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la faire comaître, il suffit d'en citer les deux phrases suivantes : Que tous les priviléges qui divisent les ordres soient révoqués, le Tiers-état est la nation. »

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Nous avons sous les yeux une brochure ayant pour titre: Résultat des premières assemblées de la société publicole tenues les 20, 24, 31 décembre 1788, et 2 janvier 1789. - C'était un de ces clubs dont la mode importée d'Amérique était devenue générale. Mais celui-ci avait pour but spécial d'éclairer les esprits, et de s'occuper d'affaires publiques dans le sens le plus libéral. Nul doute qu'une multitude de sociétés ne s'occupassent alors, ainsi que celles-ci, de débattre les questions d'intérêt social.

Les prétentions de la noblesse et celles du clergé avaient échoué contre la volonté du conseil du roi dans l'assemblée des notables; mais le privilége n'était pas vaincu, et il vint essayer ses forces sur la place publique. Il s'attaqua aux ordonnances de convocation elles-mêmes. Les premières résistances éclatèrent dans des provinces privilégiées, dans des pays d'États, en Franche-Comté et en Bretagne.

En Franche-Comté, les États composés des trois ordres assemblés à Besançon, selon l'ancienne coutume, délibérètent sur l'exécution de l'ordonnance du 24 janvier. La chambre du tiers vota pour que, selon les dispositions de l'ordonnance, les dépu tés fussent élus par bailliages (il y en avait quatre dans la province), et que le tiers nommȧt autant de représentans que les deux ordres réunis.

Les deux chambres supérieures se partagèrent: les uns se rangeant de l'avis du tiers; les autres voulant que les représentans fussent élus par les États-Généraux de la province; toute la haute noblesse et tout le haut clergé étaient dans cette opinion. Ils espéraient par ce moyen obtenir la majorité pour les hommes de leur caste. Les deux partis protestèrent contre les prétentions de leurs adversaires. Le parlement se jetá dans la querelle il appuya les exigences aristocratiques, et cassa la protestation du tiers, par un acte du 27 janvier, qui a été con ́servé. Il est précédé de considérans qui nous révèlent les sen

timens que la discussion avait fait éclater, et dont, à cause de cela, nous croyons nécessaire de citer quelques extraits:

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« Considérant, dit la Cour, que la fermentation qui règne dans le royaume, principalement dans les villes, est excitée par une multitude d'écrits capables d'induire les peuples en erreur; que des opinions et des assertions audacieuses, hasardées par des particuliers sans caractère et sans autorité, tendent à détruire toute subordination, à élever des insurrections contre l'autorité légitime, à engendrer une guerre intestine, et à ébranler, peut-être même à renverser la monarchie;

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› Que la chambre du tiers-état a aspiré à une égalité de voix et de suffrages aux deux autres chambres réunies, contre la coutume invariablement suivie....

› Qu'on voudrait anéantir l'immunité des fiefs; que cette immunité dans la province n'est point un privilége personnel; que c'est un droit réel, attaché au fonds par des lois positives, et par une possession de plus de mille ans ;

» Que les droits les plus sacrés; tous ceux de la propriété entre les mains des citoyens ; celui même de la succession au trône, n'ont d'autre fondement qu'une possession semblable;

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Que l'exemption de l'impôt a fait partie du prix dans les ventes et dans les partages des familles, et en a augmenté la valeur...; qu'on ne pourrait exiger le sacrifice d'une propriété si bien caractérisée, sans en accorder un dédommagement;

» Que toutes innovations sont dangereuses, parce que l'esprit novateur ne s'arrête point dans son cours; qu'un jour il frappe -d'un côté, et que le lendemain il renverse d'un autre ;

› Que par des plans et des systèmes d'uniformité entre les provinces, pour les impôts, on anéantirait les droits, les priviléges, et la constitution particulière des provinces;

» Que la Cour ne peut approuver les prétentions qui tendent à confondre tous les ordres de citoyens, et à dépouiller les uns sous "prétexte de soulager les autres; ed ngagon fi : siferoup

Que l'inégalité dans la distribution des biens est dans les térets de la Providence, et dans la nature de l'ordre social; qu'une

grande partie des classes du tiers-état ne subsiste et ne subsistera toujours qu'au moyen des terres et des propriétés de la noblesse et du clergé...;

› Que le Tiers-état doit se défier du génie fiscal et financier, qui veille toujours, qui ne perd jamais rien, et qui ne fait des promesses trompeuses que pour étendre son influence et son empire: arrête, etc. »

Le peuple de Besançon se souleva contre cet arrêt. Les magis trats furent, à plusieurs reprises, insultés et attaqués dans les rues. Ils furent assiégés jusque dans le palais, et obligés de chercher leur salut dans la fuite. Cependant un réglement du roi, dú 27 février, cassa le décret du parlement, et donna raison âu tiersétat. Les élections eurent lieu par bailliage, et conformément à l'ordonnance du 24 janvier.

En Bretagne, la résistance s'était annoncée dès l'année précédente. Elle avait commencé par des protestations de la noblesse contre les assemblées des notables, et contre les projets qu'on leur supposait. Aussi, lorsqu'elle éclata, elle descendit jusque sur la place publique. Le clergé n'y prit d'ailleurs aucune part.

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Le 30 décembre 1788, les États de la province étant assemblés à Rennes, selon l'usage, le tiers-état, suivant la pensée connue du conseil du roi, demanda à être représenté dans cette assemblée en nombre égal aux deux autres ordres. Il proposait, en outre, le vote par tête, et l'égale répartition des impositions entre tous les citoyens. Un journal royaliste (1) assure qu'il suivait en cela ·les instructions de Necker.

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Cette pétition arrêta les travaux de l'assemblée. Le tiers refusait de prendre part à aucune délibération avant d'avoir obtenu une décision conforme à ses désirs. La noblesse s'y opposait avec énergie. Les discussions allaient rapidement dégénérer en violences, lorsqu'un arrêt du conseil du roi intervint, et vint suspendre les séances. jusqu'au 5 février suivant. I ordonnait,en ouAre, que, dans l'intervalle, les députés du tiers-état se1 retireeraient dans leurs villes, afin d'y recevoir de nouveaux pouvoirs. -ab, pal,engeilionoid gaze tronátom eli z esmbia, panel qua tosiejs (1) L'ami du roi, par MONTJOIE. Introduction. 1er cahier, page 49.

Les gentilshommes, en recevant communication de cet ordre, avant de se séparer, signèrent une protestation dans laquelle ils déclarèrent déshonoré et traître à la province quiconque ne se dévouerait pas au maintien des priviléges du pays. Les représentans du tiers, au contraire, retournèrent à leurs commettans. On s'assembla par paroisses. Les réunions furent très-nombreuses, surtout à Rennes, et très-animées. On s'y occupait particulièrement de la protestation de la noblesse: on lui reprochait de remettre en problème l'inégale répartition des impôts, d'accuser les députés des communes d'avoir seuls mis obstacle à la discussion de cette inégalité, de tenter de soulever contre les habitans des villes le peuple ignorant des campagnes, en lui distribuant un faux exposé de ce qui s'était passé aux Etats, exposé qu'on avait fait traduire en dialecte breton, et distribuer par milliers d'exemplaires dans les villages. Enfin, on cherchait les moyens d'arrêter le succès d'une protestation que la noblesse faisait colporter pour la conservation des priviléges provinciaux.

Ces réunions étaient légales, autorisées par l'arrêt du roi. Cependant le parlement de Rennes, s'enfermant dans le droit coutumier de la province, écartant une ordonnance qu'il n'avait pas enregistrée, vint les arrêter; et il décréta les marguilliers des paroisses qui avaient permis qu'on s'assemblat dans les édifices dépendant de leur surveillance. On obéit à cette violence; mais l'on courut réclamer à Versailles. Cependant il n'était encore rien sorti de toutes ces réunions: seulement la jeunesse de Rennes avait lancé une brochure en réponse à celle de la caste aristocratique.

Toutes ces contradictions avaient poussé la colère de la noblesse à son dernier période. Le 26 janvier, un rassemblement provoqué et payé par elle, présidé par quatre gentilshommes, accru par l'espérance d'obtenir une diminution dans le prix du pain, se forma au champ de Montmorin à Rennes; de là il se répandit dans la ville, attaquant, frappant, blessant les bourgeois, et surtout les jeunes gens; puis il se rendit au palais. Les magistrats étaient sur leurs siéges; ils écoutèrent avec bienveillance Jes de

mandes de ces hommes. Ils réclamaient la conservation de la constitution et des priviléges de la province. Les victimes à leur tour allèrent se plaindre; mais leurs réclamations furent repoussées. Le lendemain donc, les jeunes gens, n'ayant rien à espérer de la justice, s'étaient armés et réunis pour se défendre si la lutte recommençait. En effet une nouvelle provocation leur fut adressée : un pauvre ouvrier, attaqué et grièvement blessé par des laquais de grands seigneurs, vint réclamer leur appui dans un café où ils s'étaient assemblés. Alors animée de la pensée de terminer d'un seul coup toutes ces violences, la jeunesse alla au cloître des Cordeliers, où cinq ou six cents gentilshommes étaient réunis et armés. Là il s'engagea un véritable combat, où il y eut de part et d'autre des tués et des blessés. Les deux partis se comportèrent avec courage: ce fut un duel soutenu avec une égale générosité de cœur. « Aussi, dit la relation, soit à jamais déshonoré un Kératry, qui, de ses fenêtres, à travers les jalousies, tirait sur les jeunes bourgeois! lâche qui, un moment auparavant, s'était prosterné à leurs genoux pour obtenir qu'on lui laissât la vie. »

Le commandant de la province intervint; la noblesse capitula le lendemain, et déclara renoncer à la vengeance: les jeunes gens donnèrent leur parole de désarmer. La paix semblait rétablie; mais le parlement instruisit, et dirigea ses poursuites particulièrement contre les hommes du Tiers. L'ordre des avocats, l'école de droit, la ville, réclamèrent auprès du garde-des-sceaux contre cette injuste partialité. L'affaire fut évoquée au parlement de Bordeaux, où elle n'a jamais été suivie.

L'appui que le parlement prêtait à la noblesse aurait pu faire dégénérer ces troubles en guerre civile; mais le soulèvement de toute la jeunesse des villes de Bretagne à la nouvelle des événemens des 26, 27 et 28 janvier, donna lieu à un tel développement de force de la part du Tiers-état, que la noblesse dut renoncer à la lutte et sentir son impuissance. Neuf cents jeunes gens armés arrivèrent de Nantes, et environ six cents des autres communes voisines. Il fut évident que ce rassemblement serait devenu une nombreuse 19

T. I.

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