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écarter toute difficulté, j'ai négligé la direction elle-même de ces vents. Il eft temps d'en montrer toute l'influence.

129. Les vents, dirigés de l'équateur au pôle, perdent continuellement de leur chaleur; dans l'état de faturation parfaite, ils dépoferont donc fur chaque point de leur route une portion de leur charge, puifqu'ils ne peuvent fe refroidir fans dépofer. Ces vents feront donc humides fans s'élever; ils donneront donc la pluie à la furface parfaitement horizontale de l'Océan : & cette fecrétion fera d'autant plus abondante, que le vent fera plus rapide. Si l'air eft porté de l'équateur avec 20 mefures d'eau, fi fon refroidiffement l'empêche de foutenir plus de 3 mefures fous le cercle polaire, il dépofera 17 mefures fur l'arc du méridien compris entre le cercle polaire & l'équateur; fi même, en partant de l'équateur, il n'a pu trouver que 12 mefures à afpirer, tandis qu'il en faut 20 pour fa faturation, il pompera à la vérité, en courant, tout ce qui peut lui donner les 8 mefures qui lui manquent: mais, chemin faisant, il arrive à des latitudes où il ne peut foutenir que fes 12 mefures, & il ne prendra plus rien, commençât-il à trouver des mers. Sa faturation eft complète refpectivement au lieu, parce que fa charge & fon avidité font en équilibre; il avance toujours cependant, & trouve une latitude qui le refroidit affez pour qu'il ne puiffe fufpendre que 7 mefures d'eau: il aura donc dépofé mefures depuis le point & le moment d'équilibre jufqu'à cette dernière latitude, & dépofera encore 4 mefures avant d'atteindre le cercle polaire, où il n'en peut foutenir que 3; il part avide, il arrive faturé, quoiqu'il ait dépofé 9 en chemin.

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130. Ce même vent peut reprendre fon humidité en defcendant d'une montagne dans une longue plaine. Par exemple, étant parti de l'équateur avec 16 mefures d'eau, il trouve une latitude & une montagne qu'il ne peut franchir qu'en payant un péage d'une mefure: le voilà réduit à 15 au fommet de la montagne. Il defcend avec une qualité sèche ; puis, en courant toujours vers le pôle, il trouve une latitude, où il ne peut foutenir que 13 mefures: il en a donc dépofé 2 avant d'atteindre cette latitude, & a donné l'humidité fur le Pays qui la précède, quoiqu'il vînt de franchir une montagne. Auffi les vents méridionaux font-ils fouvent humides à Paris, quoiqu'ils viennent de dépofer une partie de leur charge fur les chaînes du Languedoc : car ils fe trouvent plus froids à Paris que fur ces chaînes, où ils fondent la glace & la neige avec une impétuolité célèbre; & une circonftance qui contribue encore à les rendre pluvieux ici, c'eft qu'en defcendant de ces montagnes, il rencontre une foule de marais, d'étangs, de rivières, & plus que tout cela encore, l'eau qu'ont dépofé fur l'intervalle les vents pluvieux dont il peut avoir été précédé. Cette eau féjourne dans les forêts, où la maffe eft la plus confidérable, quoique la moins apparente, puifqu'elle fe multiplie par la furface des

tiges,

tiges, des branches, des feuilles, foit des arbres, foit des arbustes, foit des herbes. Il fe trouve encore dans ces forêts, comme dans les champs, mille réfervoirs dont il enlève la fubftance, & qui fe cachoient parmi les fillons, ou les racines, ou les amas de feuilles. Cette eau fe trouve encore dans les ornières, dans les bourbiers, dans les foffés, dans de petites nappes dont les crues précédentes ont couvert le terrein bas, dans les étangs éphémères dont la campagne fourmille après les pluies. Mais fi ce vent continue plufieurs jours, il épuifera les dépôts d'eau formés par les vents antérieurs; il trouve fur fa route beaucoup moins d'eau, & perd à mesure la qualité humide qu'on remarque à tous les vents équinoxiaux.

134. Si les vents équinoxiaux ont une nature humide produite par le refroidiffement qu'ils éprouvent en courant vers le pôle, les vents polaires prenant plus de chaleur à mesure qu'ils approchent de la ligne, acquièrent toujours une vertu plus defféchante. Un tel vent, faturé dans la zone polaire avec 3 mefures d'eau, par exemple, aura-t-il befoin de 20 mefures pour fe faturer dans la Torride, il pompera, chemin faifant, jufqu'à ce qu'il ait abforbé 17 mefures; & cette raifon fuffira pour lui attirer la dénomination de vent fec.

135. Ce vent pourra cependant être humide, s'il s'élève fur de grandes montagnes, où fa faturation fera fupérieure à fon avidité: ainfi, tout comme les vents équinoxiaux, naturellement humides, deviennent fecs en defcendant des hauteurs où ils fe font criblés, de même les vents polaires, naturellement fecs, deviennent humides en graviffant des hauteurs qui les criblent. On voit donc en général que les circonftances ne font que modifier le tendance éternelle de l'air à l'humidité quand il s'élève, à la fécheresse quand il defcend.

136. Mais à cet égard, il faut foigneufement diftinguer les faifons. Lorfque le foleil arrive au tropiqué, les vents équinoxiaux trouvent une température prefque uniforme dans toutes les fatitudes, & ne peuvent par conféquent rien dépofer par le refroidiffement; au lieu qu'en hiver ces vents trouvent toujours une froidure plus croiffante, & deviennent par conféquent toujours plus humides. Par la raifon des contraires, les vents du pôle font fans comparaifon plus fecs en hiver, parce que leur vertu afpirante, à mesure qu'ils s'éloignent des régions de la nuit, eft augmentée par la calléfaction qu'ils éprouvent fans ceffe. En hiver, ces vents nord font donc plus fecs & les vents fud plus humides, & moins dans la canicule qu'en toute autre faison."

137. Dans toute cette doctrine, il faut toujours avoir une attention fondamentale; c'eft de n'ajouter aucune foi aux Anémofcopes, fans avoir vé. rifié leurs indications par d'autres principes. Ces principes ne nous font pas tous connus, & leur influence ne peut être déterminée encore par ceux mêmes qui les connoîtroient. Nos vents non alifés font rarement généraux; tandis que le vent eft fud à Paris, il eft nord à Londres, eft à Rome

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oueft à Madrid, & différent de lui - même dans tous les Pays. Tel vent que nous croyons venir de la mer, naît & meurt quelquefois à quelques lieues de nous. Tel eft en Dauphiné ce vent pontias, décrit par Gabriel Boule, Marseillois, Orange, 1647, in-8", pag. 64, l'un des plus furieux & des plus fréquens qu'on connoiffe hors des bandes alifées. M. le Comte de Marfigli, dans fon Hiftoire phyfique de la Mer, p. 49, dit : « Qu'on >> remarque fouvent deux fortes de vents fur la Méditerranée, ce que les » galères éprouvent prefque dans tous les roulis de Marfeille à Cette. Vent en pouppe en partant, puis le fud-eft, puis le fud, enfin le fud-oueft, ce » qui les force à s'en revenir. D'après cette remarque, elles tâchent de partir » par le vent nord ou par le calme ». Et le Traité des Vents de Dampierre montre les vents alifés, les vents côtiers & les brifes alternatives, luttant continuellement enfemble dans des efpaces très-bornés. Ainfi l'on ne peut, fans beaucoup de précaution, que s'expofer à attribuer à un certain vent l'effet produit par un vent tout autre & quelquefois oppofé. La configu ration des Continens & des Ifles, les chaînes élevées altèrent la direction naturelle des vents, leur font parcourir quelquefois tous les rumbs fur un vafte efpace; un grand courant d'air repouffe, fait pirouetter un autre courant de-là des contradictions apparentes qu'il faut favoir ou analyfer, ou preffentir, ou fuppofer. Il y a même plus, les vents font quelquefois différens au même inftant fur une même bafe. M. le Gentil vit tout-àla-fois trois de ces courans au Fort - Dauphin le 7 Octobre 1761. « Le »vent inférieur fud-fud-eft très - rapide, le moyen eft - fud-eft plus lent » le fupérieur nord-eft très-lent». Voyages aux mers de l'Inde, Tom. II pag. 417: a Tros femaines avant que le vent change, les nuages très» élevés vont en fens oppofé», pag. 485. Remarque faire à Pondicheri,. à Manille, à l'Ile de France & en mer, p. 488. Point de Payfan, tant foit peu attentif, qui n'ait fouvent fait la même remarque ; & M. D. Bernouilli l'a vérifiée dans une chambre, où il vit le vent entrer par le bas de la porte & förtir par le haut. Il fe fert de cette expérience pour montrer comment l'atmosphère fe divife phyfiquement en deux régions, dont l'inférieure va du pôle à l'équateur, & la fupérieure de l'équateur au pôle. Prix de l'Académie, Tom. VII, pag. 306. C'est une matière qui nous occupera beaucoup dans la fuite. Comment, dans cette contrariété des courans aëriens, pouvoir difcerner celui qui domine? Le plus lent, en apparence, peut être le plus rapide en effet; car remarquez que c'étoit le plus haut pour M. le Gentil, qu'il l'a M. le Gentil, qu'il l'a toujours été pour moi, & que cette affectation pourroit bien venir de la diftance, & n'être qu'optique. Je pafle

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queftion difficile, ancienne & célèbre: Pleut-il davantage fur terre que fur mer? Et voici tout ce que je me permets d'y répondre.

138. Puifque les montagnes font une caufe de pluie, puifque la terre n'eft qu'une montagne, & puifque la mer n'a point de montagnes, nous connoiffons fur terre une caufe de pluie que nous ne voyons point fur mer.

Auf M. le Caire a déduit de fes Voyages nautiques, que les pluies font fort rares en pleine mer, Savans Etrangers, 1773, pag. 547. D. Ulloa, dans la relation célèbre de l'éclipfe du 24 Juin 1778, remarque que le ciel étoit fans nuage, comme il arrive fouvent en mer.

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139. Dampierre, dans le Traité des Vents, qui termine le fecond Tome de fon Voyage autour du Monde, pag. 367, s'exprime à-peu-près ainfi : «Si les montagnes font couvertes de nuées, les Pays proches de la mer >> en font couverts aufli fréquemment. ; quoiqu'ailleurs le temps foit » fort clair... les terres élevées font les premières découvertes, & ce » font ordinairement ces terres qui font couvertes de nuées . . . . Quel» qu'un pourroit s'imaginer que je prétends ici prouver qu'il ne pleut ja» mais ou que très-peu fur mer: mais ce n'eft pas-là ma penfée, & tout » le monde fait le contraire. . . .; j'ai dit que plufieurs mers étoient fujertes aux tornados (tourbillons pluvieux ), principalement autour de l'équateur, mais plus particulièrement dans la mer Atlantique, & la »mer Atlantique ne l'eft pas tant au fud ni au nord de la ligne, fur-tout » à quelque distance de terre. Quoi qu'il en foit, il eft fort vraisemblable » que la mer n'y est pas fi fujette que la terre; car quand on eft près de » la terre dans la zone Torride, on voit fouvent pleuvoir fur terre. . . » tandis qu'il fait beau temps fur mer... J'ai vu fouvent une petite nuée » s'élevant au-deffus d'une montagne, groflir fi prodigieufement, qu'elle » a caufé deux ou trois jours de pluie confécutifs; & j'en ai fait l'obfer»vation, non-feulement dans les Indes orientales & occidentales, mais » auffi dans les mers du Nord & du Sud . . . C'eft rarement que nous paffions la nuit fans un tornado ou deux; nous en avions pour trois ou » quatre heures de fuite: il eft vrai que c'étoit alors communément près » des côtes. Les nuages fur terre nous paroiffoient fort épais; nous y voyions » les éclairs accompagnés de tonnerre, & la pluie nous paroiffoit y tom»ber en plus grande abondance. Il y a apparence que, plus avant dans >> la mer, il pleuvoit encore moins qu'à l'endroit où nous étions; car, de » ce côté-là, le temps paroiffoit affez clair ». Je n'ajoute que deux mots à ce détail.

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140. Quelqu'un pourroit s'imaginer. Précaution d'un Auteur qui craint le préjugé de fon fiècle; car tout fon difcours tend à démontrer ce qu'on pourroit s'imaginer. Comme il circule autour de cette conféquence de quatre Voyages autour du Monde! comme il voudroit qu'on la vît fans qu'il parût la montrer! comme il brufque enfin & fon Lecteur & l'Univers en faveur de cette vérité qui le perfécute! Quoi qu'il en foit ; c'està-dire : Penfez à ce que vous voudrez; quant à moi, j'ai vu; j'ai vu souvent & par-tout: j'ai foigneufement comparé, & d'autant plus foigneufement, que j'avois à vous ménager. On peut ajouter que tout le refte de fon Livre plaide fa cause.

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141. J'ai vu une petite nuée caufer deux ou trois jours de pluie: Cum hoc, ergò propter hoc. Cette petite nuée ne donnoit pas plus la pluie que la fumée ne donne un volcan. Elle l'annonçoit ; elle étoit le premier dépôt de cet air, qui, graviffant fur quelque montagne, commençoir lâcher quelque chofe avant de fuer de quoi couvrir l'horizon. C'eft auprès de la montagne que le vent s'élevoit le plus rapidement, & par conféquent qu'il abandonnoit cette petite nuée, ce premier dépôt, cette annonce des pluies de trois jours; puis la direction de l'air devenant générale fur cette fcène, l'effet de cette afcenfion croiffoit avec elle, & les nuages couvroient enfin la terre & la mer voifine.

142. François Coreal, dans fon Voyage aux Indes occidentales, traduit & réimprimé chez Amaulri en 1722, in-12, pag. 328, dit a que les montagnes du haut-Pérou donnent des torrens au bas, fur lequel il »ne pleut point, fur lequel le vent fud-oueft fouffle feul pendant une » bonne partie de l'année, fans y être humide comme ailleurs. De Tumbès à Tarapaca, ajoute t-il, on ne voit ni eau, ni arbre, ni arbuste, ni » d'autre animal vivant que des oifeaux de paffage », pag. 346. Wafer dit la même chofe dans fon Voyage, joint à celui de Dampierre, pag. 294. On a vu en général pourquoi ces vents fud - eft en particulier font fecs fur la côte & fi pluvieux fur la montagne. Le témoignage, de François Coreal ne fait qu'appuyer notre théorie, & nous montre fur le haut-Pérou des pluies d'orage inconnues dans le bas-Pérou & fur toutes les mers voisines. On voit donc pleuvoir davantage fur ces hauteurs que fur ces mers. Ce qui eft confirmé par M. Bouguer, Figure de la Terre, pag. 26, & par M. le Gentil, Tom. II, pag. 86. « La mauvaise faifon, » dit-il à M. de la Nux, fe fait plus fentir proche les terres qu'à une grande diftance, vous le favez ».

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143. Le Capitaine Furnaux, dans le fecond Voyage de Coock autour du Monde, Tom. I, pag. 234, dit a qu'il avoit un beau ciel en général pendant la traverfée de la pointe de Diemen à la nouvelle Zélande, puis » brumeux & fale en approchant de terre »; & l'on peut tirer la même remarque de prefque tous les Voyageurs marins, fur tout des Anglois, qui regardent tout.

144. Ces dernières confidérations nous conduisent à une remarque intéreffante; c'eft qu'il tombe à proportion plus de pluie fur les Ifles à mesure. qu'elles font moindres, & tout le refte étant donné, je puis même en déduire cette règle facile: La quantité de pluie fur chaque point de deux les femblables eft inverfe de leurs dimenfions homologues; car la fomme de l'air pouffé par le vent fur ces Ifles, eft comme leur circonférence, & lat furface de ces Ifles eft comme le quarré de cette circonférence. Or, la quantité de pluie croiffant comme une dimenfion, & l'efpace qui reçoit cette pluie croiffant comme le quarré de cette dimenfion, chaque point de cette furface reçoit une quantité d'eau inverfe de cette dimenfion.

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