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donc plus d'eau à l'embouchure qu'aux fources; &, par une double raison, c'eft que la pluie eft fournie à l'embouchure par un plus grand nombre de lames & par des lames plus chargées.

113. On trouve donc quelque compenfation à l'excès des pluies tombées fur les fources à raifon d'une plus grande afcenfion de l'air, & fur l'embouchure à raifon de la plus grande profondeur & faturation de cet air; compenfation qu'il ne faut point déterminer, fi l'on ne veut tromper le Public, & qu'on peut fuppofer pour s'inftruire. Je dis donc que la quan tité de pluie tombée dans un espace, dans un local donné & une faturation complète, eft compofée de trois facteurs: 1°. la profondeur de la région vaporeufe; 2°. le degré de la faturation complète (Mém. cité de M. le Roy); 3°. l'afcenfion de l'air.

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114. Soit donc, & feulement pour la clarté, 15 la profondeur de cette région vers Damiète, fa faturation complète 13, l'afcenfion de l'air 1; la pluie y fera le produit de 15 x 13 x 1195. Soit en même temps vers les yeux du Nil 1 la profondeur de cette région, 1 fa faturation complète, & 2,400 l'afcenfion de l'air, comme nous l'avons fuppofé plus haut, la pluie y fera le-produit de 1 x IX 2,400 2,400. Le rapport des pluies fur ces deux points fera donc le quotient 12 de 249. Ainfi, fur ces données abfolument arbitraires, on voit de quelle manière l'afcenfion de l'air l'emporte fur les autres élémens de la pluie. On peut en rectifiant ces données, appliquer le résultat au Gange, à l'Euphrate, au Borifthène au Volga; par-tout on trouvera peu de pluies pour l'embouchure des grands courans, & beaucoup pour leurs fources, quoique la profondeur & la faturation complète de l'air vaporeux foient incomparablement plus confidérables à l'embouchure qu'aux fources: mais l'afcenfion de l'air eft encore plus incomparablement fupérieure vers les fources à ce qu'elle eft vers l'embouchure, & la fupériorité de ce facteur éclipfe celle des deux autres; ce qui prouve encore plus que l'air afcendant donne la pluie, que l'air plus afcendant donne plus de pluie, que l'air le plus afcendant donne le plus de pluie.

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115. L'Abbé Richard, dans fa Defcription de l'Italie, pag. 181 du Tom. I, dit « que l'orage tombé fouvent fur les montagnes de Gènes, lorfque le temps eft très-ferein dans les vallées; que les Autrichiens chaffés de Gènes en 1746, & campés fur la Polehevera, alors à fec, perdirent 600 hommes & 60 chevaux dans l'inondation de la nuit ; ce » qui les décida au départ ». Puis, pag. 185, il rapporte « que la Trebie, » ordinairement guéable, quelquefois sèche auprès de Plaifance ( apparemment pendant l'automne ), avoit un mille de large, une rapidité qui entraînoit tout. Le 18 Octobre 1761, la pluie augmenta pendant la nuit, quoique les paffagers, arrêtés fur les deux bords, annonçaffent & attendiffent depuis tout le jour la fin prochaine de cette crue, qui, le » lendemain, fut d'une lieue : les montagnes étoient chargées de nouvelles

» eaux; rien n'annonce même aux gens du Pays ces fortes d'accidens «. Le ciel eft ferein, l'air tranquille & la terre noyée.

116. Car le vent qui charrie ce tiphon de la mer à ces montagnes peut n'avoir pas demi-pied de vîteffe par feconde, & n'être pas perceptible. Il avancera cependant de 300 toifes par heure, & pourra monter plus qu'il n'avance. S'il porte trois pieds d'eau, s'il monte dans fix heures fur des crètes de 2,000 toifes, il lâchera prefque ces 3 pieds d'eau en fix heures, & ravagera toute la fcène de fon paffage, fans qu'on puiffe deviner d'où quand & comment il a porté tout cela là-haut. Cet air n'a rien déposé fur les plaines, fur les grandes vallées, parce qu'il s'élève très peu en les parcourant; il dépofe tout fur les montagnes qu'il faut franchir fubitement en s'élevant exceffivement. M. l'Abbé Richard n'a fait qu'enregiftrer deux faits connus de tout le monde dans les grandes vallées voifines des hautes montagnes. La moindre pluie, par un certain vent, dans une certaine faifon, préfage un débordement terrible & fubit, qui arrive fouvent fans préfage. Les petites rivières, iffues de ces montagnes, croiffent & baiffent avec la rapidité du vent lui-même. Les montagnes font la partie du globe la plus arrofée : l'air n'y peut bouger fans monter violemment. M. le Gentil dit, pag. 341, Tom. II de fon Voyage aux mers de l'Inde, « qu'on ne reffent à Manille que les extrémités des orages, parce que les montagnes les attirent prefque toujours; ils font furieux dans les vallées étroites & profondes ». Le vent monte fi peu vers Ma nille ! il monte fi rapidement dans ces vallées ! Continuons d'examiner les principales circonftances de cette afcenfion.

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117. Soit AB, fig. 3, le niveau de la mer; E, F, G, les fommets des trois montagnes inégales: un vent B A fera pluvieux fur toute la face BG du terrein fur lequel il s'élève en fortant de la mer, & fec en redefcendant fur la face oppofée G R. Arrivé au point R, le plus bas de cette vallée, il remonte vers le fecond fommet F fans rien dépofer, parce qu'il ne s'élève ni ne fe raréfie, ni ne se refroidit autant fur F qu'il l'a fait fur G. Sa raréfaction en F eft celle qu'il vient d'éprouver en P, puifque F & P font au même niveau: il manque à fon afcenfion toute la quantité F M ou QG, pour le trouver dans l'état où il s'étoit mis en G. Il fera donc defléchant fur le fommet F tout comme s'il étoit defcendu directement de Gen F, & fans rencontrer de vallée. Il defféchera toujours davantage en defcendant vers L par le flanc FL; il remontera encore par le flanc LE fur le fommet E, plus bas que F, & où il defféchera plus encore, tout comme s'il y étoit defcendu du fommet F par le fommet E, & fans trouver de vallée.

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118. Un vent quelconque peut donc s'élever de 1500 toifes au-deffus du fpectateur, non- feulement fans devenir humide, mais même en confervant une force afpirante, s'il vient de franchir une hauteur de 1501 toifes; & voilà pourquoi tant de vents font fecs fur des fommets très-élevés.

119. Si le vent prenoit une direction contraire AB, il feroit humide en s'élevant fur le flanc A E, fec fur le flanc oppofé EL qu'il parcourt en defcendant, & fur la partie inférieure LN du troisième flanc, fur laquelle il fe trouve toujours plus bas que fur le fommet E; puis pluvieux fur le refte NF de ce troisième flanc, parce que le point N eft au niveau du point E; fec en defcendant & remontant dans tout l'efpace FRP, inférieur au fommet F; humide fur le refte P G de fon afcenfion, qui le rend toujours plus rare & plus froid qu'il ne l'a été fur le fommet F.

120. Auffi voit-on des vents fort pluvieux & fort fecs alternativement dans plufieurs intervalles de leur route, dans des intervalles très - vastes ; car les lignes A H, EN, NO, FP, PQ, qui mefurent ces intervalles, peuvent être chacune de 10 ou de 500 lieues, tandis que les hauteurs verticales que le vent franchit feront HE de 300 toifes, I F, KG de 2,000. Le vent d'eft, par exemple, fera pluvieux pour la Chine, en s'élevant toujours de la côte aux montagnes où prennent leur fource tous les fleuves de ce Pays-là (& ce fait, que je prétendois fimplement fuppofer, fe trouve confirmé par cette relation du P. Cibot, rédigée par M. Meffier, Savans Etrangers, Tom. VI, p. 529: « Le vent d'eft fouffla 1,477 fois à Pekin » pendant fix ans, il y tomba 5 pieds d'eau pendant le feul été de 1761, qui appartenoit à l'une de ces fix années »); le vent d'eft fera, dis-je, pluvieux fur la Chine, & plus fur ces montagnes ; puis fec en redefcendant du haut de ces montagnes dans les plaines baffes de la Tartarie indépendante; il redeviendra pluvieux en atteignant les crètes des montagnes occidentales des Eleuts, fi elles font plus élevées que celles de Chine; il defféchera de nouveau en redefcendant vers Aftracan; il dépofera de nouvelles pluies fur les Alpes, fi elles font plus hautes que tout le refte de fa route, & confervera jufqu'à l'Océan toute fa force afpirante, s'il ne trouve pas des Cordillières.

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121. Auffi les vents qui nous viennent d'entre le nord & le fud par l'eft font-ils tous defféchans, parce que, dès leur entrée dans le Continent, ils ont paffé par des Pays beaucoup plus élevés que la France, se font deffaifis de tout ce qu'ils ne peuvent foutenir fur les hauteurs qu'ils ont rencontrées, & n'ont confervé qu'une quantité de matière infuffifante à leur faturation chez nous, où ils abforbent tout ce qu'ils trouvent d'évaporable.

122. Ces vents tenant de l'eft, en les prenant toujours & feulement pour exemple, après s'être déchargés en partie fur les frontières élevées qui bordent l'occident de la Chine, trouvent fur leur route des lacs, des marais, des fleuves & des mers, fur lefquels ils réparent en partie les pertes qu'ils ont effuyées dans la partie afcendante de leur route, & deviennent d'autant plus humides, en graviffant enfuite fur les hauteurs qu'ils rencontrent: mais ces amas d'eau font trop peu confidérables & trop peu

nombreux pour pouvoir rendre à ces vents toute l'eau néceffaire à leur nouvelle faturation. Je l'ai fait voir à l'occasion du récit que fait M. l'Abbé de la Caille des vents fud-eft qu'il a obfervés au Cap de Bonne-Efpérance, 6. 52, & des vents fud que j'ai obfervés dans le haut - Languedoc, s. 72. L'air qui vient de fe purger fur de grandes hauteurs ne peut fe regarnir que fur un grand océan, ou par un long féjour fur une petite mer; ainfi ce vent d'eft peut devenir pluvieux par l'une de ces conditions: mais s'il court d'un pas rapide & foutenu, la rencontre des mers Méditerranées ne peut lui rendre qu'une très-petite portion des vapeurs que les montagnes lui enlèvent.

123. Les vents nord-eft, après s'être criblés en montant du Danube aux chaînes de la Croatie, defcendent fur le golfe Adriatique, qu'une petite viteffe leur fait franchir dans quelques heures: ils remontent fur l'Italie auffi dépourvus que s'ils n'avoient pas rencontré de mer, & font defféchans jufqu'au fommet des Apennins ; ils n'y deviennent humides qu'après avoir furmonté le niveau le plus élevé des Etats d'Autriche, ou après avoir féjourné, louvoyé fur le golfe Adriatique affez de temps pour s'y faturer de nouveau. Un vent tenant de l'oueft, qui s'eft criblé en paffant fur les montagnes de la Corfe, de la Sardaigne ou de la Sicile, arrivera fec fur le continent d'Italie; cat, quelque lent qu'il puiffe être, il s'arrête trop peu fur la mer entre ce Continent & ces Ifles pour pouvoir s'y faouler : il afpire en Italie jufqu'à ce qu'il arrive en montant l'Apennin au niveau le plus élevé qu'il ait rencontré fur ces Ifles. Il en eft de même pour la Baltique les vents oueft, après s'être déchargés fur les crètes qui féparent la Norwège & la Suède, deviennent fecs en redefcendant vers le golfe de Bothnie qu'ils paffent dans quelques heures, & fans pouvoir y réparer leurs pertes: ils remontent fecs fur les hauteurs de la Livonie & de la Finlande. Ainfi de tous les autres exemples que je pourrois employer, & que chacun peut voir fur son horizon, dans fes voyages, dans fes converfations & dans les livres.

124. J'observe encore, en paffant, que la quantité de pluie eft, tout le refte égal, comme la viteffe du vent; car chaque molécule d'air faturé dépofant un molécule d'eau, plus il paffera d'air afcendant fur un certain local, plus le dépôt augmentera : auffi l'humidité, qui, par un petit vent, peut n'être pas fenfible fur le point C, fig. 1, où l'air commence à s'élever en allant vers le mur quelconque, appelé chaîne de montagnes, devient un orage par un gros vent; auffi la pluie, donnée par la tempête, fe fait-elle fentir plus loin des montagnes, que celle donnée par un zéphyr. Je n'en indiquerai qu'un exemple, rapporté par M. le Gentil, T. II, pag. 787 de fon Voyage dans les mers de l'Inde. « La mouffon d'oueft, nous dit ce Voyageur, amoncèle fur les Philippines une quantité de » nuages qui font des orages jufqu'à 50 lieues en mer pendant quarante

» jours, & cette mousson eft furieufe ». Il en dit à-peu-près autant de l'Isle de Java, pag. 769.

125. Soit maintenant ABC, fig. 4, la fection verticale ordinairement parabolique d'une haute montagne, le vent, dirigé felon GA ou HF fera pluvieux fur tout l'efpace GCB, où l'air s'élève, fe raréfie, fe refroidit pour franchir le fommet B, & dépofe ce que ce changement l'empêche de foutenir, pour redevenir fec en defcendant de ce fommet B au bas A de la montagne. Par la raifon des contraires, l'air venu d'une autre mer dans la direction oppofée AG ou FH, eft pluvieux fur ADB, fec fur BCG: en forte que le fommer B paroît être la vraie limite de la qualité sèche ou pluvieufe des deux vents. Le point A doit donc avoir un ciel ferein quand la pluie inonde le côté C de la montagne, & réciproquement le point C doit être fans nuage quand ils verfent la pluie fur le côté A. Il arrive cependant, & prefque toujours, que la pluie eft commune en même temps aux deux côtés A, C, de la montagne, diftans quelquefois de plufieurs lieues; ce qui va devenir clair.

126. Un vent GA, humide fur GCB, dépofe le nuage dans la région HF, qui convient à la denfité actuelle du météore, & ce nuage se réfout en pluie fur l'efpace GC B. Cette pluie, que la pefanteur dirige vers le centre de la terre par des verticales, eft en même temps pouffée horizontalement par le vent dans fa direction: GA. Voulant céder, autant qu'il eft en elle, à ces deux impulfions à la fois, elle décrit la route qui participe le plus de chacune, & parcourt la ligne appelée réfultante par les Mécaniciens. La goutte de pluie, partie du point H, eft pouffée vers G par fon poids, vers F par le vent, & arrive en C. De même, la goutte partie du point E, dirigée par fon poids vers le fommet B & vers le bout F du nuage par le vent, fuit la ligne E DA, intermédiaire aux deux ; & au lieu de tomber fur B, ou d'aller vers F, elle arrive en A dans la région de la féchereffe, que ce mécanisme rend pluvieufe; & au contraire, par le vent oppofé AG, la pluie dirigée de E en H par le vent, de E en B par fon poids, va tomber en C, pour s'accommoder, autant qu'elle peut, à ces deux forces, & il pleut en B par un vent fec; en forte que la montagne toute entière ABC, fujette aux orages produits par deux vents contraires, paroît être le rendez-vous des eaux atmofphériques pour devenir la nourrice des fleuves.

127. Il ne faut pas perdre de vue que dans toute cette théorie je parle principalement des chaînes de montagnes qui conftituent l'enceinte des mers; ce que j'ai expliqué fort en détail dans le fixième Cahier de ma Cofmogonie.

128. Je n'ai guère confidéré jufqu'ici que l'effet ordinaire des vents montans ou defcendans, me réfervant de traiter enfuite, une à une, des principales circonftances qui l'éludent, le cachent ou le détruifent. Pour

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