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BODLEIAN

- 7 NOV 1973

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INTRODUCTION.

Dans un de ces moments où le despotisme aux abois éprouve le besoin d'abriter les restes de sa tyrannie derrière la voix éloquente des faits, le premier Bonaparte écrivit à son ministre de la police, Rovigo, une lettre que les commissaires chargés de publier sa correspondance ont insérée dans le volume XXVIIe de ce recueil, et qui trouve naturellement sa place en tête de cet ouvrage.

Voici cette lettre :

Au général Savary, duc de Rovigo, ministre de la police à Paris. << Nogent, 21 février 1814.

» M. le duc de Rovigo, il y a bien peu de ressources à la police. Elle sert bien mal. Au lieu des bêtises dont chaque jour on remplit les petits journaux, pourquoi n'avez-vous pas des commissaires qui parcourent les pays d'où nous avons chassé les ennemis et recueillent les détails des crimes qu'ils y ont commis? Il n'y aurait rien de plus fort pour animer les esprits que le récit de ces détails. Dans ce moment, il nous faut des choses réelles et sérieuses et non pas de l'esprit en prose et en vers. Les cheveux me dressent sur la tête des crimes commis par les ennemis, et la police ne pense pas à recueillir un seul de ces faits. En vérité, je n'ai jamais été plus mal servi! Il est des habitants connus dans les communes et dont les récits exciteraient la croyance. Des juges de paix, des maires, des curés, des chanoines, des évêques, des employés, des anciens seigneurs qui écriraient ce qu'ils nous disent voilà ce qu'il faut publier. Or, pour avoir leurs lettres, il faudrait les leur demander. Il ne faut pour tout cela ni esprit ni littérature. Des femmes de 60 ans, des jeunes filles de 12 ans ont été violées par 30 et 40 soldats. On a pillé, volé, saccagé et brûlé partout. On a porté le feu à la mairie des communes. Des soldats et des officiers russes ont dit partout sur leur passage qu'ils voulaient aller à Paris, mettre la ville en cendres, après avoir enlevé tout ce qu'ils y trouveraient. Ce n'est pas en faisant un tableau général que l'on persuadera; on fait des tableaux comme on veut,

avec de l'encre et du papier; mais ce n'est qu'en racontant simplement les faits avec détail que l'on persuadera. Le prince de.... s'est couvert de boue. Il a volé et pillé partout où il a passé. Pourquoi ne pas citer ce fait? Il est impossible que les bourgeois de Paris et les hommes du gouvernement ne reçoivent pas des lettres de toutes les parties d'où les ennemis ont été contraints de se retirer. Ne peut-on pas recueillir ces lettres et les imprimer? C'est alors, après que tous les détails particuliers auront été signalés, que des articles bien faits seront d'un bon résultat. Ce seront des tableaux faits sur des éléments dont tout le monde connaîtra la vérité. Les préfets sont, en général, des hommes connus et estimés ; ils devraient écrire au ministre de l'intérieur, et celui-ci ferait imprimer leurs lettres.

>> NAPOLÉON. »

L'histoire, en effet, se compose de quatre choses liées ensemble d'une manière indissoluble, et qui sont nécessaires pour constater les événements.

Des faits; des noms propres ; - des dates;

des lieux. Les trois dernières s'imposent toutes seules. Personne ne peut rien y changer, et c'est pour cela qu'il n'y a point de divergences à cet égard chez les écrivains.

Il n'en est pas de même de la première. Sans rien changer à la brutalité de l'acte qui s'impose également à tout le monde, chaque historien le considère au point de vue de ses idées particulières, quelquefois même au point de vue des nécessités de la cause qu'il voudrait voir triompher. On l'étudie dans tous les sens, on s'ingère à lui trouver des raisons, bonnes ou mauvaises, qui n'ont jamais existé que dans l'imagination de ceux qui les édictent; puis, à force de le tourner, de le tordre, on finit par le noyer au milieu de considérations étrangères aux motifs qui lui ont donné sa raison d'être; on le dénature de telle sorte que le blanc paraît souvent noir et réciproquement le noir paraît blanc.

Pour arriver à ce résultat, on cite les documents de l'époque; parfois même on les analyse; mais, comme il est impossible aux lecteurs de s'assurer de ce qu'ils contiennent, ils sont toujours obligés de s'en rapporter aux appréciations que leur en donne l'écrivain.

D'autres fois, on intercale dans le récit certaines phrases à sensation. On les choisit naturellement parmi celles qui

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se prêtent le mieux au but qu'on se propose; et comme il est impossible encore de ne pas rencontrer, par-ci par-là, dans un document historique, quelque lambeau de phrase qui fournisse, au moyen de l'isolement, la matière d'une double interprétation, on arrive petit à petit à tronquer l'histoire; à faire dire aux pièces dont on se sert le contraire de ce qu'elles disent réellement.

De cette manière, nous pouvons bien nous flatter de posséder sur l'histoire de telle ou telle époque l'opinion plus ou moins juste, plus ou moins consciencieuse, de MM. tels et tels, mais nous ne saurions affirmer que cette opinion soit la reproduction fidèle des faits qu'elle traite et des circonstances qui les ont amenés.

Pour obvier à cet inconvénient, il n'y a qu'un seul moyen selon nous. Il consiste à rapporter simplement les faits, comme le recommandait en 1814 au ministre de la police le premier Bonaparte, en se contentant de les lier entre eux; mais en laissant à chacun le droit de se prononcer avec connaissance de cause sur les conséquences qu'on se croit soi-même en droit d'en tirer.

Mais comment faut-il s'y prendre pour obtenir une relation exacte des faits dont l'histoire doit se composer?

Le premier Bonaparte ordonnait à son ministre de la police de s'adresser aux préfets, aux maires, aux juges de paix, aux curés, aux évêques, voire même aux anciens seigneurs. Tout cela est sans doute fort bien; mais quelque respectables que soient individuellement des personnes ainsi placées, nous ne voyons rien qui puisse garantir leur véracité.

Il y a plus elles peuvent se tromper, et l'erreur alors deviendra d'autant plus regrettable que le caractère de celui qui l'aura commise inspirera plus de respect.

Le seul moyen pour ne pas se tromper, nous dirons plus, pour ne tromper personne, est de recourir aux pièces officielles et de constater les faits avec la confession de ceux qui les ont exécutés.

Ici se présente une nouvelle difficulté. Comment s'y prendre pour obtenir la communication de ces pièces?

Il faut, selon nous, s'adresser aux gouvernements qui les

communiqueront ou les refuseront selon qu'ils croiront avoir intérêt à faire l'un ou l'autre.

Des affaires particulières nous ayant conduit à Mexico. en 1867, nous avons agi ainsi. Nous avons demandé au gouvernement de M. Juarez, qui nous l'a accordée, l'autorisation de rechercher dans les papiers laissés par l'archiduc Maximilien au moment de son départ pour Querétaro, tous les documents qui nous paraîtraient de nature à faire connaître les moyens mis en œuvre pour imposer l'empire aux populations du Mexique.

C'est avec les copies de ces documents que nous avons composé cette histoire. Toutes les pièces qu'elle contient sont officielles, et le congrès lui-même, connaissant parfaitement leur origine, a autorisé le gouvernement, par un décret daté du 20 avril 1868, à en acheter 1,000 exemplaires aux frais de l'État.

Un mot maintenant sur le but que nous nous proposons. Les orateurs qui ont parlé de la question du Mexique, les écrivains qui s'en sont occupés, ont négligé jusqu'ici deux éléments essentiels : la situation du pays au début de l'expédition, la part de responsabilité des puissances européennes dans cette situation. L'expédition elle-même n'a été bien souvent qu'un objet de polémique servant d'un côté à attaquer la conduite du maréchal Bazaine; d'un autre à la défendre; d'un autre encore à célébrer les bonnes intentions de Maximilien. Quant aux moyens employés pour imposer l'empire à des populations qui n'en voulaient pas, personne n'a même songé à s'en occuper les intérêts des acteurs s'opposent encore, à ce qu'il paraît, à ce qu'on dissipe les ombres qui entourent ce drame lugubre et sanglant.

Si nous parvenons à dissiper une partie de ces ombres, à combler une partie des lacunes dont nous parlions plus haut, à rétablir en un mot une partie de la part qui revient à chacun dans cette œuvre de bestiaires, nous croirons avoir fait une œuvre utile, et nous n'en demandons pas davantage.

Londres, avril 1869.

E. LEFEVRE.

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