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peine d'hier, et qu'un grand nombre de ses membres eussent acquis leurs titres moyennant finance, cette noblesse a déjà perdu son prestige et se confond chaque jour de plus en plus dans la foule. Les marquis de Salinas, de Salvatierra et de San Juan de Rayas, les comtes de Casa de Heras Soto, de Tula et de Regla, ont signé en compagnie des hommes les plus obscurs l'acte d'indépendance de leur pays. J'ai personnellement connu le descendant des marquis de San Cristóbal et celui des comtes de Santiago. Le premier était de mon temps gouverneur de Mexico, le second occupait avec autant de dignité que de modestie un simple siége municipal, et quant aux fils du marquis de Guadalupe, ils étaient tout simplement officiers dans la garde nationale...

Où donc dans tout cela est la cour? où donc est l'opinion dont devait s'entourer en 1821 le général Iturbide, et dont 40 ans plus tard aurait encore dû s'entourer l'archiduc Maximilien pour établir leur gouvernement imaginaire, si ce n'est dans l'esprit de quelques visionnaires attardés dont la montre n'a pas marché depuis le temps de la domination espagnole? De quel droit les Almonte et les Hidalgo sont-ils allés à Vienne, mettre en vente la nation, comme s'il eût été question d'une marchandise qui leur appartenait? A quel titre, en vertu de quels pouvoirs se sont-ils conduits ainsi? Et parce qu'ils l'ont fait, parce que quelques individus ont publié sur le Mexique des articles anonymes pleins de calomnies et de faussetés; parce que même 215 prétendus notables, sans capacité ni mandat, ont adjugé l'empire, sous la pression du général Forey, à celui qui était désigné à l'avance, peut-on dire pour cela que la nation ait été réellement consultée?

Il y a plus, les mœurs, je dirai même le caractère des habitants du Mexique s'opposent à l'établissement du régime monarchique. On y jouit d'une véritable égalité. Celui qui est aujourd'hui général, dépose demain les armes et rentre dans la vie privée. Les ministres occupent et désoccupent leurs postes, puis rentrent chez eux, sans autre distinction que celle qu'ils ont su mériter par leur caractère; la carrière de tous les hommes publics est connue, comme la fortune de tous les riches, et tel que l'on a connu capitaine,

commerçant, avocat, simple particulier, s'élève soudain par le hasard, par son mérite ou par d'autres causes, au rang de général, ou dans la magistrature, puis, son mandat terminé, il rentre dans les rangs du peuple, d'où il était sorti, et c'est à peine si, de temps à autre, on entend encore pro

noncer son nom.

Et pourtant, malgré toutes ces causes qui auraient dû exercer une influence décisive sur les destinées du pays, le gouvernement du Mexique, il faut bien l'avouer, quoique classé dans la catégorie des gouvernements républicains, a été plus ou moins libéral, plus ou moins réactionnaire, selon que les tendances des individus qui occupaient le fauteuil présidentiel étaient plus ou moins portées vers la dictature; et ce n'est qu'à partir de 1858, c'est-à-dire, de la magistrature de M. Juarez, que l'administration en est devenue franchement républicaine.

Mais réactionnaire ne veut pas dire monarchique. Il y a entre ces deux termes la distance d'un monde, surtout dans un pays comme le Mexique, où l'on était réactionnaire ou libéral, selon que l'on acceptait plus ou moins l'omnipotence de la sacristie, et c'est probablement pour ne point avoir tenu compte de la différence qui existe entre ces deux mots que le chef du gouvernement français s'est précipité si follement dans les hasards d'une aventure si contraire au génie de la France, si nuisible à ses intérêts, et dont il ne pouvait, en aucun cas, recueillir que de la honte.

II

Causes principales de l'anarchie qui a régné jusqu'à ce jour au Mexique.

Quand, en 1810, les premiers patriotes mexicains proclamèrent l'indépendance de leur patrie et arrachèrent leur pays au joug humiliant de l'Espagne, les prêtres s'alarmèrent tout d'abord d'un mouvement dans lequel leur parti n'était pour rien, et qui, s'il réussissait, devait avoir pour conséquence de mettre en péril leurs nombreux priviléges, leurs immenses richesses, et leur influence sans contrôle. Ils s'opposèrent donc à la révolution, et je dois ajouter que les Espagnols demeurèrent triomphants tant que le clergé consentit à faire cause commune avec eux.

Mais, pendant que cela se passait dans la colonie, de graves changements avaient lieu dans la mère-patrie. Les Cortès espagnoles, poussées malgré elles par les idées qu'avait jetées sur le monde la révolution française, avaient sanctionné plusieurs décrets diminuant d'une manière sérieuse les priviléges personnels du clergé de la Péninsule, et avaient publié des lois ayant pour but d'arriver progressivement au désamortissement complet de son immense propriété. Alors, celui du Mexique changea de manière de voir, et sur les hommes et sur les choses de son pays. Il s'aperçut tout à coup de ce qu'il aurait à perdre si les lois décrétées par les Cortès espagnoles recevaient leur effet au Mexique, et comprenant qu'il lui serait très-facile, au milieu de la crise, d'organiser un gouvernement dévoué à ses intérêts personnels, ne vivant que par lui et pour lui, il résolut d'adopter la cause de l'indépendance. Ce fut alors seulement que cette cause triompha.

Depuis, il s'est établi une lutte de jour en jour plus marquée, par conséquent plus forte, entre le clergé qui voulait conserver le contrôle dont il s'était emparé sur le gouverne

ment, et les véritables patriotes qui, voyant qu'il n'y avait pas d'espoir de rendre le Mexique ce qu'il doit être, sans adopter les principes de la liberté la plus grande, commencèrent à jeter les bases d'un gouvernement libéral et populaire, destiné à mettre un terme aux usurpations du clergé dont l'ambition, conduite par des motifs uniquement personnels, était toujours en opposition avec le bien du pays.

Le résultat d'une pareille lutte ne pouvait pas être un seul instant douteux, surtout si l'on veut prendre en considération le pouvoir, l'influence et les ressources dont disposait un des antagonistes.

Chaque fois que le parti libéral, favorisé par les hasards du scrutin, parvenait à faire nommer un gouvernement national, je veux dire un gouvernement qui ne consentait pas à se faire le très-humble serviteur des prêtres, mais qui voulait faire des lois en faveur de l'immigration étrangère, de l'ouverture des routes, de la construction des chemins de fer, de l'exercice libre et public de toutes les religions, de la liberté de la presse, de la réduction des droits d'importation, etc., etc..., en faveur, pour tout dire, du développement normal de toutes les richesses naturelles et des vastes ressources du pays, vite le clergé organisait un pronunciamiento contre ce gouvernement et se scrvait de ses immenses richesses pour le payer; de son influence néfaste pour en assurer le succès. De cette manière, les hommes à coups d'Etats et les majordomes de l'Eglise avaient seuls qualité pour écrire la Charte politique de l'endroit, et ce pays si beau, si favorisé par la nature et par le soleil, ne connaissait, en fait d'ordre, que des dispositions arbitraires, fausses, opposées aux tendances naturelles de ses populations, par conséquent violentes, par conséquent instables.

Un ordre factice construit ainsi par le jeu des ambitions cléricales, qui opprimait les sympathies les plus saintes, les plus vivaces du peuple, devait être miné sans cesse par la conjuration des forces sur lesquelles il pesait. C'était done la guerre civile en permanence, la guerre civile toujours latente ou patente, c'est-à-dire, le désordre servant de base à un ordre de choses arbitraire.

Et pourtant ce désordre doublé de force, c'est ce que les

ministres de M. Bonaparte, en compagnie de tous les sacristains du Mexique et des assassins de Tacubaya osaient appeler l'ordre public et les garanties.

Le maintien de cet ordre faux, compressif, arbitraire, exigeait, année commune, le maintien d'une armée de 20,000 hommes au moins, et dévorait annuellement aussi une somme de 10,950,000 piastres, soit, en chiffres ronds, plus de 55,000,000 francs, pour l'imposer par la force aux populations qui le rejetaient.

Dans les temps difficiles comme ceux que la République a eu à traverser pendant les années 1858, 1859 et 1860, ce n'étaient pas seulement 40,000, c'étaient plus de 60,000 hommes qu'il fallait compter, en prenant les forces des deux côtés, et plus de 33 millions de piastres, soit 165,000,000 de francs qu'il absorbait seulement pour ses frais généraux.

Ces soixante mille hommes enrégimentés pour la tuerie, le service des robes noires et les plus grands avantages du sabre, étaient, en force et en activité, l'élite des populations laborieuses. Ils perdaient, à ne point produire, autant pour le moins qu'ils dépensaient en s'exerçant à détruire. C'étaient donc plus de 330,000,000 de francs, c'est-à-dire, au taux sensiblement réduit pour le pays de 6 p. c., la rente d'un capital de 5,300,000,000 de francs que l'agriculture, l'industrie, le commerce, la propriété et le travail sacrifiaient annuellement depuis près de quarante ans au Mexique, pour le maintien de l'ordre selon les intérêts du goupillon, les prétentions du sabre et les aspirations des agioteurs.

D'où il suit que c'était précisément parce que l'ordre, à la façon des prêtres et de l'armée, avait contre lui toutes les populations du pays, qu'il fallait chaque année 55,000,000 de francs au moins, et quelquefois jusqu'à 330,000,000, pour l'entretenir et l'imposer par la force à ces populations.

L'armée, cependant, il faut bien qu'on le sache, n'est point un corps de janissaires, une cohorte de prétoriens, ainsi que paraissent malheureusement tentés de le croire, tous ceux qui, par aventure, ont le droit de se promener avec un grand sabre suspendu à leur côté. C'est le fruit de l'impôt du sang, une force vive tirée au sein même de la

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