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cesse renaissantes, qui ne faisaient qu'entretenir la résistance du parti réactionnaire en lui laissant espérer que jamais le successeur de M. de Gabriac ne reconnaîtrait le gouvernement constitutionnel. Au lieu de maintenir avec fermeté le droit de surveillance du gouvernement sur une communauté d'origine toute mexicaine, qui n'avait pu s'établir dans le pays sans son consentement exprès, on proposa au ministre de France de s'en rapporter à la décision de son propre gouvernement, et cette grosse difficulté se trouvant ainsi aplanie, M. de Saligny consentit enfin à présenter ses lettres de créance, le 18 mars 1861. Il y avait plus de trois mois que Miramon avait disparu de la scène, et 67 jours bien comptés depuis le retour de M. Juarez dans la capitale.

Depuis lors, M. de Saligny n'a point été heureux dans ses rapports avec les habitants du pays.

Un jour, il s'est permis, en pleine place publique, d'insulter tout ce qui était mexicain, et sans l'intervention du gouverneur du district, il aurait eu une affaire particulière avec le chef de la police, M. Garcia de Leon.

Une autre fois, il s'est figuré qu'on voulait l'assassiner, il a remué ciel et terre pour ne rien prouver du tout, et ne sachant comment sortir d'une impasse où il ne ramassait. que du ridicule, il s'est plaint au gouvernement des caricatures qui paraissaient contre lui dans les petits journaux.

Il est vrai qu'il avait toujours la face empourprée d'un homme qui est ivre, et c'est à cette circonstance qu'il faut attribuer les dessins dans lesquels on le représentait avec une bouteille de cognac à la main.

Mais de toutes ses mésaventures, la plus triste à mes yeux, celle qui a dû, par dessus tout, lui être sensible, c'est l'accusation portée contre lui par Mme Muñoz-Ledo, dont le mari, ancien ministre de Miramon, était un des personnages les plus gravement compromis de la dernière administration.

Celui-ci, pour des motifs faciles à comprendre, avait jugé convenable de prendre la fuite avant l'entrée des libéraux dans la capitale. Sa femme avait proposé son hôtel à M. de Saligny qui s'y était immédiatement installé, et pour ne pas être retardée par les embarras d'un déménagement, elle

avait laissé son linge et la plus grande partie des effets à son usage personnel dans de grandes armoires dont elle avait remis les clefs à son locataire.

Quatre mois après, elle voulut les ravoir. Elle envoya pour cela un fondé de pouvoirs, et prétendit, à son retour, avoir été victime d'un vol dont elle formula les détails dans la pièce ci-jointe, remise par les soins de M. de Saligny luimême, entre les mains du gouvernement libéral.

PLAINTE DE MADAME MUNOZ-LEDO

Madame Clara Garro de Muñoz-Ledo prévient M. de Saligny qu'en recevant de l'interventeur, D. Manuel Perez, le linge et les vêtements à l'usage personnel de la famille qui lui ont été remis avec quelques autres meubles et quelques autres objets par ordre même de M. de Saligny, elle a constaté tout d'abord qu'il lui manquait ce qui suit : 15 douzaines de gants de chevreau, légitimes Jouvin ;

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1 Id.

de bas de soie, première qualité;

3 Jupons en mousseline de coton;

3 pièces de toile de Hollande;

1 réveil-matin.

Ces objets étaient placés dans les armoires d'une salle dont elle avait laissé les clés à M. de Saligny sur sa propre demande. Par conséquent, on doit supposer qu'ils en ont été enlevés ou placés dans un autre lieu avec son autorisation.

Elle n'a pas retrouvé non plus une boîte recouverte de peau, contenant un Atlas général de la République relié en velours, et enrichi d'ornements en or, en argent et en émail; bijou précieux qui se trouvait dans le tiroir d'un lavabo placé dans la garde-robe contiguë à la chambre qui donne sur la rue, et dont elle avait conservé la clé. En conséquence, elle a dû être enlevée en fracturant la serrure de ce meuble, ou en la forçant d'une autre manière.

Mexico, 14 mai 1861.

Signé MUNOZ-LEDO.

La réponse de M. de Saligny, toute entière de sa main, est datée du même jour. Elle est écrite sur papier libre et ne porte pas de signature. La voici, telle qu'elle est conservée dans les archives du gouvernement mexicain.

«Le ministre de France en permettant à Me Muñoz-Ledo de laisser les effets à son usage personnel dans les armoires qui garnissent la maison de la rue Vergara (permission dont, par parenthèse, Mme Muñoz-Ledo a étrangement abusé en se refusant obstinément, pendant plus de 4 mois, à retirer ces objets) le ministre de France a toujours ignoré ce que contenaient les armoires dont Mme Muñoz-Ledo avait naturellement conservé les clés; comme il ignore ce qui a été retiré desdites armoires par les personnes chargées par Mme Muñoz-Ledo d'en faire l'ouverture.

» L'assertion de Mme Muñoz-Ledo qu'elle aurait laissé au ministre de France la clé d'une armoire contenant ses robes, chemises, etc., renferme à la fois un non sens et un mensonge qui se réfutent d'euxmêmes.

» En ce qui touche l'Atlas mentionné par Mme Muñoz-Ledo, tout ce que sait le ministre de France c'est que, peu après son arrivée dans le pays, il a entendu parler d'un Atlas qui aurait été fait, dans le temps, par les soins et aux frais du gouvernement mexicain, pour être offert à S. M. l'empereur des Français. Cet Atlas avait disparu et l'on accusait tout haut M. Muñoz-Ledo de l'avoir soustrait.

» L'accusation aussi stupide qu'ignoble d'avoir forcé et fracturé une armoire est trop méprisable, et par sa nature même et par la source d'où elle émane, pour que le ministre de France s'abaisse à y répondre. Il se bornera à remettre la note de Mme Muñoz-Ledo au gouvernement pour que celui-ci agisse selon qu'il le jugera convenable.

» Le ministre de France convaincu qu'on ne peut que se salir au contact de certaines gens, ne veut avoir aucun rapport avec la famille Muñoz-Ledo.

» Mexico, 14 mai 1864. »

Il ne m'appartient pas de me prononcer sur la valeur, je dirai plus, sur la moralité de ces deux accusations. Je constate seulement que Mme Muñoz-Ledo, femme d'un exministre de M. Miramon, accusait M. de Saligny, ministre du gouvernement français, de lui avoir volé un Atlas de la République, relié en velours, avec ornements en or, en argent et en émail, en fracturant le tiroir d'un lavabo, et que M. de Saligny, tout en reconnaissant l'existence du susdit Atlas, accusait à son tour M. Muñoz-Ledo de l'avoir volé. La question reste pendante entre eux et je continue la suite de ma narration.

V

Difficultés que rencontrait M. Juarez pour rétablir l'ordre dans la République.

Pendant ce temps la révolution commencée au Mexique, pour y implanter la réforme, poursuivait ses phases normales au milieu d'une série d'épreuves dont les résultats indiquaient chaque jour sa force d'expansion particulière et l'appui qu'elle rencontrait dans les masses jusqu'alors exclusivement soumises aux tendances rétrogrades du clergé. En 1858, tout le monde pensait qu'il lui serait impossible d'en finir avec ce pouvoir colossal, qui disposait de ressources aussi immenses, et comptait en outre sur les secours indirects que lui valait la reconnaissance du coup d'État par les représentants de la France et de l'Angleterre. La lutte avait été vive, longue et terrible, mais enfin elle s'était terminée par le triomphe complet de la révolution, et ce triomphe était d'autant plus glorieux qu'il avait été plus chèrement disputé. Mais aussitôt que le gouvernement légitime voulut traduire en faits les principes régénérateurs proclamés par la réforme, la réaction vaincue sur les champs de bataille de Loma-Alta, Peñuelas, Silao, Calderon et Capulalpam, releva soudainement la tête, et essaya de mettre à profit les difficultés que rencontrait le gouvernement constitutionnel dans son grand travail de réorganisation sociale, politique et administrative, interrompu par les trois années de lutte qu'on venait de traverser. Les restes encore armés de ce parti se réunirent par petites bandes dans les lieux où l'action du gouvernement n'aurait pu s'étendre qu'après avoir complétement pacifié l'intérieur, et, chose triste à avouer, ces hordes sans couleur politique, qui même ne cachaient aucune de leurs espérances anti-sociales, trouvaient un appui, non-seulement chez les hommes qui s'attribuaient, je ne sais trop pourquoi, le privilége exclusif

des sentiments d'ordre et de modération, mais, ce qui est pis, chez plusieurs représentants des nations étrangères. La diplomatie qui avait déjà commis la faute, pour ne pas dire plus, de reconnaître l'abominable dictature d'un Zuloaga et d'un Miramon, s'oublia de nouveau jusqu'au point, je ne dirai pas de pactiser ostensiblement, mais de voir avec un certain plaisir les courses de ces malfaiteurs qui se montraient, çà et là, sur les points sans défense, et signalaient en tous lieux leur passage par l'assassinat et la ruine des propriétés (1). Quelques-uns des membres du corps diplomatique ne prenaient pas même la peine de dissimuler leur sympathie en faveur des efforts que tentait le parti réactionnaire, vaincu et méprisé, pour s'emparer de nouveau du pouvoir; plusieurs des individus les plus compromis dans les événements des trois dernières années avaient trouvé un asile dans leurs légations, et protégés par les priviléges inhérents à ces demeures, ils pouvaient impunément y tramer de nouvelles conspirations (2).

(4) Le général Marquez, l'un d'eux, Commandeur de la légion d'honneur par la grâce de l'intervention, dans le courant du mois de mai 1861, fit enlever de sa propriété M. Melchior Ocampo, ancien ministre de M. Juarez, un des hommes les plus purs de la République, et l'assassina lui-même, le 3 juin suivant, à Tepiji del Rio, parce qu'il refusait de lui souscrire un billet de 5,000 piastres pour payer son rachat.

Le 23 du même mois, il fit fusiller le général Leandro Valle, et son aide-de-camp M. Achille Collin.

La première de ces généreuses victimes a été fusillée par derrière, sous prétexte que le général, en prêtant serment au gouvernement constitutionnel, avait trahi la religion catholique; la seconde, née en France ainsi que l'indique son nom, ayant appris que son général avait été fait prisonnier, s'était généreusement présenté au camp de Marquez pour y partager le sort de son chef, et fut en récompense fusillé, puis pendu.

Enfin, il commandait la bande de voleurs qui avait assassiné quelques jours auparavant, un autre de nos compatriotes, M. Pierre Lacoste, ainsi que cela résulte d'un rapport inséré dans le numéro de l'Estafette du 13 mai 1861.

(2) Le général Robles, l'un d'eux, arrêté quand il se rendait au camp des alliés, et dont la mort juste, puisque c'était celle d'un

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