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res commençaient à se dépeupler. Il fallut y pourvoir par une loi qui rendit le service obligatoire pour les enfans.

Nous terminerons cette esquisse de la constitution militaire, en faisant remarquer qu'il en résultait que la classe entière qu'elle régissait, était attachée au sol. Nous allons voir qu'il en était de même pour le reste de la population, sauf un petit nombre d'exceptions que nous ferons connaître.

La seconde classe des Ingénus était celle des habitans des cités. Il y avait dans les Gaules, c'est-à-dire dans l'espace compris entre les Alpes, les Pyrénées, la mer et le Rhin, cent quinze cités seulement; mais il ne faut pas entendre par ce mot ce que nous comprendrions aujourd'hui. Une cité était un petit département, ayant sa capitale ordinairement fortifiée, et ses bourgs. Ainsi Lutèce, que l'on a nommée plus tard, par contraction de Parisii, Paris, était la capitale des Parisiens; elle était le chef-lieu d'un territoire assez considérable, puisque la réunion de ses habitans put s'appeler une armée. Non loin de cette ville, à Saint-Maur, était un camp de soldats Casati.

La population des cités était divisée en plusieurs classes: les sénateurs, les curiales, les simples citoyens et la plèbe. Les deux premières étaient chargées des fonctions municipales (1): les Sénateurs administraient la justice criminelle par un tribunal composé de cinq délégués, quinqueviralis. Les curiales avaient soin de la répartition et de la perception de l'impôt; ils en ré

(1) En établissant cette division du gouvernement municipal en Sénat et en Curie, il nous reste quelques scrupules dont nous devons faire part à nos lecteurs. Cette division ne nous paraît pas absolument incontestable, bien qu'e le paraisse ressortir assez clairement de plusieurs passages. Il a pú, en effet, arriver que les auteurs aient donné indifféremment le nom de Sénat ou de curie à des divisions d'un même corps. Voici cependant, quelles sont nos raisons principales pour la maintenir. Il y avait des familles sénatoriales; la Curie, au contraire, n'était formée que par élection des citoyens ou par inscription. Un édit de Majorien appelle l'assemblée des curiales, Sénat inférieur. Un article du code Théodosien, titre XH, dit: « In criminalibus causis, senatus statuta jamdudum quinqueviralis judicii forma servabitur. » Or, les Curiales ne jugeaient point au criminel; ils n'avaient que le droit d'arrêter. La loi salique distingue trois classes dans les cités, et l'amende prononcée pour garantir la vie de la première, est plus considérable que celle même imposée pour le meurtre

pondaient sur leurs biens. Ils étaient chargés encore de la police de la grande et de la petite voirie ; enfin, ils remplissaient toutes les charges de nos juges de paix; ils avaient le droit de prouoneer dans les débats jusqu'à concurrence de la somme de cinquante sous, c'est-à-dire deux livres et demie d'argent. Les cu riales accomplissaient ces fonctions par un conseil de dix membres qu'ils choisissaient dans leur sein.

Les curiales, suivant l'expression d'un édit de Majorien, étaient les serfs de l'Empire et les entrailles de la cité, servi reipublicæ, ac viscera civitatum. Ainsi, tourmentés par des charges de toute espèce, par des demandes continuelles d'argent, de vivres et d'hommes, auxquelles les cités ne pouvaient suffire', et qui leur attiraient la haine de leurs concitoyens, et absorbaient leur fortune personnelle, un grand nombre prirent le parti de fuir, et d'aller se cacher dans l'obscurité de la plèbe de quelque ville étrangère, ou chez les Barbares, ou dans un camp: d'autres se donnaient à leurs concitoyens en qualité de serfs colons. Il y eut des lois impériales qui commandaient, sous des peines sévères, que les curiales restassent attachés à leurs charges, et qui ordonnaient de les saisir partout où on les trouverait, afin de les rendre à leurs devoirs. Ainsi le citoyen était attaché au sol comme le soldat, et il ne pouvait pas même changér le lieu de son habitation.

d'un Franc. Les nobles de cette classe sont appelés convives du Roi; or, cela ne peut être eutendu des curiales, etc.

Ajoutons qu'il est une raison qui expliquerait assez bien le vague des expressions par lesquelles les écrivains du cinquième siècle désignent la magistrature des cités : c'est la confusion que dut introduire dans les municipes l'insurrection des Bagaudes. Tout ce qui n'était pas populaire dut être renversé. En effet, on trouve dans les historiens que les Romains rétablirent les Sénats dans les cités qu'ils reprirent sur cette con fédération. Cependant, le titre de Curiale était resté dans les villes qui avaient conservé leur indépendance; il en est encore fait mention sous un des noms par lesquels on les désignait souvent, sous celui de notables. Au temps de Frédégonde, on ne trouve le titre de Sénat ou de Sé nateur dans aucune partie der Armoriques qui traitèrent avec Clovis; tandis qu'au contraire, Grégoire de Tours fait souvent mention de familles sénatoriales appartenant à quelque cité qui avait été séparée de la Bagaudia.

On était sénateur par droit de naissance; on était curiale par droit de fortune; et l'on pouvait être forcé d'entrer dans la curie dès qu'on possédait environ vingt-cinq arpens de terre.

Après les curiales venaient les simples citoyens, qu'on désignait ordinairement par le titre de possesseurs.

La plèbe se composait de deux classes d'ingénus: la première était celle des commerçans, marchands, colporteurs ou bateliers qui, comme à Paris, par exemple, formaient une hanse; la seconde était composée des artisans, qui étaient divisés en trentecinq corps de métiers, dont on trouve la nomenclature dans le Code théodosien, ayant leur président et leurs réglemens de corporation.

Telle était l'organisation intérieure de la cité; leurs revenus particuliers consistaient en des droits de consommation, des octrois, portoria, et le produit des terres communales: il paraît aussi que le conseil curiale pouvait imposer des corvées.

Pour achever de faire connaître la condition des Ingénus de ce temps, il nous reste à parler du clergé. Lui seul était libre dans toute la force de l'expression, chacun dépendant seulement de son supérieur dans la hiérarchie ecclésiastique. Ses membres possédaient l'immunité personnelle; ils n'étaient attachés au sol qu'autant qu'ils le voulaient. Chaque cité avait son évêque, qui était considéré comme le premier et le plus noble citoyen de chaque ville; il était en effet l'élu du sénat, des curiales et du clergé. Les évêques avaient droit de suspendre les jugemens; ils étaient les tuteurs des veuves et des orphelins; c'étaient cux qui tenaient les tables d'affranchissement, etc.; ils étaient toutpuissans, enfin, par le droit d'excommunication; car celle-ci emportait la mort civile.

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Il nous reste à parler de serfs. Ils étaient divisés en deux classes il y avait les serfs proprement dits, qui appartenaient comme des immeubles à leurs propriétaires, corps et biens; pouvant être vendus, achetés, transportés comme une chose: cette classe était très-peu nombreuse; c'était un bagage de luxe qui ne se rencontrait guère que dans les familles sénato

riales. Il y avait une autre classe de serfs, très-nombreuse, trèsutile, et particulièrement protégée par les lois, nous voulons parler des colons. Ceux-ci étaient attachés à la terre qu'ils cultivaient; ils ne pouvaient être ni vendus, ni transportés; ils ne changeaient de propriétaire que lorsque le sol auquel ils étaient liés, changeait de mains. Ils n'étaient tenus qu'à une redevance fixe, après laquelle tous les fruits de leur travail leur appartenaient. Ils pouvaient donc acquérir un pécule, vendre, acheter, · devenir propriétaires, enfin payer leur affranchissement. Leur position n'avait rien ni de douloureux, ni d'humiliant; ils étaient astreints à une habitation fixe, mais, en cela, leur condition n'était pas plus fâcheuse que celle de leurs maîtres. Aussi voyait-on des Ingénus tenter d'entrer dans la classe des colons, et voyait-on souvent des femmes, même nobles, se marier à des colons: car l'Église distribuait à tous, serfs et citoyens, les mêmes sacremens et la même protection.

Le sol cultivé était divisé en trois grandes espèces de propriétés. Il y avait le domaine impérial, qui était très-étendu, puisqu'il était primitivement composé du tiers du terrain cultivé; il y avait donc les colons de l'empereur: c'étaient les employés du fisc qui percevaient les fermages. Il y avait ensuite les terres des bénéfices militaires divisées en une multitude de cantons épars. Il y avait ensuite les terres des cités, partagées en propriétés particulières et en propriétés communales. L'Église possédait à titre de particulier. Il y avait aussi des colons sur ces diverses terres. Enfin, il existait d'immenses étendues de terrains vagues et couverts de forêts, particulièrement dans le nord de la Gaule.

Tel était, en abrégé, l'état dans lequel l'administration romaine avait laissé les Gaules: voyons maintenant quels changemens y introduisit la prétendue conquête franque, ou, en termes plus vrais, l'élection de Clovis à la royauté militaire du nord de ce pays.

Il fut déclaré d'abord que les Gaulois continueraient à être. gouvernés par la loi romaine. La loi Salique et la Ripuaire furent

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corrigées et mises en rapport avec les exigences et les mœurs catholiques.

Tous les cantonnemens militaires qui firent alliance en même temps que les Bagaudes, furent maintenus; les bénéfices militaires conservés aux soldats qui les possédaient, et ceux-ci, de quelque origine qu'ils fussent, reçurent le nom de Francs: on trouve dans les historiens une multitude de détails quiétablissent ces faits. Ainsi, les légions cantonnées au bord de la Loire conservèrent encore très-long-temps leur discipline, leur armement, et jusqu'aux noms par lesquels on désignait les offices militaires.

Le fameux article de la loi des Francs, relatif à la transmission héréditaire de la terre salique de mâle en mâle, est une traduction du réglement romain relatif aux ripuaires et aux casati: le mot salique est l'équivalent de militaire. Cet article suppose même que Clovis accepta toutes les coutumes romaines, quant à la discipline de ces camps de soldats casaniers, car, on eût fait mention de la moindre modification de ce genre dans cette loi qui va jusqu'à déterminer le rachat des blessures causées par des quadrupèdes.

Quant aux amendes destinées à garantir la vie des hommes, les différences qu'elles présentent étaient en rapport exact avec la valeur de la fonction exercée par les individus. En cela, les Francs imitèrent encore les Romains. Ils évaluaient l'homme de guerre à un plus haut prix que le plus grand nombre des citoyens: ils n'exceptèrent que les ecclésiastiques, les sénateurs et les hôtes du roi. Nous verrons tout à l'heure quels étaient ces derniers.

Clovis s'empara seulement du domaine impérial, et même dans les guerres de ses premières années, il ne pilla jamais que ce domaine ou celui des soldats bénéficiaires qui combattaient contre lui. Aussi ces violences, qui nous paraissent si terribles aujourd'hui, n'étaient, à cette époque, aux yeux de tous, que l'exercice du droit de guerre. Telle ne fut pas la conduite des Visigoths et des Bourguignons les premiers prirent le tiers des terres des cités; les seconds en prirent la moitié avec le tiers des esclaves.

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