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qu'en les plaçant entre les deux mains, on pouvoit les frotter l'une contre l'autre fans fe bleffer. Encouragé par cette expérience, M. Spallanzani en imagina une qui fembloit devoir être beaucoup plus dangereuse pour les oifeaux qui y feroient expofés. Il ficha dans une balle de plomb douze groffes aiguilles d'acier qui avoient, hors de la balle, une longueur de trois lignes, & fit avaler cet inftrument à un coq d'Inde : il le laissa dans fon eftomac un jour & demi fans que l'animal parût souffrir; & en effet, il ne fouffroit point: car, en le difféquant, on trouva que les aiguilles s'étoient caffées à rez de la balle, & que leurs pointes s'étoient parfaitement arrondies. La balle avoit plus fouffert que l'eftomac; il y avoit fur fa furface de légers fillons. Cette expérience fut répétée, en fubftituant aux aiguilles douze lancettes, dont les lames pouvoient également couper & percer; & l'animal réfifta aufli bien à cette épreuve qu'à la précédente. Il eft vrai que ces oifeaux n'y réfiftent que lorsqu'ils font adultes dans leur premier âge, ils fuccombent; les mufcles de leur eftomac ne parviennent pas alors à caffer les lancettes, & ils fe laiffent entamer mais quand ils ont toute leur force, ils n'en reçoivent pas la plus petite atteinte.

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L'Auteur a cherché la caufe de cette fingulière réfiftance; &, malgré toutes les tentatives, il n'eft point parvenu à la pénétrer. Quelques Naturaliftes ont fuppofé que les petites pierres que les gallinacées avalent contribuoient beaucoup à la force de leurs ventricules, qu'elles fervoient comme de boucliers aux mufcles dans le temps de leur plus grand mouvement; mais cette fuppofition eft fans fondement: car non feulement M. Spallanzani a vu que les oifeaux, dont le ventricule contenoit le moins de petites pierres, digéroient auffi- bien que les autres, mais encore que des oifeaux qu'il avoit élevés depuis la fortie de l'œuf jufqu'au moment où il les expofoit à fes cruelles expériences, & qu'il n'avoit nourris qu'avec des alimens triés grain à grain, pour être sûr qu'ils ne renfermoient pas une feule pierre, avoient un eftomac auffi capable de caffer les boules de verre que ceux qui contenoient le plus de petits

cailloux.

La grande force du ventricule de ces oifeaux paroîtroit plutôt dépandre de la nature de fa tunique intérieure. L'Auteur dit qu'elle eft dure & prefque cartilagineufe. Lorfqu'on la détache des tuniques adjacentes, & qu'on l'étend fur un verre pour l'examiner mieux, on trouve qu'il faut affez d'effort pour l'entamer avec des outils tranchans. Il y a plus; fi on fépare un ventricule tout entier, & qu'après l'avoir bien purifié de tout ce qu'il contenoit, on le rempliffe de morceaux de verre aigus, pour le frotter enfuite pendant quelques inftans entre les deux mains, on verra que cette tunique intérieure ne fouffrira que quelques égratignures, & que cependant le tranchant des morceaux de verre aura déjà commencé à s'émouffer & s'arrondir.

Si l'on rapporte ces détails fur la fracture de ces organes, ce n'est point qu'on croie qu'ils fuffifent à expliquer le fait dont il s'agit; mais ils indiquent aux Phyficiens, qui pourroient entreprendre de s'en occuper, que c'eft de ce côté-là qu'il faut tourner leurs recherches.— Ce qu'il y a d'aflez fingulier, & qui augmente la difficulté du problême, c'est que dans le moment de la digeftion, les mufcles de l'eftomac ne paroiffent point agités. M. de Réaumur l'avoit déjà dit, & notre Auteur l'a vu après lui. Il a ouvert la poitrine de quelques gallinacées pendant que leur ventricule étoit plein d'alimens, & il leur a trouvé peu de mouvement; il a même vu, dans ce moment, l'eftomac des canards & des pigeons parfaitement immobile.

Après avoir bien conftaté l'action prodigieufe de l'eftomac de ces animaux fur leurs alimens, on cherche fi la digeftion fe borne-là, & fi les fucs gaftriques n'y ont aucune part. M. Spallanzani a fait, pour s'en affurer, un très-grand nombre d'expériences, dont voici la plus décifive. Il remplit de morceaux de chair une petite fphère de métal, dont les parois étoient affez folides pour réfifter à la compreffion des muscles ventriculaires, & il cribla de trous cette fphère pour donner accès aux liqueurs de l'eftomac; puis il la fit avaler à un canard: après un séjour plus ou moins long dans le vifcère de cet oifeau, la chair changea de confiftance & de couleur, & fe trouva confidérablement diminuée; en un mot, elle préfenta tous les fignes d'une diffolution fort avancée. Dans ce cas, on ne pouvoit pas dire qu'il y eût eu trituration; car la fphère de métal étoit trop épaiffe pour céder aux mufcles. La diminution de la chair ne venoit donc que de l'action des fucs gaftriques. On peut donc affirmer que dans les animaux à ventricule mufculeux la digeftion peut s'opérer uniquement par diffolution. Mais, dans l'état naturel, lorfque les alimens font laiffés à eux-mêmes, la trituration hâte leur digeftion, parce qu'elle les réduit en petites parties, multiplie les furfaces, & facilite ainfi l'action du diffolvant. La trituration n'eft donc qu'une préparation, dont quelques alimens, comme la chair, peuvent, à la rigueur, fe paffer (quoique, dans ce cas, leur digeftion foit plus lente), mais qui eft indifpenfable pour d'autres, comme les graines végétales. Si l'on fait avaler à une poule un tube épais de métal rempli de grains de bled, ce bled ne fe digèrera point; les grains s'imbiberont de fuc gaftrique, mais il n'y aura pas de véritable digeftion, parce que le fuc diffolvant n'a pas de prife fur l'enveloppe du grain: il faut abfolument que la trituration broie ce bled, qu'elle fépare la fubftance farineufe du fon; & lorfque cette opération est achevée, les fucs gaftriques s'emparent de la pulpe du grain, la diffolvent & la réduifent en chyle.

M. de Réaumur s'étoit donc trompé, quand il croyoit que toute la digeftion confifte dans la trituration; la caufe de fon erreur, c'eft qu'il ne donnoit pas affez de temps à fon expérience. Quand il voyoit qu'après

quelques heures de féjour, les alimens, enfermés dans des tubes épais, ne fe digéroient point, il en concluoit qu'il n'y avoit point de diffolvant. Il falloit, comme M. Spallanzani, attendre plus de temps; au lieu de deux ou trois heures, y confacrer tout un jour : & alors il auroit vu que quoique la digeftion de la chair & de la mie de pain foit plus lente lorfqu'il n'y a point eu de trituration préliminaire, néanmoins elle s'établit & fe confomme en entier par la feule diffolution.

M. Spallanzani a voulu avoir des preuves plus directes encore de la préfence du fuc gaftrique dans le ventricule des gallinacées; il a fait l'anatomie d'une oie, & a trouvé fon cefophage rempli de glandes & de de follicules glanduleux (fur-tout à fon infertion dans l'eftomac), lefquels laiffent échapper, à la moindre compreffion, la liqueur qu'ils contiennent: mais il n'y a point de ces follicules dans le ventricule même. Il y a donc apparence que les fucs gaftriques, dont la Nature a befoin viennent de l'ofophage, & plus particulièrement encore du duodénum comme on le verra ailleurs. Quelle que foit leur origine, il est sûr qu'il y en a une grande quantité. L'Auteur a introduit une éponge dans le jabot d'un pigeon, &, après l'avoir laiffée douze heures, il l'a retirée & trouvée pleine de fucs gaftriques; elle en contenoit une once. Il fit enfuite fur cette liqueur des obfervations directes, par lefquelles il mit hors de doute fa vertu diffolvante. Je n'entrerai pas actuellement dans ce détail; on verra plus amplement dans la fuite toutes les propriétés des liqueurs gastriques de différens animaux-.

Dans la feconde Differtation, on examine la digeftion des animaux à ventricule moyen.- Par ventricule moyen, on entend. celui qui n'eft pas proprement mufculeux comme l'eftomac des gallinacées, & qui cependant n'eft pas membraneux, ou d'une foible épaiffeur, comme dans les oifeaux de proie, les quadrupèdes & l'homme, mais qui a une groffeur & une folidité moyenne entre l'un & l'autre. L'eftomac des corbeaux en eft un exemple; il ne peut point altérer des tubes de fer-blanc, qui fe déforment facilement dans le ventricule d'un pigeon: mais il applatit des tubes de plomb; ce que ne peuvent point faire les eftomacs membraneux.

Lorfqu'on leur fait avaler des tubes épais, percés de petits trous & remplis de grains de froment ou de femences de féve, ces graines s'imbibent de fuc gastrique, mais ne se digèrent point, lors même qu'elles reftent quarante-huit heures dans l'eftomac; c'eft que les fucs gaftriques ne peuvent parvenir à la fubftance farineufe du grain fans traverfer fon écorce, qui eft probablement pour eux un obftacle imperméable: au lieu que fi on répète la même expérience, en employant des grains battus ou écorcés, leur diffolution s'achève très bien dans l'efpace de vingtcinq heures. Auffi la Nature, qui ne pouvoit point donner à ces oifeaux un eftomac capable de broyer ces alimens, leur a enfeigné le moyen de

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faire

faire eux-mêmes cette trituration préliminaire; lorfqu'on leur préfente des grains entiers, ils les affujettiffent fous leurs pieds, & les écrafent avec leur bec avant de les avaler.

Les fubftances végétales plus tendres, comme des morceaux de poire ou de pomme, n'ont pas befoin de cette préparation; elles fe diffolvent dans le ventricule des corbeaux, quoiqu'enfermées dans des tubes de ferblanc. Il en eft de même de la chair; elle fe diffout parfaitement dans l'efpace de fept heures par la feule action des fucs gaftriques : ces fucs attaquent d'abord fa furface; puis ils pénètrent plus avant, rongent, pour ainfi dire, feuillet après feuillet, jufqu'à ce qu'ils foient arrivés aux couches les plus intérieures, & qu'ils diffolvent de la même manière.

L'Auteur, au moyen d'une éponge, s'eft procuré du fuc gastrique d'un corbeau; & l'ayant examiné hors du corps de l'animal, a reconnu, par plufieurs expériences, fa vertu diffolvante.

Les petits corbeaux, non encore adultes, digèrent avec une fingulière promptitude; leur ventricule contient beaucoup plus de liqueur que celui des oifeaux plus âgés. Les corneilles ne digèrent pas tous les os; elles n'entament que ceux qui, par leur peu de folidité, femblent être plutôt cartilagineux qu'offeux.-On trouve dans leur ventricule même, des glandes pleines du fuc gaftrique: & en cela, elles diffèrent des gallinacées, dont I'æefophage feul eft parfemé de glandes.

Il paroît que la digeftion, dans cette efpèce d'oifeaux, fe commence déjà dans l'ofophage. L'Auteur le foupçonnant d'après quelques obfervations, voulut s'en affurer par une expérience directe. Il attacha à un fil de fer deux morceaux de chair, l'un à l'extrémité du fil, l'autre un peu au deffus à une diftance de deux pouces; puis il fit avaler cet inftrument à une corneille, de manière que la première portion de chair occupa feule le ventricule, tandis que l'autre reftoit dans l'ofophage; & il lia l'extrémité libre du fil de fer autour du bec de l'oifeau pour le retenir folidement après une heure, il le retira, & trouva que la chair placée dans le ventricule, commençoit à fe digérer; mais celle qui avoit féjourné dans l'œsophage étoit encore intacte. Il replaça le tout dans la même pofition, pour l'examiner une feconde fois une heure après; & en répétant fouvent ce procédé, il reconnut que le ventricule diffolvoit fix deniers de chair en une heure, & l'ofophage feulement deux deniers en fix heures. Pour découvrir la caufe de cette différence, il fe procura du fuc gaftrique du ventricule avec de petites éponges renfermées dans des tubes de métal, puis du fuc gaftrique de l'œfophage, & inftitua entre ces deux liqueurs une comparaifon fuivie, dont le réfultat fut que le fuc de l'afophage eft moins actif & moins abondant que celui de l'eftomac, parce que ce dernier eft mêlé de bile, dont la vertu diffolvante eft bien

connue.

Récapitulons en peu de mots tout ce qu'on vient de lire. Dans les animaux à ventricule mufculeux & à ventricule moyen, la digeftion ne peut s'effectuer que par l'action des fucs gaftriques; mais comme ces fucs font moins énergiques dans les gallinacées que dans les oiseaux à ventricule moyen, leur eftomac a été rendu capable de rompre & de broyer les alimens en parties infiniment petites, pour qu'ils fuffent attaquables par les liqueurs digeftives; préparation qui n'étoit pas, à beaucoup près, auffi néceflaire dans les oifeaux à ventricule moyen, à caufe de la plus grande activité de leurs fucs gaftriques.

On paffe enfuite aux phénomènes de la digeftion dans les animaux à ventricule membraneux; & l'on commence par avertir que ce mot de membraneux ne fignifie point que le ventricule des animaux dont il eft queftion ne foit compofé que de fimples membranes, mais que fes parois font fi minces, qu'elles ne paroiffent être que membraneufes. L'eftomac de la plus grande partie des animaux eft de cette efpèce: l'homme lui-même doit y être placé.

Les grenouilles ont le ventricule membraneux : leur digeftion est fort lente. Les différentes viandes que l'Auteur leur faifoit avaler dans des tubes ne fe digéroient complètement qu'après cinq ou fix jours; elles n'y fubiffoient aucune trituration préliminaire; les fucs gaftriques faifoient tout le travail, mais ces fucs font en petite quantité ou peu actifs.

Les falamandres aquatiques digèrent plus promptement; les vers de terre, qui font leur nourriture ordinaire, fe diffolvent dans leur eftomac en trente heures, quoiqu'enfermés dans des tubes de métal. L'Auteur donne une preuve très-sûre que leur vifcère n'a point la force de triturer les alimens. Il y a dans l'eftomac de la plupart des falamandres une multitude de petits vers blancs fichés dans les tuniques du ventricule, où ils fe nourriffent des fucs digeftifs; lorfqu'on les tire de-là pour les examiner de plus près, on voit que la plus légère compreffion fuffit à les écrafer. Il est donc évident qu'ils ne réfifteroient pas à l'action des muscles ventriculaires, fi ces mufcles étoient deftinés à broyer les alimens. La digeftion, dans les falamandres, s'opère donc uniquement par la vertu des fucs gaftriques. Mais comment fe peut-il que toutes les espèces de vers, dont elles font leur nourriture, fe digèrent fort bien dans leur ventricule, & que les petits vers parafites, dont il eft ici queftion, ne s'y diffolvent point? c'eft que probablement les fucs gaftriques n'ont aucune prife fur eux. On lit quelque fait analogue dans l'hiftoire de polypes à bras. Un polype de cette espèce, inféré dans le corps d'un autre, ne autre, ne s'y digère point: il continue à vivre comme auparavant.

M. Spallanzani a aulli obfervé les ferpens, & il s'eft affuré qu'il ne fe fait point de trituration dans leur ventricule; tout s'y digère par diffolution, mais avec une lenteur fingulière. Dans les temps les plus chauds, un ferpent ne parvient à digérer de la chair renfermée dans des tubes

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