ce déplorable ouvrage, de-
venu, pour notre nation, ce que fut la boîte
de Pandore pour toute l'espèce humaine.. Ce
qu'ils ne virent pas alors, ou plutôt ce qu'ils
craignirent de faire connaître à la fin de leur
session, je vais tâcher de le développer au-
jourd'hui.

Les faits qui furent onsidérés comme les plus grands crimes dans le cours de la révolution, par les amis de la révolution, furent -toujours précisément ceux qui étaient les plus imaginaires. Cette remarque est appli-cable à toutes nos crises politiques, je ne crois pas qu'elle admette une seule exception. Ce fut par un effet de ce délire, ou de cette perversité, que l'assemblée constituante fut, en quelque sorte, forcée de se dissoudre dans un temps où, revenue à des idées plus saines, elle seule étoit en état de réparer une partie des désastres dont ses précédentes délibérations avoient été la cause. ...

>

Les mouvemens désordonnés qui continuaient dans toute l'étendue duroyaume, ceux sur-tout qui s'étaient manifestés depuis le retour du roi, désordres qu'elle ne pouvait faire

cesser, même par des mesures violentes, une nuée de clubs réunis entr'eux par une sorte de communication électrique, et ayant à leur dis-› position tout ce que la France renfermait de populace immonde, d'énergumènes et de furieux; les projets d'une révolution nouvelle, hautement avoués par des hommes à qui la renommée donnait de grands talens, et le public une certaine estime (1); l'incertitude du

(1) MM. Condorcet, Brissot, l'Anglais Thomas Payne et six ou sept membres de l'assemblée constituante parmi lesquels on doit distinguer le fameux Pétion, avec quelques-uns de leurs dévoués dans les départemens. Il ne faut pas ranger dans cette classe Roberspierre, Danton, Camille-des-Moulins, le boucher Legendre, Marat et autres formant l'agrégation connue sous le nom de Cordeliers. MM. Condorcet et Brissot avaient dans la tête un projet de gouvernement, impraticable sans doute; mais au moins ils en avaient un les autres n'avaient pour guide qu'une stupide fureur, le desir du pillage, ou le retour à la monarchie dans la personne du duc d'Orléans, mais par une voie de sang et la destruction de tous ceux qui auraient pu y former obstacle. Il serait difficile peut-être de condamner judiciairement les factieux qui professaient un pareil système; mais il est démontré pour toutes les personnes qui ontobservé la marche de la révo lution, pour celles sur-tout qui ont suivi, avec quelque curiosité et dans leur détail, toutes les machinations

1791.

roi au milieu d'une cour divisée elle-même en 1791. presqu'autant de partis que la révolution comptait de classes de sectaires; tant d'é-. lémens d'anarchie opposés dans leur but, mais se prêtant un mutuel appui pour arriver à la destruction commune, avaient enfin frappé l'assemblée; elle s'était convaincue que sa frêle constitution ne pouvait tenir contre les rúdes attaques qu'on allait lui porter de toutes parts; et, comme je l'ai déja dit, elle avait résolu de la reviser; mais l'opinion po

qui en étaient le moyen et le développement. Sans doute les divers agens, stupides ou enthousiastes, ignoraient quel était le but ultérieur de leur mission: ils frappaient, parce qu'on leur disait de frapper; et l'effet que cette violence pouvait produire, était celui auquel ils pensaient le moins. Brissot rêvait les constitutions américaines; Condorcet, des pouvoirs publics alignés avec une précision géométrique; Danton voulait faire sa fortune, et Robespierre et Marat, animés, l'un, par l'âcreté de sa bile, l'autre, par sa perpétuelle rage, déchiraient les passans pour le profit de qui il appartiendrait. La faction orléaniste profitait des opérations des républicains philosophes et des républicains bourreaux, souvent même elle les fit agir tous à la fois ; jusqu'au moment où, reconnaissant qu'ils étaient sa dupe, ils en exterminèrent le chef, pour être bientôt à leur tour victimes de leurs erreurs et de leurs crimes personnels.

« PreviousContinue »