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qu'en deux jours; & lorfqu'on met cette chair libre dans fon ventricule, il fui faut au moins un jour pour la diffoudre complètement.

Des animaux à fang-froid, l'Auteur paffe aux animaux à fang chaud. M. de Réaumur, d'après quelques expériences ifolées, crut que la trituration étoit néceffaire à la digeftion des brebis. Mais il fe trompoit; le vrai eft que les brebis ne digèrent point les herbes qui n'ont pas auparavant été mâchées & imbibées de falive: mais il n'en faut pas conclure qu'il fe faffe de véritable trituration dans leur ventricule. Cette force de trituration n'existe pas même ; car les tubes de métal mince, avalés par les brebis, ne fouffrent pas la plus petite léfion.

Les Phyfiologiftes connoiffent déjà la quantité immense de fuc gaftrique que fournit l'eftomac de ce quadrupède ruminant. M. de Haller en parle dans fa Phyfiologie; & notre Auteur dit ici qu'il en a trouvé trente-fept onces dans les deux premiers eftomacs d'une brebis, après un jeûne de deux jours pleins: ce qui lui procura l'occafion de faire quelques expériences fur l'action diffolvante de cette liqueur, par lefquelles il s'affura que ce fuc, hors du corps de l'animal, peut, dans l'efpace de quarante cinq heures, diffoudre à-peu-près en entier des feuilles de différentes plantes, pourvu qu'elles aient été auparavant mâchées & imprégnées de falive: mais qu'il n'avoit pas plus de prife fur elles que de l'eau lorfqu'elles n'avoient pas reçu cette préparation.

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Ceci démontre que dans les animaux ruminans, comme dans les oifeaux à ventricule mufculeux, les alimens doivent être triturés pour pouvoir fe digérer; mais la Nature s'y prend différemment dans les uns & dans les autres pour parvenir à cette fin. Dans les oifeaux dont je parle la trituration s'exécute dans le ventricule même; & dans les animaux ruminans, la nourriture, avalée d'abord avec précipitation, remonte enfuite dans la bouche par un mouvement mécanique: là, elle fe broie entre les dents & s'imprègne de falive; préparation qui la rend fufceptible de fe diffoudre dans l'eftomac lorfqu'elle y revient de nouveau.

Dans la Differtation quatrième, on examine les phénomènes de la digef tion des oiseaux de proie. M. de Réaumur avoit reconnu l'existence & la puiffance des fucs gaftriques de cette espèce d'oifeaux ; il s'étoit même affuré qu'un milan, fur lequel il avoit fait de nombreuses expériences, ne pouvoit point digérer les fubftances végétales, quoiqu'il digérât trèsbien la viande, Notre Auteur a eu occafion de revoir le même fait dans l'oiseau de nuit, nommé par M. de Buffon petite chouette. Cette chouette avala un moineau, dont l'eftomac étoit plein de grains de froment & de miettes de pain non encore digérées, &, en peu de temps, les mufcles du moineau fe fondirent dans fon eftomac: mais enfuite elle rejetta une petite pelotte qui renfermoit les plumes du paffereau, & de plus les grains de bled, lefquels, quoique tendres & ramollis, étoient encore entiers;

ce qui prouve bien que l'eftomac des chouettes n'a aucune force de trituration car pour le peu qu'il en eût eu, il auroit écrafé ces grains de froment, qui étoient imbibés de fuc gaftrique, & par conféquent fort attendris. Mais ce qu'il y a de plus fingulier dans ce fait, c'eft que la chouette digéra fort bien les os du moineau. Voilà donc un animal dont les liqueurs diffolvent les os, & ne peuvent diffoudre un grain de

bled.

Quant à cette diffolution des os, que M. de Réaumur avoit déjà obfervée, l'Auteur l'a fuivie exactement dans le ventricule d'une chouette; & il a vu que le menftrue gaftrique les transformoit d'abord en gelée, en rongeant premièrement les feuillets extérieurs, & pénétrant enfuite les plus intérieurs fucceffivement.

Ce menftrue a, hors du corps de l'animal, à-peu-près les mêmes propriétés; il eft fluide comme l'eau, mais teint d'une nuance jaunâtre il n'eft point inflammable, & jouit, comme tous les autres fucs gaftriques dont on a parlé jufqu'ici, du privilége remarquable de n'être point putrefcible; il fe conferve fain plufieurs femaines après avoir été tiré du corps de

l'oifeau.

Les oifeaux de proie diurnes digèrent auffi les os, même les plus durs. Un faucon digèrera une portion de fémur d'un bœuf, du poids de foixantefept grains, dans l'efpace de cinquante-fept heures. Les os les plus tendres, comme ceux des pigeons, fe digèrent beaucoup plus vîte; en un jour ils font diffous. Mais il y a des fubftances offeufes inattaquables par les fucs gaftriques des oifeaux, comme, par exemple, l'émail des dents, au lieu que le corps même de la dent fe laiffe facilement entamer.

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Tous les oifeaux de proie ne peuvent digérer ni les plumes, ni la corne, ni la tunique intérieure du ventricule des gallinacées, qui eft prefque cartilagineufe, ni les femences végétales; au contraire, les tendons, même les plus durs & les plus tenaces, après avoir été féchés pendant long temps au foleil, font une nourriture propre pour le faucon, & probablement pour les autres oifeaux de cette claffe: du moins eft-il sûr que les liqueurs gaftriques du faucon les diffolvent.

L'aigle commun offre un phénomène qui lui eft particulier. Lorfqu'il avale des morceaux de viande, on voit fortir des trous de fes narines deux jets de liqueur qui coulent fur la partie fupérieure du bec, viennent fe réunir fur fa pointe, & de-là, pour l'ordinaire, entrent dans la bouche, & s'y mêlent avec les alimens. Cette liqueur eft un peu falée, teinte d'un bleu délavé; elle continue à couler tant que dure le repas de l'aigle. Ce qui détermine fa fortie, c'eft apparemment la compreffion des glandes où elle eft renfermée. Son ufage n'eft pas encore connu; il eft probable qu'elle fe mêle aux alimens pour les ramollir & faciliter leur coction

On croit communément que les oifeaux de proie ne boivent point. Le vrai eft qu'ils peuvent se paffer d'eau fort long-temps: mais quand on leur

en donne, ils s'y plongent, s'y baignent & en boivent à la manière des autres oifeaux.

L'aigle a une grande antipathie pour le pain: il n'y touche pas, même après un long jeune; cependant quand on le force d'en avaler, il le digère fort bien. Cette digeftion s'exécute uniquement par l'action des fucs gaftriques; la trituration n'y a pas de part. Les femences végétales ne fe diffolvent point dans fon ventricule; & ce fait eft une nouvelle preuve de l'inaptitude de ce vifcère à la trituration: car quand les grains font ramollis par l'imbibition du fuc gaftrique, une légère compreffion pourroit les écrafer, & cependant ils fe confervent intacts dans l'ef

tomac.

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Les aigles digèrent les os plus promptement que les autres oifeaux de proie; leur liqueur digeftive diffout, en vingt-cinq jours, une portion de fémur d'un bœuf, qu'un faucon ne peut digérer qu'en trente cinq jours & trois heures. Cette liqueur est très-abondante. L'Auteur s'en étant procuré, par le moyen d'une éponge, une quantité confidérable, a répété toutes les expériences qu'il avoit faites fur les fucs gaftriques des autres animaux, & en à obtenu des résultats très-analogues.

Ce qu'il y a de plus particulier dans la conformation du canal intestinal de l'aigle, c'eft la différence de capacité du jabot & du ventricule; il peut entrer trente-huit onces d'eau dans le jabot, & le ventricule en contiendroit à peine trois onces, ce qui explique comment un feul repas fuffira à ces oifeaux pour plufieurs jours: car fi la fortune leur adreffe quelque grand animal, ils rempliffent leur jabot, & la digeftion ne fe fait que fucceffivement à mesure qu'il paffe quelque partie de cette nourriture du jabot dans le ventricule.-Ce qu'il faut obferver encore, c'eft l'extrême ténuité de la tunique intérieure du ventricule : elle est fi frêle, qu'en la frottant fimplement avec un linge, on l'altère.

Dans l'efpèce des chiens & des chats, les fucs gaftriques font auffi tout le travail de la digeftion, la trituration n'y contribue point. A l'égard des chiens, M. Spallanzani n'eft pas d'accord avec Boerrhaave. Cet illuftre Médecin, qui avoit fait quelques expériences directes, prétendoit que ces animaux ne digéroient pas la chair en entier; qu'ils ne faifoient que la dépouiller de fes fucs, & qu'ils rejettoient les fibres; qu'ils ne digéroient pas mieux les portions d'intestins qu'on leur faifoit avaler; & enfin, que les os reftoient intacts dans leur ventricule.

Il eft vrai que la digeftion des parties d'inteftins eft lente; mais fi on y emploie le temps convenable, on verra qu'elle s'achève complètement. Boerrhaave n'a pu la voir qu'imparfaite, parce qu'il n'y a pas mis tout le temps néceffaire. Il en eft de même de la chair; les fucs gaftriques du chien la diffolvent lentement, mais en entier, non - feulement les fucs qu'elle contient, mais encore les fibres mêmes dont elle eft compofée. La preuve qu'en donne notre Auteur, c'eft qu'il a fait avaler à un chien

des morceaux de chair enfermés dans des tubes de métal qu'il avoit enveloppés de toile; qu'il a laiffé ces tubes quatre jours dans l'eftomac de l'animal, & qu'au bout de ce temps il les a trouvés parfaitement vuides: la toile qui les enveloppoit ne s'étoit ni percée ni dérangée. Il faut donc convenir que les fibres de la chair avoient été affez diffoutes, affez liquéfiées pour paffer au travers des pores de la toile.

Quant à la diffolution des os, Boerrhaave ne les avoit laiffés que trois jours dans l'eftomac d'un chien; & il eft vrai que ce peu de temps ne fuffit pas pour diminuer fenfiblement leur volume. M. de Réaumur, qui a répété cette expérience en y employant beaucoup plus de temps, a obtenu un résultat contraire: il s'eft affuré que les chiens digéroient les os; & M. l'Abbé Spallanzani l'a vu clairement.

Nous voici enfin arrivés à le partie la plus intéreffante de ces recherches, à la digestion de l'homme. -La plupart des Auteurs, qui fe font occupés de cette matière, ont appliqué à l'homme les réfultats des expériences qu'ils avoient tentées fur les animaux. M. Spallanzani a jugé le fujet trop important, pour fe contenter des raifonnemens que fourniffoit l'analogie; il a entrepris des expériences directes, & c'eft fur lui-même qu'il a eu le courage de les exécuter.

La première qu'il fit confifta à avaler une petite bourfe de toile remplie de pain mâché, cette bourse refta vingt-trois heures dans fon corps fans lui occafionner aucune incommodité; puis il la rendit par les felles: elle étoit alors totalement vuide de pain, & cependant la toile n'avoit aucunement fouffert; le fil qui uniffoit fes deux bords n'étoit ni corrompu, ni ufé. La digestion de ce pain étoit donc l'effet des fucs gaftriques; il n'y avoit point eu de trituration. Encouragé par ce premier fuccès, l'Auteur avala d'autres bourfes femblables pleines de chair cuite & mâchée, & dans l'efpace de cinquante-huit heures, elles fe digérèrent le plus fouvent fans laiffer aucun réfidu; cependant quelquefois il s'eft trouvé que les bourfes retenoient une petite portion de la chair; &, ce qu'il y a d'affez fingulier, c'eft que ces réfidus, au lieu d'être enveloppés d'un voile gélatineux comme le font ceux qui restent dans les tubes de métal qu'on fait avaler aux animaux, étoient au contraire parfaitement fecs; les fibres de la chair qu'on pouvoit encore reconnoître, étoient auffi bien privées de leur fuc naturel, que fi on les avoit comprimées pour l'en faire fortir. De-là, il sembloit probable que l'eftomac de l'homme a une force de preffion, que fes parois peuvent agir mécaniquement fur la nourriture qui lui eft confiée: mais il falloit des expériences plus directes pour s'en affurer. Il falloit, par exemple, fubftituer aux bourfes de toile des tubes; car fi, dans ce cas, la nourriture ne fe digéroit pas ou fe digéroit mal, on avoit la preuve qu'il manquoit quelque circonftance effentielle à la digeftion, & ce ne pouvoit être que la trituration.

L'Auteur fe foumit encore à cette nouvelle épreuve fans répugnance;

il prit feulement la précaution d'employer un tube de bois au lieu d'un tube de métal, & de l'envelopper de toile, pour ne pas offenfer les tuniques délicates des vifcères. Le réfultat fut que le tube employé fortit après dix - fept heures de féjour dans l'eftomac, & qu'il contenoit alors une petite portion de chair du poids de vingt-un grains. Non-feulement ce réfidu n'avoit pas perdu fon fuc naturel, mais il étoit gélatineux à la furface. Il eft donc clair que chez l'homme, comme chez la plupart des autres animaux, les alimens fe digèrent uniquement par l'action des fucs gaftriques, fans que la trituration y contribue. Cela eft fi vrai, que le tube de bois, avalé par l'Auteur, étoit extrêmement frêle; que la plus légère compreffion fuffifoit pour le détruire: néanmoins il fe conferva intact dans l'eftomac; il ne fut donc point comprimé.-Ce fait s'accorde fort bien avec d'autres déjà connus depuis long-temps. On fait que les cerifes & les grains de raifin, avalés tout entiers, fe rendent tels qu'ils ont été pris. Cependant combien feroient - ils facilement écrafés dans le ventricule, fi fes muscles avoient une action directe!

Refte à favoir pourquoi les réfidus de viande, laiffés dans les bourses de toile, paroiffoient comprimés. Il y a apparence que, pendant leur trajet dans les inteftins, les matières fécales plus ou moins dures dont ils font entourés de toute part, les preffoient & les dépouilloient de tout le fuc qu'ils pouvoient contenir encore.

L'Auteur a fait des expériences directes pour s'affurer de l'utilité de la maftication, & les réfultats qu'il en a obtenus font décififs. Il a placé dans un tube de la chair de pigeon qui avoit été mâchée & imbibée de falive, & il a rempli un autre tube d'une dofe égale de la même chair, mais qui n'avoit pas reçu la même préparation; puis il a avalé ces deux tubes au même inftant: dix-neuf heures après, il les a rendus l'un & l'autre; il ne reftoit qu'un réfidu de quatre grains dans celui qui contenoit la chair mâchée, & il y en avoit un de cinquante-huit grains dans l'autre. Cette expérience a été répétée plufieurs fois avec le même fuccès. C'est donc un fait incontestable, que l'action des dents & l'imprégnation de falive accélèrent la digeftion.

Les membranes, les tendons, les cartilages font diffolubles dans l'eftomac humain mais leur diffolution eft lente. Les os tendres s'y diffolvent auffi; les os durs y réfiftent.

M. Spallanzani s'étoit propofé une autre fuite d'expériences fur la digeftion de l'homme; il vouloit examiner l'action des fucs gaftriques hors du corps: mais il trouva tant de difficulté à s'en procurer, qu'il ne put pas fuivre fon plan en entier. Le moyen qu'il employoit étoit de fe faire vomir le matin à jeun, en mettant les doigts dans fa bouche. Il répéta deux jours de fuite cette opération défagréable, & elle lui procura d'abord cinq onces trente-deux grains de liqueur gaftrique, qu'il trouva limpide comme l'eau, légèrement falée, évaporable, & nullement putrefcible;

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