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nation, qui fait toujours une avec elle, et qui, dans aucun cas, ne peut, sans félonie, être employée à son détriment.

Qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, peu importe! le soldat n'est et ne doit être qu'un citoyen temporairement armé, sorti des rangs du peuple pour défendre la patrie commune contre les attaques de l'étranger, et qui, son temps de service terminé, doit y rentrer, quelque soit son grade, par le licenciement ou par la retraite. Il n'est à la solde d'aucun roi, d'aucun despote, d'aucun prétendant, mais à celle de la patrie, et s'il est tenu de servir son pays, il ne saurait, dans aucun cas, faire une classe à part.

Quant au clergé, puisqu'à toute force il nous faut encore revenir à lui, le clergé avait fait son entrée au Mexique, dès l'année 1521, côte à côte avec Fernand Cortez, un crucifix d'une main, un pistolet de l'autre, assassinant pour la plus grande gloire de Dieu tous les indiens, mâles ou femelles, assez malheureux pour ne pas comprendre que, dans certaines circonstances, un était logiquement égal à trois, tandis que, dans d'autres, trois ne sauraient jamais faire qu'un.

Sa conduite privée était alors si scandaleuse, que Cortez lui-même, dans une de ses lettres à Charles-Quint, s'était vu contraint de le supplier de lui envoyer d'Espagne des réguliers aux lieu et place des séculiers (1), « dont le luxe, » disait-il, dépassait tout ce qu'on pouvait imaginer, et dont › les exactions, pour enrichir leurs bâtards, causaient un » scandale permanent au milieu des indiens nouvellement > convertis. >

Depuis lors la superstition, en consolidant leur pouvoir, n'a fait qu'augmenter le mal, et si nous en croyons l'abbé Domenech, un témoin que les intéressés n'oseront certainement pas refuser, puisqu'il est prêtre comme eux, il paraît que dans l'intérieur du Mexique, plusieurs curés auxquels il s'est adressé, ne lui ont refusé l'hospitalité que pour lui interdire la vue de leurs cousines, de leurs nièces et de la nombreuse progéniture qu'ils avaient obtenue des unes ou des autres.

Le peuple, dit-il, dans un passage trop précieux pour ne

(1) C'est-à-dire des moines aux lieu et place des prêtres.

pas être cité tout au long (1), le peuple trouve cela assez naturel et ne plaisante sur la conduite de ses pasteurs que lorsqu'ils ne se contentent pas d'une seule femme.

Une fois, un de ses amis demandait à la maîtresse d'un curé comment elle ne craignait pas d'aller en enfer en vivant maritalement avec un homme qui disait la messe tous les jours? - Monsieur, lui répondit-elle en colère, apprenez que je suis une honnête femme, et que je ne vivrais pas avec M. le curé, si nous n'étions pas mariés légitimement.

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En effet, poursuit l'abbé Domenech, dans l'État de Oajaca, il aurait peut-être pu dire dans le Mexique tout › entier, — il y a des prêtres qui se marient publiquement › pour ne scandaliser personne, et bien que le célibat du prêtre soit une institution purement ecclésiastique, je ne › sais comment ces messieurs s'arrangent pour contracter > des unions légitimes. »

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Une femme qu'il interrogeait un jour sur ces singulières unions, lui répondit avec autant de franchise que de candeur Mes compatriotes préfèrent vivre avec les prêtres

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qu'avec les laïques, parce qu'elles sont mieux entretenues, > et les pauvres créatures sont si malheureuses qu'elles › cherchent de préférence une maison où elles soient sûres » de trouver toujours de bons vêtements et du pain (2). »

Malgré cela, c'est toujours l'abbé Domenech qui parle, le prêtre et sa femme ne sont pas déshonorés. On les respecte même, s'ils font bon ménage.

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« Un marchand, dit-il encore, fatigué d'attendre le prix d'une robe qu'il avait vendue à la femme d'un prêtre, s'avisa un jour d'aller lui en demander le montant, ajoutant que si elle ne le payait pas, il allait la faire appeler devant le juge; mais elle, sans s'émouvoir, lui rappela qu'elle appartenait à la mitre sacrée, c'est-à-dire qu'en se prostituant à un prêtre elle avait acquis le droit de partager avec lui tous les priviléges dont il jouissait (3), et le marchand fut obligé de se contenter de cette réponse.

(1) Le Mexique tel qu'il est, par l'abbé Domenech, p. 129 et 130. (2) Idem, p. 130.

(3) Avant la promulgation de la loi du 22 novembre 1856, appelée

« Quelques évêques, poursuit l'abbé, gémissent de cette situation, mais ils ont bien de la peine à la changer. D'au tres l'encouragent sans s'en douter, par leur bonhomie. Je me souviens qu'un de ces prélats, passant un jour dans un village près de sa ville épiscopale, le curé lui dit :

Monseigneur, ayez la bonté de bénir mes enfants et leurs mères. ›

Le bon évêque les bénit, il y en avait plein la chambre. Un autre fit mieux encore, il baptisa l'enfant d'un de ses

curés.

Et tout cela se termine par une phrase qui sent le protestantisme d'une lieue: Un clergé pareil peut-il faire des saints (1)?

Pour ma part, je ne le pense pas; mais ce dont je suis persuadé, c'est qu'une pareille polygamie de la part de gens qui ont fait vou de continence et qui ont jeté le masque, ne pouvait se maintenir qu'à l'ombre des priviléges particuliers dont ils s'étaient emparés.

Les prêtres, en leur qualité de prêtres, jouissaient donc de certaines prérogatives qui leur étaient personnelles. Ces prérogatives, générales comme celles de l'armée, se subdivisaient, comme ces dernières, en autant de branches qu'il y avait de rameaux dans le corps du clergé; et si l'on veut se faire une idée à peu près juste de ce qu'ils pouvaient être, il faut d'abord se pénétrer de l'influence qu'ils exerçaient sur toutes les affaires publiques, puis de la vaste accumulation de richesses qu'ils étaient parvenus à extorquer, par tous les moyens que l'avarice peut suggérer, soit aux Espagnols, soit aux indigènes.

En 1827, époque où fut fait le premier recensement officiel, ils possédaient dans la République 150 couvents, sans compter un nombre infini d'églises paroissiales. Ils recevaient, au moyen de cette exaction de nature juive qu'on nommait la dîme, le dixième de tous les revenus du pays,

aussi loi Juarez, du nom de son auteur, un des priviléges du clergé était de ne jamais répondre devant un juge laïque; il fallait le citer devant un juge ecclésiastique.

(1) Le Mexique tel qu'il est, p. 131.

et bien que cet impôt eût été aboli, en 1833, par le gouvernement, ils ne continuèrent pas moins à le prélever sur les simples.

Ils possédaient, en outre, pour 300,000,000 de piastres, soit 1,500,000,000 de francs, de propriétés particulières, et n'étaient point encore satisfaits.

Dans la seule ville de Mexico, ils étaient propriétaires de 500 maisons, estimées ensemble d'une valeur de 80,000,000 de piastres, soit 400,000,000 de francs, et le montant de leur portefeuille, porté en 1805 à la somme de 44,000,000 de piastres soit 220,000,000 de francs s'élevait encore à la moitié de cette somme, même après les nombreuses saisies auxquelles il avait été soumis pendant les dernières années du gouvernement espagnol.

Le clergé possédait donc à lui seul tout un tiers de la fortune mobilière et immobilière de la République. Il gouvernait à la fois les consciences et les volontés: les consciences, par la confession et la crainte des flammes éternelles; les volontés, par l'appât des intérêts égoïstes et peureux ; et ce fut à ces deux raisons extrêmes qu'il eut recours, en 1857, pour grouper dans une même haine contre les lois des 25 juin et 22 novembre 1856, les scrupules plus que naïfs du président Comonfort, et les appétits sans cesse renaissants des chefs de l'armée.

La première de ces lois, nommée aussi loi Lerdo, du nom de son auteur, le citoyen Miguel Lerdo de Tejada, avait pour but de venir en aide à la propriété en faisant passer les biens de main-morte dans la circulation; tandis que l'autre, connue également sous le nom de loi Juarez, parce qu'elle était plus particulièrement l'œuvre du président actuel, alors ministre de la justice, supprimait toutes les juridictions particulières dont j'ai parlé plus haut, pour soumettre les membres jusqu'alors privilégiés de l'armée et du clergé aux règles invariables du droit commun.

Du reste, il n'y avait eu aucune spoliation.

Dans le second cas, il ne pouvait pas y en avoir, puisque ce n'était, après tout, que la réforme d'un abus : et quant au premier, voici comment les choses auraient dû se passer sans l'intervention du coup d'État du 17 décembre 1857 :

Le droit de propriété des chapitres et des couvents avait, été reconnu formellement par l'article 1er de la loi du 25 juin. Mais comme il s'agissait de faire passer cette propriété dans la circulation, il avait été décidé que le revenu de chaque immeuble serait capitalisé en prenant pour base d'estimation la vente dudit immeuble estimée comme si elle eût été la représentation d'une somme prêtée à 6 p. c. d'intérêt par an, et pour indemniser les anciens ayants droit, on avait ajouté que ce capital serait remboursé une fois pour toutes et par annuités aux chapitres et aux couvents par les locataires principaux substitués, dans l'économie de la nouvelle loi, aux droits désormais périmés des anciens proprić. taires.

Ce n'est pas tout encore.

Les propriétés du clergé, ainsi que je l'ai expliqué plus haut, se divisaient en deux classes composées, l'une des capitaux hypothéqués sur des propriétés particulières, rurales ou urbaines, l'autre des propriétés foncières situées en grande partie dans les villes.

De ces deux espèces de propriétés, une partie provenait de la munificence de l'Etat ou des ayuntamientos (1); l'autre, de donations arrachées par les ecclésiastiques, séculiers et réguliers, à la faiblesse des moribonds; et dans ce dernier cas, le plus important sans nul doute, chaque legs imposait certaines conditions dont les donataires ne pouvaient s'affranchir sans perdre immédiatement les bénéfices de la donation entière.

Or, il était publiquement notoire que, depuis bien longtemps, les chapitres et les moines ne tenaient aucun compte des conditions imposées par les testateurs.

Un gouvernement moins honnête, moins scrupuleux, je serais presque tenté de dire moins débonnaire, aurait donc pu, en plus d'un cas, disputer au clergé une portion plus ou moins grande de ses propriétés; et s'il l'eût fait, il aurait certainement trouvé dans les tribunaux nommés sous l'influence des idées nouvelles des juges disposés à accueillir ses prétentions.

(1) Municipalités.

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