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DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

INTRODUCTION

HISTOIRE ABRÉGÉE DES FRANCAIS.

PREFACE.

La révolution française est la conséquence dernière et la plus avancée de la civilisation moderne, et la civilisation moderne est sortie tout entière de l'Évangile. C'est un fait irrécusable, si l'on consulte l'histoire, et particulièrement celle de notre pays, en y étudiant non pas seulement les événemens, mais aussi les idées motrices de ces événemens. C'est encore un fait incontestable, si l'on examine et si l'on compare à la doctrine de Jésus, tous les principes que la révolution inscrivit sur ses drapeaux et dans ses Codes; ces mots d'égalité et de fraternité qu'elle mit en tête de tous ses actes, et avec lesquels elle justifia toutes ses œuvres.

Lorsque, il y a quelques années, cette pensée fut émise pour la première fois, elle fit scandale; mais depuis elle s'est fait adopter par beaucoup d'esprits, et le jour n'est pas éloigné peutêtre, où elle deviendra populaire. Nous devons cependant compte au public des motifs qui nous ont déterminés à poser, dès le début de cette introduction, et sans préparation aucune, une opinion

T. I.

qui est de nature à choquer des habitudes intellectuelles profondément établies, et qui sont encore celles du plus grand nombre.

En politique, la valeur d'un fait réside tout entière dans sa raison morale ; c'est là qu'il faut le juger. En effet, les circonstances au milieu desquelles il se produit sont presque toujours de telle nature, qu'il lui est impossible de paraître pur de violence, et, par suite, exempt de reproches ou de calomnies.

Aussi, est-ce un principe admis dans les usages les plus ordinaires de la justice humaine, d'apprécier les actes principalement par leur cause.

Or, jusqu'à ce jour, comment fut présentée notre révolution? Les uns, c'est-à-dire le plus grand nombre, y montrent un accident qui produisit un peu de bien et beaucoup de mal, accident dont on cherche l'origine dans quelques petits événemens occasionnels, dans des embarras de finance, des maladresses du pouvoir, des insolences de gentilshommes, des scandales de famille, et, moins que cela encore, dans le mécontentement ou l'ambition de quelques personnages. Et ce n'est pas seulement de nos jours que de telles erreurs ont été avancées, soutenues et propagées; ce n'est pas seulement dans notre siècle que l'on a osé considérer un mouvement qui a bouleversé le monde, comme un accident dont il faut se consoler, en pensant que le crime fut pour les pères, et le bien pour les enfans; les écrivains modernes n'ont fait que répéter une opinion qui eut cours au commencement de la révolution. Certes, ce n'est pas en se fondant sur de semblables motifs, que l'on peut établir le droit révolutionnaire, ou en imposer le devoir. Cette misérable explication qui suppose qu'il n'y a dans les événemens sociaux autre chose que des hasards et des passions!, cette ignorance profonde du but de l'humanité, fut, suivant nous, la cause de tous les malheurs qui accompagnèrent la révolution, comme elle est encore aujourd'hui celle de toutes les résistances

qu'éprouve partout le juste progrès dont son nom est le signe : car, ce fut parce qu'un grand nombre des acteurs de ce drame terrible partageaient l'erreur vulgaire, que plusieurs n'y cherchèrent qu'une occasion de fortune personnelle, et déshonorèrent de nobles efforts par d'affreux scandales. Et maintenant, en 1853, c'est parce que les rois voient dans les tendances révolutionnaires non pas un droit, mais un accident, mais un désordre, qu'au lieu de fonder leur pouvoir, et leur fortune sur l'utilité que ces tendances peuvent produire, ils espèrent en comprimer l'essor, et poussent à la colère, de justes demandes.

Quelques historiens ont présenté la révolution comme le résultat des prédications des dix-septième et dix-huitième siècles. Mais alors il fallait justifier du droit de ces deux siècles, et c'est ce qu'ils n'ont pas fait. Quels enseignemens en effet a tirés le pouvoir de leurs écrits? C'est qu'il fallait comprimer la pensée, et fermer aux hommes la source de l'instruction.

D'autres écrivains ont invoqué le droit naturel. Mais, avant d'y chercher un élément de justification, il eût fallu le justifier luimême. N'est-il pas, en effet, surabondamment prouvé que ce droit est impropre à fonder une société? N'a-t-on pas répété maintes fois qu'au point de vue de nature, chacun est parqué dans son intérêt privé, et que de là il peut repousser avec justice tout devoir social? Aussi, ce n'est pas en son nom que la révolution elle-même, dont nous voulons faire l'histoire, a conservé sa puissante unité, imposé ses terribles sacrifices, et exigé les grands dévouemens qui l'ont sauvée. Au contraire, c'est au nom du droit naturel que tous ceux qui ne furent pas royalistes, les Girondins entre autres, lui ont résisté.

Dans toutes ces raisons, il n'y a rien qui constitue une réponse universelle, rien qui puisse avoir valeur d'un commande

ment irrécusable pour les rois comme pour les nations. Il nous faut aujourd'hui une raison qui réponde à tous, hommes et peuples, quelle que soit leur position sociale; car, dans notre révolution, il y a autre chose que des ruines, il y a un commencement de construction. S'il ne s'agissait que d'un fait achevé, fini, eût-il été encore mille fois plus calomnié, si nous en cherchions la raison seulement pour l'honneur de l'humanité, pour l'honneur de notre pays, on nous pardonnerait quelque négligence; mais il s'agit d'un passé qui se continue, et qui produira notre avenir. Nous avons donc besoin, pour engager la discussion, d'un terrain que chacun acceptera, pourvu qu'il soit né d'européen; et c'est à cette fin que nous choisissons le sol chrétien luimême. Les événemens de la révolution, dès qu'ils sont placés là, sont justifiés aux yeux de tous, peuples, rois et prêtres ; ils changent d'aspect; car on est obligé de voir dans ses axiomes des lois depuis long-temps enseignées, depuis long-temps poursuivies, et qui approchent de la réalisation.

Qu'on ne dise pas que le peuple se livra au mouvement révolutionnaire pour conquérir quelques biens matériels; car on pourrait prouver que quelque part en Europe, il y a des serfs et des populations esclaves mille fois plus heureuses que nos ouvriers et nos paysans libres de France: au moins ceux-là ne souffrent-ils jamais ni du froid, ni de la faim; au moins ceux-là n'ont jamais senti le mal qui ronge nos salariés, le mal d'un travail sans sécurité, d'une existence incertaine de son avenir; et aussi, ils meurent chargés d'années, après une vie exempte de maladies. Non, les Français, en se livrant à l'enthousiasme révolutionnaire, ne regardèrent que comme un but inférieur, et encore comme une conquête dont jouiraient seulement leurs petits enfans, l'acquisition de ce mieux-être physique: ils se dévouèrent à des principes;

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