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vie temporelle du dixième siècle, les signes de la loi militaire qui présida à la naissance de la nationalité française. C'est l'utilité militaire qui crée les chefs et les rois; et la race de Pepin finit comme elle avait commencé. C'est un duc de France, un nouveau Maire, qui commence la nouvelle dynastie qui vient la remplacer.

LIVRE TROISIÈME.

HISTOIRE DE LA FRANCE SOUS LA TROISIÈME RACE.

CHAPITRE PREMIER.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES SUR LES RÉVOLUTIONS DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE DU DIXIÈME AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE.

LA société sortit du dixième siècle, pourvue d'institutions et de destinées toutes nouvelles. La Loi de la Vassalité héréditaire avait remplacé la Loi de la Vassalité par élection. La population se trouvait partagée en plusieurs groupes qui commencèrent à vivre séparément, et qui n'eurent plus, de français, que leur origine. Chaque point du grand Empire de Charlemagne, bien que doué d'une impulsion qui le poussait à un résultat commun, poursuivit sa tendance avec les formes de son individualité particulière, et devint une nation. L'Italie fut divisée en petites seigneuries féodales; l'Allemagne fut partagée en sept grandes seigneuries. Elle maintint son unité, en conservant un Empereur pour la représenter. Mais celui-ci devint électif, et les électeurs furent les grands Seigneurs féodaux, dont la réunion formait le plaid général de la nation Germanique. En France, le pouvoir royal devint héréditaire, et le royaume fut gouverné comme un grand fief. Ainsi, le point de départ et le but furent les mêmes pour tous les pcuples; mais chacun développa le germe déposé dans son sein, avec ses facultés propres. Aussi chaque pays s'avança dans la voie du progrès avec des vitesses inégales.

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Dès ce jour, il y eut un Droit public Européen. Dans les siècles précédens, l'Armée Catholique n'avait qu'à combattre. Elle n'avait avec ses ennemis aucun principe commun et convenu, sur lequel elle pût fonder un traité. Aussi la guerre ne fut jamais interrompue que par des trèves. Mais dès l'instant où il y eut plusieurs peuples vivant sous une même loi morale, il y eut aussi un Droit des Gens, et la Diplomatie prit origine.

L'originalité de cette période de la Société Européenne se réfléchit dans toutes ses œuvres. Le Langage, les Arts, les Sciences, revêtirent des formes jusqu'alors inconnues, et marchèrent à des conséquences qui promettaient le monde intellectuel nouveau, où nous vivons aujourd'hui. L'individualité des peuplades se reproduisit dans les variétés de langage. Quant aux Arts et aux Sciences, ils conservèrent un caractère général, comme l'origine dont ils émanaient. Ils ressortaient de la pensée Catholique: ils furent donc unitaires et universels, ainsi qu'elle l'était elle-même. Jusqu'à ce jour, l'Architecture avait conservé le Style Byzantin. Elle en prit un nouveau : elle inventa le Style qu'on a improprément appelé Gothique, et que nous nommerons Catholique, parce qu'à l'époque de sa création il n'existait plus un seul Goth, ni un seul Arien, parce qu'il naquit précisément sur le sol créé par le Catholicisme, c'est-à-dire dans l'Empire fondé par les Francs. On commença, au onzième siècle, à rebâtir toutes les Églises; et cela fut si général, que tous les historiens ont noté le fait, et que fort peu d'Églises Byzantines ont échappé à cette fureur de reconstruction. Le Style Architectural suivit, dans les monumens destinés aux usages particuliers, celui qu'on avait adopté dans les monumens consacrés au Culte. Quant à la Lithurgie, cette autre partie de l'Art ecclésiastique, et tout ce qui s'y rattache, elle resta Romaine, ainsi que cela devait être.

Les Sciences aussi commencèrent, vers la fin du onzième siècle, à donner les premiers signes des modifications que l'introduction du germe Chrétien devait y produire un siècle ou deux plus tard; car l'idée générale scientifique avait été changée par le Christianisme. Il établissait, en effet, en principe que le monde était

gouverné par des forces brutes, dont l'homme pouvait se rendre le maître. Cet axiome chrétien résume très-bien: Natura est vis à Deo insita. Aux discussions purement relatives à l'interprétation du Dogme Chrétien, en ce qu'il renfermait de moral, et dont chacune est signalée, dans l'histoire de l'Église, par celle d'une hérésie, succédèrent les discussions métaphysiques et l'étude même des spécialités physiques.

On reprit les sciences au point où l'École d'Alexandrie les avait laissées. Mais, comme le plus petit nombre des écrits de cette École avaient été traduits en latin, la seule langue savante du moyen âge, il fallait, après avoir épuisé ce qu'ils contenaient, aller en chercher la suite dans les manuscrits grecs. Or, cette dernière langue était complétement inconnue, éloignée d'ailleurs du contact de la partie de l'Europe où l'on s'occupait de travaux intellectuels. On apprit que ces livres précieux existaient, traduits, chez les Arabes, avec lesquels la guerre avait entretenu de nombreuses communications, bien qu'elles ne fussent que celles qu'établissent toujours les prisonniers et les trèves, entre ennemis. On alla donc chercher les écrits grecs chez les Maures, et on les copia en latin d'après des textes arabes (1).

(1) Il est une opinion, particulièrement en faveur aujourd'hui, et du nombre de celles qui ont été émises dans le siècle dernier, dans le but de prouver que le Christianisme n'avait jamais été qu'une doctrine rétrograde, complétement stérile dans les arts, les sciences, etc. Dans cette opinion, on attribue aux Arabes une grande influence sur la civilisation Européenne. Nous croyons que c'est une erreur, et nous sommes fondés sur l'observation de la succession parfaitement graduée, et parfaitement continue, du développement des arts, des sciences et de l'industrie dans le Nord. Nous ne craignons même pas d'assurer que notre Europe n'a reçu des Musulmans rien au-delà de quelques observations de détail, plus faciles à recueillir dans leur climat que dans le nôtre, de quelques procédés de calcul, quelques instrumens d'analyse chimique, etc., pcu importans, dont la plupart ne méritent même pas d'être cités, et qu'on eût inventés infailliblement, s'ils n'eussent pas été déjà trouvés. On a attribué aux Arabes l'invention de l'Algèbre; et cependant l'on possède un traité du Grec Diophante sur l'Algèbre et ses applications. Ce savant Astronome écrivait au quatrième siècle. On a dit aussi que les chiffres étaient d'invention Arabe. Tout le monde sait maintenant que notre système de numération est indien; mais ce que tout le monde ne sait pas, c'est que le nom de chiffre ne vient pas de l'arabe, mais du Mot grec, siphra, siș px, par le

Le mouvement rationnel, qui commença à la fin du onzième siè cle, doit être suivi, et compris, sous deux titres généraux: celui des discussions relatives à la méthode, et celui des travaux scientifiques proprement dits. Dans le premier, il faut ranger toutes les disputes théologiques et métaphysiques; toutes celles qu'on a confondues plus tard sous le nom vague de scolastique, et où furent réunis en présence les principes de Platon et ceux d'Aristote. Elles quelle moine Planude qui proposa les nouveaux signes désignait le zéro.-Au reste, notre originalité est assurée contre toute accusation de plagiat dela part des Arabistes,dès que l'on compare les généralités des œuvres produites par les deux civilisations.- L'Architecture arabe est copiée; elle a deux styles: l'un importé de l'Indoustan; l'autre imité du Byzantin.- La nôtre est complétement originale. Pour être certain de ce fait, il suffit d'ouvrir les yeux. · La littérature arabe n'a reçu aucune empreinte de la lecture du Coran; leurs poèmes, après l'Hégire, ressemblent à ceux qu'ils faisaient quelques siècles auparavant: Antar en est la preuve. Leur musique nc reçut point non plus la moindre modification de leur nouvelle doctrine religieuse. — Dans notre Europe, au contraire, la langue fut changée; il y eut une littérature toute nouvelle : voyez, en effet, les Romans et les nombreux Poèmes du douzième siècle, qu'on commence aujourd'hui à remettre en lumière. Enfin, quant à la musique, la gamme et l'harmonie n'ont-elles pas été inventées, l'une par un Pape, et l'autre par des moines? L'Orgue même, qu'on s'est plu si long-temps à faire venir d'Orient, n'est qu'un perfectionnement d'un instrument usité chez les Romains, etc., etc. — Examinerons-nous les sciences? Dans les sciences naturelles le premier ouvrage capital, est celui de Mesué, au neuvième siècle : c'est une copie des Grecs; il ne diffère ni par le plan, ni par la matière, de celui de Paul d'OEgine, qui est du septième siècle. L'un et l'autre ne sont, à vrai dire, que des recueils de recettes ou de curiosités. En Astronomie, la série des inventeurs ne se compose-t-elle pas de Ptolomée, Copernic, Ticho-Brahé, etc.? - Quant aux sciences métaphysiques, politiques, la comparaison n'est pas même possible. Tiendrons-nous compte de l'industrie? il faut remarquer d'abord que lorsqu'un pays est uniquement occupé à une fonction de dévouement, il est tout simple qu'il néglige ce qui est relatif seulement aux commodités de la vie. En outre, dans la société Européenne, la lutte progressive fut incessante: dans les terres musulmanes, au contraire, le repos, effet du despotisme, succédait immédiatement à la conquête. Il ne faudrait pas croire cependant que notre moyen âge ait été totalement dépourvu de richesses industrielles; il est certain que le commun des hommes était mieux logé, mieux habillé, mieux nourri, mieux armé que le peuple ne le fut et ne l'est encore en Arabie. Il ne faut pas prendre le luxe de quelques despotes pour de la richesse nationale. D'ailleurs, ces maisons particulières si bien ornées, ces meubles si curieux, ces vitraux peints, ces belles étoffes, ces grandes Cathédrales de notre moyen âge, annoncent une énergie productive que nous trouvons à peine dans la société la plus riche du Mahométisme, dans celle de l'Indoustan, etc.

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