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Cependant les champions de la réforme surmontaient tous ces obstacles, et continuaient à travers des périls de toute espèce leur œuvre de réorganisation sociale et administrative. La diplomatie avait beau s'ingérer à détruire le prestige du gouvernement, à lui enlever ses ressources, à fomenter la discorde jusqu'au sein même du congrès, lui, fort de l'opinion publique et de la coopération des Etats, en terminait avec quelques-unes des bandes qui dévastaient le pays : il cherchait à rétablir la sécurité sur les chemins, essayait un nouveau système de crédit, extirpait petit à petit les abus qui subsistaient encore dans l'armée et confondait avec des faits et des résultats positifs ceux qui calomniaient et combattaient la révolution. C'est que la réforme ne ressemblait en rien aux insurrections qui s'étaient jusqu'alors produites dans le pays. Elle était sortie véritablement des entrailles du peuple qui voulait en finir à tout prix avec le régime des pronunciamientos; elle était soutenue par les masses qui ne voulaient plus se soumettre aux caprices des classes privilégiées, et qui pour marcher d'un pas sûr dans la voie de la civilisation et de l'ordre, repoussaient à la fois le despotisme inintelligent du sabre et l'influence corruptrice du confessionnal. Mais au Mexique comme partout ailleurs, et de nos jours comme dans toutes les époques, il était dit que les réformes ne pourraient s'opérer que sur les ruines du passé et malgré les tendances de la diplomatie.

Ce fut au milieu de toutes ces difficultés inséparables de la condition d'un gouvernement qui veut s'ériger en réformateur, qu'il fut question pour la première fois de l'intervention, et je vais dire à quelle occasion.

Le gouvernement mexicain avait plusieurs fois célébré avec ceux de France et d'Angleterre des traités ou conventions particulières pour le paiement des dettes extérieures

traître, a été cependant si vivement reprochée au gouvernement constitutionnel, était resté caché, pendant plus de trois mois, dans l'hôtel de M. de Saligny, y avait conspiré pendant tout ce temps, et n'en était sorti qu'au mois d'avril 1864, c'est-à-dire, plus d'un mois après que ce ministre se fut décidé à présenter ses lettres de créance.

du pays. Ces traités étaient principalement hypothéqués sur les revenus des douanes, dont une partie était affectée à leur exécution, et ils furent religieusement respectés tant qu'il fut possible au gouvernement mexicain de faire face à la situation (1). Mais il arriva un jour où ce gouvernement, dominé par les nécessités du trésor, fut obligé de soumettre la question au congrès. Ce jour là, - 17 juillet 1861, le congrès publia une loi pour suspendre, pendant deux années, le paiement de toutes les conventions, et les ministres étrangers en profitèrent pour exercer sur le gouvernement une pression au nom de tous les intérêts qui se trouvaient en jeu.

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Toutefois leur action ne fut pas aussi unanime qu'on pourrait se l'imaginer. M. de Saligny, cela est vrai, suspendit immédiatement ses relations avec le gouvernement mexicain (2); mais le ministre anglais, sir Charles Wyke, prit la chose plus diplomatiquement. Il en résulta un échangé de notes entre lui et le ministre des affaires étrangères, M. Zamacona; et comme cette correspondance, mieux que tous les raisonnements faits et à faire, peut servir à faire connaître la moralité des faits qui se sont passés depuis, je vais en donner l'analyse.

M. Zamacona, après avoir déclaré, ce qui était parfaitement vrai, que le congrès ne s'était décidé à cette suspension momentanée que sous l'empire de la plus impérieuse des nécessités, ajoutait que si le gouvernement avait continué, comme il l'avait fait jusqu'alors, à prélever sur les revenus des douanes, les seuls revenus sérieux, le montant des conventions pour en effectuer le paiement aux créanciers étrangers, il se serait trouvé dans l'impossibilité de

(1) J'ai déjà dit que pendant les trois années qu'avait duré la guerre civile, les ministres européens, bien qu'ils ne reconnussent pas le gouvernement de M. Juarez, avaient cependant, par une inconséquence qui n'a d'explication que dans l'abus brutal de la force, exigé de lui le paiement intégral de toutes les dettes du pays. Les 660,000 piastres volées par le fameux Marquez, avec circonstance aggravante d'effraction des sceaux de la légation britannique, avaient été fournies par le gouvernement constitutionnel.

(2) Voir sa dépêche à M. de Thouvenel, en date du 27 juillet 1864.

maintenir l'ordre, faute de ressources, et que d'ailleurs retarder un paiement n'était point un refus, encore moins un vol, ainsi que le prétendait M. de Saligny.

M. Zamacona aurait pu se faire plus explicite. Il aurait pu abriter son pays derrière l'opinion des publicistes qui ont traité cette question de l'impossibilité, et qui tous, il faut en convenir, l'ont résolue dans un sens favorable au Mexique.

C'est d'abord Martens. Voici comment s'exprime cet.

auteur :

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« L'impossibilité physique, dit-il, dans laquelle une nation se trou» verait d'accomplir un traité, le rend non obligatoire, mais ne la dispense pas d'une indemnité, si cette impossibilité a été prévue » ou causée par sa faute; il en est de même de l'impossibilité mo» rale (1). »

Puis Heffter, dont voici les paroles textuelles :

<< Une convention est frappée d'invalidité, soit à cause d'une im» possibilité d'exécution absolue ou relative, existant déjà lors de l'ori» gine de la convention, soit à cause d'une impossibilité survenue >> particulièrement à la conclusion de la convention, soit enfin à » cause d'un changement arrivé dans les circonstances qui ont motivé » la conclusion de la convention (2). >>

Enfin Vattel qui déclare nettement, en parlant des difficultés qui pourraient s'opposer à l'accomplissement d'un traité, que nul n'est tenu à l'impossible (3). »

Il aurait également pu lui faire l'historique des difficultés sans nombre créées au Mexique par la convention célébrée à Veracruz, dans les premiers mois de l'année 1859, entre le gouvernement de M. Juarez et les amiraux Dunlop et Penaud, et il aurait trouvé dans cette simple exposition assez de faits pour asseoir la conviction du ministre anglais.

En effet, l'acte de Londres, signé le 31 octobre 1861, dans le but ostensible d'exiger des autorités mexicaines

(1) Précis du Droit des Gens, t. I, p. 145, art. 53. (2) Heffler, Das Europacische Völkerscht, 4 édition, art. 98, p. 180.

(3) Droit des Gens, t. I, liv. IV, chap. IV, § 5, p. 325.

une protection plus efficace pour la personne et les propriétés des sujets anglais, espagnols et français résidant au Mexique, et l'exécution stricte de tous les traités célébrés entre les gouvernements d'Angleterre, d'Espagne et de France, d'une part, et la République mexicaine de l'autre, cet acte, dis-je, dont j'aurai bientôt à m'occuper d'une manière toute spéciale, n'était que le second acte d'une tragédie préparée depuis longtemps par MM. de Gabriac et Otway, alors ministres de France et d'Angleterre, et qui aurait eu son dénouement dès le mois de décembre 1858, si les amiraux Dunlop et Penaud, envoyés à Veracruz pour y présenter, pour y soutenir au besoin les réclamations de leurs nationaux, avaient consenti à servir les haines que nourrissaient ces deux ministres contre le gouvernement légitime de M. Juarez.

Alors, aussi bien qu'en 1861, il était question de faire respecter les conventions conclues entre le Mexique et les gouvernements européens, et de soutenir les plaintes des créanciers de la République contre l'irrégularité des paiements qui devaient leur être faits. Si même ma mémoire n'est point en défaut, M. de Gabriac, dès le 25 novembre 1858, avait expédié un ultimatum à M. Gutierrez Zamora, alors gouverneur de l'État de Veracruz, pour le sommer d'acquitter dans les trois jours qui suivraient la réception de sa missive, les termes échus des dividendes garantis par la douane de cette ville, 160,000 piastres, soit un peu plus de 800,000 francs, en le prévenant que, ce délai expiré, si les créanciers n'étaient point satisfaits, il remettrait l'affaire entre les mains de l'amiral Penaud, auquel il expédiait l'ordre de s'emparer de ce port, quitte à le bombarder si cela était nécessaire, et à le livrer ensuite à ses amis de Mexico.

M. Penaud, j'ai hâte de lui rendre cette justice, ne tint aucun compte de ces injonctions passionnées. Il voulut voir de ses propres yeux. Il s'enquit des faits qui s'étaient passés, et après avoir froidement étudié la situation des choses et des partis, il se prononça catégoriquement contre la guerre à outrance que faisait M. de Gabriac au gouvernement constitutionnel, en signant avec ce dernier un traité qui, s'il

laissait à désirer du côté de la modération, n'en restera pas moins dans l'histoire du Mexique, comme un témoignage manifeste du bon vouloir de son auteur.

Je dis de son bon vouloir, et c'était, je l'avoue franchement, tout ce qu'il était moralement possible d'attendre de son intervention.

Pour être juste, il aurait fallu que M. Penaud répondît à M. de Gabriac que du moment où M. Juarez n'était pour lui qu'un insurgé (1), c'était au gouvernement de Mexico, le seul reconnu par la France et l'Angleterre, que les ministres de ces deux puissances devaient présenter leurs récla mations. Mais pour agir ainsi, il aurait fallu avoir le courage de désapprouver hautement la conduite tenue par ces ministres, une année auparavant, et les deux amiraux, tout en la condamnant par leurs actes, n'osèrent pas aller au delà. Ils placèrent les deux gouvernements, celui de Mexico et celui de Vera-Cruz sur la même ligne, et ne pouvant atteindre le premier, ils exigèrent du second la stricte exécution des traités consentis par lui avant la perpétration du coup d'État.

Toutefois, il aurait été souverainement injuste, je dirai plus, déloyal, dans le cas où le gouvernement constitutionnel, épuisé par la guerre civile qu'il soutenait depuis plus d'une année, se serait trouvé dans l'impossibilité de faire face à l'arriéré de sa dette, de profiter de la présence des escadres, ainsi que le voulait M. de Gabriac, pour s'emparer de Vera-Cruz et livrer cette ville à la réaction. M. Dunlop le comprit aussi bien que M. Penaud, et voilà pourquoi, tout en constatant que le traité qu'ils signèrent en cette circonstance laissait beaucoup à désirer du côté de la modération, j'ajoute, cependant, que ce traité n'en restera pas moins dans l'histoire du Mexique comme un témoignage manifeste du bon vouloir de ceux qui l'ont négocié.

Ce traité assignait au payement de la convention française, une somme de 35 p. c., à prélever sur les produits

(1) C'est, comme on le voit, le langage tenu dernièrement au Corps législatif, par M. Rouher.

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