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ils se sacrifièrent, afin de faire un centre aux grandes idées d'égalité et de fraternité, promises aux jouissances des générations futures.Est-il un seul homme, assez haut ou assez bas placé dans le monde, pour oser insulter à tous ces martyrs morts dans l'œuvre d'une si belle tâche!

Lorsqu'on se place sur le vrai terrain des causes de la révolution, sur celui que nous avons choisi, on voit comment une si haute volonté est venue; on voit qu'il a fallu quatorze siècles d'une activité toujours la même, pour faire cette fière nation, qui, d'elle-même et sans chef, s'est mise un jour à penser et à agir comme un seul homme. Alors l'idée révolutionnaire a une histoire qui est celle du monde, et où nous apprenons, en même temps, pourquoi chaque peuple est à la place qu'il occupe, et pourquoi notre nation est la première entre les nations modernes. Alors on lit que l'idée révolutionnaire a un droit antérieur à tous les droits qui s'élèvent et luttent contre elle : car toutes les dynasties existantes aujourd'hui, toutes, sont sorties d'un service qui lui a été rendu, et ont été sacrées à ce titre. Quelle passion, quelle colère, quel préjugé ne restera confondu et muet à ce spectacle!

Ainsi, c'est pour donner au fait révolutionnaire sa véritable valeur et toute son autorité, que nous avons passé sur les inconvéniens d'avancer, dans le commencement d'un ouvrage qui est rédigé dans l'espérance d'une grande publicité, une idée qui est rigoureusement vraie, sans doute, mais qui, par sa nouveauté, pourra repousser quelques esprits, et nuire au succès de notre publication. Elle nous était d'ailleurs indispensable comme introduction à l'esquisse de l'histoire des Français qui va suivre. Il n'est plus permis aujourd'hui à personne, et à nous moins qu'à d'autres, de dépouiller les faits de leur but.

Nous n'écrivons pas seulement pour nos concitoyens de France; mais nous rassemblons les pièces d'un grand enseignement pour tous les hommes, quelle que soit leur patrie; et, pour qu'elles soient comprises, nous nous servons de la langue commune, la seule qui soit en Europe; d'une langue qui sa entendue aussi bien du Polonais que du serf russe, de l'Espagnol que de l'Irlandais, de l'Italie papale que de l'Allemagne catholique ou pro

testante.

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TOUTES les fois qu'un nom national nouveau vient à paraître dans l'histoire, il est certain que c'est une fonction nouvelle qui commence. Dans la grande société des peuples, chacun est, å son tour et à sa place, ouvrier de l'œuvre de perfectionnement qui s'accomplit au profit de tous; chacun poursuit, dans la succession des temps, une part de ce travail de civilisation, dont le bénéfice est toujours pour les enfans.

Dans l'humanité, ce sont les idées qui créent et gouvernent les faits aussi peut-on suivre également bien l'histoire des hommes, soit en étudiant la succession des idées, soit en observant la succession des faits. Or, chaque nation est une idée qui s'est faite chair; et de même que les idées succèdent aux idées, de même les nations succèdent aux nations; et de même encor que toutes les idées tendent à un résultat unique, de même toutes les nations travaillent à conquérir un but unique. L'œuvre est commune, les fonctions seules diffèrent.

Parce que jamais ouvrier jusqu'à ce jour n'a manqué à la tâche, parce que l'œuvre progressive s'est poursuivie sans interruption, qu'on ne pense pas cependant que les hommes ne soient pas maîtres d'accepter ou de refuser une part d'efforts. Non. Les nations ont la liberté du choix. Elles jouissent de la faculté du libre arbitre aussi bien que les individus. L'histoire nous montre, en effet, qu'à ces époques de crise, qui commandent une

fonction, et par suite une nationalité nouvelle, il y a beaucoup d'appelés, et peu qui veuillent être élus. Aussi voyez-vous alors paraître une multitude de noms de peuples différens. Parmi tous ces noms, un seul reste, et vient se faire une histoire; les autres ou s'éteignent à jamais, ou descendent au titre de quelque province obscure. Ce n'est pas parce que cette multitude est dévorée par un plus fort; loin de là, car c'est, au contraire, bien souvent le plus obscur et le plus faible qui surnage à tous les autres; mais aussi, c'est qu'il s'agit de choisir entre le dévouement et l'égoïsme. L'œuvre progressive est une œuvre difficile et rude qui exige de longs et obstinés sacrifices. Or, qui veut vivre seulement pour soi, n'y prendra jamais part.

L'histoire de la nationalité française est la vérification complète de tous les principes précédens. Elle vint tenir la place de l'empire romain d'Occident qui était infidèle à sa fonction. Seule au milieu de plusieurs nations, elle comprit et saisit l'œuvre à faire, l'œuvre de civilisation'; elle se dévoua au Catholicisme; et il se trouva même un moment où elle fut la seule nation catholique. Pendant cinq siècles, le nom de Francs fut celui d'une armée qui servait de bras au christianisme. Dans les Gaules, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, on ne connut pas sous un autre nom que sous celui de Français, ces hommes courageux qui luttèrent partout contre cette barbarie nomade qui allait au pillage comme à une chasse, contre ces doctrines ariennes, impies, qui menaçaient le progrès de mort, contre le mahométisme, leur enfant; qui partout travaillèrent à construire une unité européenne par le seul moyen qui puisse l'établir et la faire durer parmi les hommes, par l'unité des doctrines. Que sont devenus aujoud'hui ces Goths, ces Alains, ces Suèves, ces Vandales, ces Huns, ces Hérules, ces Lombards, ces Bourguignons, etc., si nombreux et si terribles? Leurs noms ont disparu, ou ne sont plus que des noms de provinces.

L'existence d'une nationalité, comme celle d'un individu, se

compose de deux vies: l'une tout extérieure, toute de relation, qui manifeste une fonction parmi les peuples; l'autre intérieure, organique, par laquelle elle se met en état d'accomplir sa tâche humanitaire; et c'est aussi ce qu'il faut remarquer dans l'histoire des Français. Car, tout le passé de l'Europe peut être compris sous deux mots : la France et l'Église. Les Français firent, dans le christianisme, l'œuvre temporelle tout entière, comme l'Église fit l'œuvre spirituelle.

L'organisation intérieure de la France correspondait exactement aux exigences de la fonction extérieure. Pendant les cinq siècles consacrés à l'œuvre purement militaire, l'organisation nationale fut celle d'une armée toujours sur le pied de guerre. La hiérarchie sociale fut celle d'une armée. Le travail industriel', qui nourrissait ce grand corps, fut isolé. Il eut ses lois et son système à part, bien que maintenu dans une position subordonnée. Quant aux individus, ils purent pendant long-temps se placer presque à leur volonté, dans l'une ou l'autre de ces deux grandes divisions. Le courage saisit la première; la faiblesse prit la seconde. Aussi, dans les premiers siècles de notre monarchie, voit-on des hommes libres devenir bourgeois, ouvriers et colons, et un grand nombre de ceux-ci devenir hommes libres. Dans ces temps, la liberté n'était point comprise comme aujourd'hui elle ne signifiait pas indépendance des individus, car tout le monde alors était lié à une fonction; tout le monde travaillait, et l'on appelait hommes libres ceux seulement qui ne payaient d'autre impôt que celui de leur sang et de leurs bras; et le mot Franc, qui signifie, en langue celtique, liberté ou courage, servit à désigner dans toute l'Europe les chrétiens hommes de guerre. Plus tard, les enfans héritèrent des fruits de l'option de leurs pères.

Au onzième siècle, la France modifia son organisation intérieure. Elle commença simultanément deux nouvelles œuvres temporelles, sans cesser cependant de prendre une part et d'être encore en tête, dans les grands dévouemens catholiques. Elle commença l'œuvre scientifique, et, en même temps, l'œuvre d'ho

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