Page images
PDF
EPUB

Cependant il n'en fit rien. Il sacrifia généreusement, dans l'espoir d'obtenir la paix, tous les droits qu'il aurait pu revendiquer si facilement; et le clergé, loin de se montrer reconnaissant, n'eut point honte de spéculer sur une bonté qui lui paraissait une faiblesse d'autant plus surprenante qu'au moment dont je parle les libéraux pouvaient tout oser. Il refusa de se prêter à une transaction qui, tout en lui laissant la valeur intégrale de ses biens, lui enlevait, avec la propriété foncière, la force dont il avait jusqu'alors abusé pour maintenir les populations sous le joug abrutissant de la sacristie, et lança toutes ses foudres à la tête de ceux qui pourraient être tentés de profiter de la loi nouvellement promulguée par le gouvernement.

Ce n'était cependant pas la première fois que le parti dominant se permettait de porter la main sur l'arche, trois fois sainte aux yeux du clergé, de la propriété de l'Église. Sans entrer ici dans le détail des exactions sans nombre commises par les Espagnols pendant les dernières années de leur séjour dans la République, il était publiquement notoire que, depuis 1833, il n'était point arrivé de changement au Mexique sans que le parti vainqueur, libéral ou réactionnaire, n'eût essayé d'entamer d'une manière quelconque ces revenus jusqu'alors réputés sacrés. La seule différence qu'il y avait entre eux, c'est que, quand les libéraux étaient au pouvoir, ils étaient combattus dans toutes. leurs aspirations d'avenir par les réactionnaires; tandis qu'au contraire, quand ceux-ci dominaient, ils pouvaient trancher impunément dans le vif en s'abritant derrière les nécessités de veiller à la sûreté commune.

Cette fois, les robes noires jouaient leur va-tout. Il leur fallait renverser à tout prix une révolution qui les menaçait dans ce qu'ils avaient de plus cher, dans leurs biens et dans leurs priviléges, ou se résigner à subir la loi commune.

Se résigner, le clergé ne le pouvait pas. C'eût été de sa part une véritable abdication; pis qu'une abdication, un suicide; et si le clergé n'abdique jamais, il se suicide encore moins. Nous en avons pour garant celui de France, au moment de la Révolution de 1789, et, de nos jours, celui de Rome.

Restait la lutte. Mais comment triompher avec les armes spirituelles, les seules dont il disposait, contre les canons du gouvernement? Il intrigua, selon son habitude, un peu d'un côté, un peu de l'autre, et parvint, je ne dirai pas à lier à sa cause, ces gens-là ne se battent jamais sans se faire grassement payer, mais à soudoyer les dévouements, faméliques de quelques condottieris subalternes qui, comme Zuloaga, avaient gagné leurs épaulettes dans un tripot, ou bien comme Miramon, en se prononçant alternativement contre tous les gouvernements qui avaient administré les affaires de leur pays.

La protestation partit à la fois de l'armée et du clergé.

De l'armée, sous prétexte de punir la révolution d'avoir aboli les priviléges de la soldatesque et rendu les officiers, sans distinction de grade, justiciables, comme les autres citoyens, de la loi commune.

Du clergé, pour les motifs énoncés plus haut.

Les deux corps réunirent leurs haines pour exercer une pression sur l'esprit honnête, mais indécis, du président Comonfort, et le 17 du mois de décembre 1857, c'est-à-dire, 16 jours seulement après avoir prêté son serment, celui-ci, renversant la constitution qu'il venait de jurer, précipita son pays dans les horreurs d'une lutte qui devait aboutir à l'intervention.

III

Conséquences du coup d'État du 17 décembre 1857.

M. Comonfort dont, par deux fois déjà, j'ai eu l'occasion de parler, était un des principaux initiateurs d'un mouvement connu au Mexique sous le nom de mouvement d'Ayutla, et avait ainsi coopéré, en 1855, à l'expulsion du général Santa-Anna, dernier représentant du principe absurde des pronunciamientos.

Je dis qu'il était un des principaux initiateurs, et non le principal, parce que, après la fuite du dictateur, 4 octobre 1855, le général Alvarez, gouverneur constitutionnel de l'État de Guerrero, avait été nommé, d'un commun accord, président provisoire, et chargé, en cette qualité, de l'administration de la République, jusqu'à la promulgation de la nouvelle constitution. Mais ne pouvant, vu son grand âge, veiller lui-même avec tout le soin désirable sur le dépôt qui lui avait été confié, il s'était donné un substitut dans la personne de M. Comonfort et celui-ci, nommé définitivement président de la République dans les comices du peuple, avait prêté son serment le 1er décembre 1857, 16 jours seulement, comme je l'ai dit, avant de se lancer dans les hasards du coup d'État.

Cette défection, toute désagréable qu'elle fût, ne changeait cependant rien à la situation du pouvoir. Elle avait été, je ne dirai pas prévue, mais reconnue possible par la charte de 1857 elle-même, et si les royalistes ont parfois raison de dire le roi est mort, vive le roi! je ne vois pas trop pourquoi le gouvernement d'une République chômerait par suite de la trahison de son président.

:

En effet, l'article 103 de la Constitution dont il s'agit, avait décidé, le cas échéant, que l'auteur d'un aussi grave

attentat serait immédiatement mis en jugement (1); et conformément aux stipulations de l'art. 79 du même pacte, ses fonctions, jusqu'à la nomination de son successeur, devaient être remplies par le président de la Cour suprême de justice (2). De cette manière, il n'y avait qu'un changement de personne, je ne voudrais pas dire de nom, et M. Comonfort en était lui-même si bien convaincu que, le 17 décembre au matin, en se lançant dans son aventure liberticide, son premier soin avait été de faire arrêter M. Juarez, parce qu'il était son successeur désigné.

Du reste, M. Comonfort s'aperçut bientôt du triste rôle qu'on lui faisait jouer. Mais trop faible pour oser avouer publiquement l'erreur dans laquelle il était tombé, et se livrer ensuite à la justice du Congrès, il préféra biaiser et continuer à louvoyer entre les partis, espérant, sans doute, opposer habilement le crédit du président de la Cour suprême à l'influence tracassière du chef des prononcés, et l'ambition du général de l'armée contre- révolutionnaire au patriotisme bien connu du président provisoire désigné par la Constitution. Dans ce but, il fit arrêter, le 10 janvier 1858, le général Zuloaga, chef du mouvement; mais cette fois encore, cette politique double, par conséquent fausse,

(1)

ART. 103.

Constitution de 1857.

Les députés au Congrès de l'Union, les membres de la Cour suprême de justice et les secrétaires d'État sont responsables pour les délits qu'ils peuvent commettre contre le droit commun pendant tout le temps de leurs fonctions, ainsi que pour les crimes, absences ou omissions dont ils pourraient se rendre coupables dans l'exercice de ces mêmes fonctions. Les gouverneurs des États le sont également pour infraction à la Constitution ou aux lois fédérales. Il en est de même du président de la République; mais pendant le temps de sa magistrature, il ne pourra être accusé, si ce n'est pour crime de haute-trahison envers la patrie, violation flagrante de la Constitution, attaque à la liberté des élections ou crime qualifié contre le droit commun.

(2) ART. 79. — En cas d'absence absolue ou momentanée du président de la République, le président de la Cour suprême de justice en exercera les fonctions, jusqu'à l'installation de son successeur.

échoua devant la logique impitoyable des partis; et bon gré mal gré, il lui fallut rendre la liberté à ses deux prisonniers, à M. Juarez et à M. Zuloaga. Le premier, rendu à la liberté le 11 janvier, quitta immédiatement la capitale pour aller organiser le gouvernement à Guanajuato; le second, heureux d'en être quitte à si bon marché, s'enferma dans la citadelle, bien décidé à ne plus livrer sa fortune aux mains de M. Comonfort, et bientôt celui-ci, abandonné de tous, sans partisans ni prestige, ne pouvant compter ni sur les réactionnaires qui le méprisaient après en avoir fait leur complice, ni sur les libéraux qu'il avait si indignement trahis, comprit enfin que son jour était venu, et se démit de fait de la présidence qui ne lui appartenait plus en droit en signant, dès le 15 janvier, les décrets que nécessitait la situation en qualité de général en chef de l'armée, et non plus comme président de la République (1).

De cette manière, il y eut pour la première fois deux gouvernements dans le pays : l'un réactionnaire et qui, bien que reconnu par les ministres étrangers, ne comptait d'adhérents que dans les villes de Mexico, Querétaro et Puebla; l'autre, libéral, et dont le pouvoir, nié par ces mêmes ministres, s'étendait cependant sur les États entiers de VeraCruz, Yucatan, Guerrero, Michoacan, San-Louis, Guanajuato, Zacatecas, Jalisco, Colima, Durango, Cohahuila, Nuevo-Leon, Tabasco, Chiapas, Chihuahua, Sonora, Sinaloa, et même sur une grande partie du district de Mexico.

Il serait trop long, peut-être même fastidieux, de raconter jour par jour les faits et gestes de ces deux gouvernements, mais comme il faut à toute force en parler, ne fût-ce que pour donner au lecteur une idée de leur moralité respective, je me contenterai d'en tracer les éphémérides.

Voici celles de la réaction :

(1) Voir les deux décrets des 15 et 16 janvier 1858, relatifs, le premier, à l'embauchage, le second, à l'introduction dans la ville des denrées de première nécessité.

« PreviousContinue »