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pied des Alpes, et de là, bientôt ils s'élancèrent en Italie pour y fonder un empire: ainsi le Nord fut séparé de l'Italie par des royaumes ariens.

Les choses étaient en cet état, lorsque Clovis succéda en 481 à Chilpéric. Ce roi chassa Syagrius, et s'empara de Soissons. Il souniit les Francs du pays de Tongres ou de Thuringe; mais il fut arrêté par les Bagaudes. Il assiégea à diverses reprises Paris, pendant dix ans, dit-on. C'est dans ces luttes que Geneviève de Nanterre se sanctifia par son dévouement religieux à la chose publique. Cette vierge, depuis long-temps consacrée au Seigneur, était déjà aimée et respectée pour les services de même genre rendus au temps de la guerre contre Attila. Son exemple et ses prédications donnèrent aux Parisiens le courage de résister à des attaques moins redoutables en elles-mêmes, que par les ravages qu'elles occasionnaient. Clovis sentit alors la nécessité de lier ses intérêts à ceux du Catholicisme. C'est sans doute dans ce but qu'il fit enlever la jeune Clotilde, laquelle, bien que de Bourgogne, pratiquait cependant la vraie foi, et qu'il s'unit à elle en mariage. D'un autre côté, les Évêques faisaient leurs efforts pour amener Clovis à se convertir. Ce fut un Romain, c'est-à-dire un chrétien, qui lui conseilla son mariage; et ce fut un saint prêtre qui détermina Clotilde à donner sa foi à un payen, dans l'espérance de le changer. Enfin, en 496, le roi franc se fit baptiser à Reims avec trois mille de ses fidèles.

Cet acte, depuis long-temps commandé par les circonstances, ne fut sans doute autant ajourné que par la volonté des Évêques. Ils exigeaient qu'il fût autre chose qu'une vaine cérémonie, et ils refusèrent en conséquence de l'accorder à d'autres sentimens, qu'à ceux d'une foi réelle et éprouvée. L'Église, et tout le monde alors, croyait aux sacremens, et c'eût été un sacrilége que de les prodiguer à des intérêts seulement temporels. En effet, il est inexact de dire que Clovis ne tarda tant que dans la crainte de mécontenter ses Francs. Depuis long-temps beaucoup de Francs s'étaient faits chrétiens; on trouve même à cette époque un saint de cette race. Ils étaient habitués au respect pour les prêtres et

les vierges du Seigneur, et par l'exemple d'Ægidius, et par celui de Chilpéric, et enfin par celui de Clovis lui-même, qui très-souvent consultait quelques saints personnages qui suivaient habituellement son armée. Clovis, d'ailleurs, faisait baptiser ses enfans, ce qui était promettre aux Francs des rois chrétiens. Or, rien ne nous apprend que quelqu'un de ses sujets lui ait demandé compte de cet acte. L'histoire du vase sacré réclamé par l'évêque de Reims, nous prouve quelle autorité avait, parmi cette peuplade, le respect pour l'Église. Enfin, l'immunité accordée au territoire de la cité des Rémois; l'indépendance qui lui fut laissée, parce qu'il était sous le gouvernement d'un Archevêque, tandis qu'on conquérait Soissons, parce que cette cité était administrée par un comte; même la conduite de Clovis après son baptême, tout montre que son accession au Christianisme fut plus encore un acte de foi qu'un acte politique.

En 497, un an après ce baptême, Clovis invita les Armoriques à s'allier avec lui, et, par l'inspiration des Évêques, elles le reconnurent pour administrateur de la chose militaire. Paris devint la capitale du nouveau Royaume, Les troupes romaines qui étaient cantonnées vers la Loire et dans le Berri, ne voulant pas, disent les chroniques, se donner aux Ariens, imitèrent les cités; elles se donnèrent aux Francs et aux Armoriques. Alors La NATIONALITÉ FRANÇAISE FUT constituée.

Nous croyons qu'il résulte de la narration qui vient de finir, que l'établissement de la Monarchie Française ne fut pas le résultat d'une conquête; qu'elle fut appelée par la nécessité toute gauloise de fonder un centre de conservation nationale; enfin, que le principe d'union qui fit une société une de tant d'élémens hétérogènes, fut le principe catholique; en sorte que c'est avec raison que la loi salique déclare que la nationalité française a été instituée par Dieu, et que ce fut exactement vrai de dire que la France avait été construite par les Évêques des Gaules. Il nous reste à savoir maintenant si l'établissement dont il s'agit apporta quelque changement dans l'organisation sociale et dans l'état ci vil des Gaulois.

CHAPITRE III.

DE L'ÉTAT SOCIAL DES GAULES ET DE LA FRANCE

AU CINQUIÈME SIÈCLE.

Nous avons vu dans le chapitre précédent en quoi consiste ce que presque tous nos historiens se sont obstinés à appeler la conquête des Francs. Ce fut une véritable accession d'un corps de soldats à la foi chrétienne, et, par suite, l'élection de leur chef au commandement des forces militaires catholiques.

Dans cette confédération dont nous nous sommes appliqués à décrire les élémens, et que nous avons appelée France, pour donner un nom nouveau à un but nouveau d'activité; dans cette confédération, l'union des parties ne fut établie et ne fut maintenue que par l'unité des croyances.

L'accession des Francs, sauf le nom même de France, n'apporta rien de neuf, ni dans l'organisation sociale, ni dans les noms même qui servaient à désigner les élémens divers dont elle se composait. Elle ne fit que régulariser et fixer le commandement et la hiérarchie militaires, Pour s'assurer de ce fait, il suffit d'examiner l'état des Gaules au commencement et à la fin du cinquième siècle. Les matériaux sont nombreux, et si clairs qu'ils ne permettent ni discussion, ni doute : ils se composent, d'une part, du code Théodosien, et de l'autre, des constitutions des rois Francs, de la loi salique, du formulaire de Marculfe, etc. Nous en avons extrait le tableau qui va suivre.

Nous insistons sur toutes ces choses, moins pour combattre des préjugés répandus, que dans l'intérêt de l'usage que nous voulons en faire; car c'est en elles que sont contenus les principes de toutes les révolutions futures de l'état social en France.

Au commencement du cinquième siècle, la population des

Gaules était divisée en deux grandes classes, les Ingénus, ingenui homines, et les Serfs, servi. Ceux-ci en formaient, dit-on, les deux tiers. Chacune de ces classes offrait une multitude de subdivisions dont nous allons examiner les principales. Commençons par étudier l'ordre des Ingénus : c'est à ceux-là que, dans notre langage moderne, nous attribuerions le titre de libres.

Les Ingénus se divisaient en deux classes secondaires: les citoyens et les militaires.

Nous donnons ce dernier nom aux hommes qui avaient reçu à titre de bénéfice, et à charge d'un service militaire déterminé suivant les lieux, une certaine portion de terrain, avec une famille de serfs pour le cultiver, et une maison. C'est ce qu'on appela plus tard un manoir. Ces hommes étaient nommés, d'après la nature de leur service, ripenses, riparenses, ou limitanei, lorsqu'ils étaient campés vers une frontière, comme celle du Rhin, par exemple; casati, pagenses, lorsqu'ils étaient fixés dans l'intérieur. On les nommait, par comparaison, avec d'autres ingénus, immunes ou lati (1), lètes, parce qu'ils étaient exempts d'impôts, et astreints seulement au service de guerre.

Ces soldats ripuaires étaient agglomérés vers les frontières, et sur tous les points jugés importans à la défense du territoire, chargés de garder, tantôt un grand camp fortifié, castrum; tantôt un château, castellum; tantôt même une simple tour de défense ou de signaux. Ainsi, en certains points ils étaient réunis au nombre de quelques milliers; ils formaient un corps d'habitations considérable, et cultivaient un assez grand territoire. En d'autres lieux, ils n'étaient qu'une centaine; en d'autres encore, qu'une douzaine, et ils formaient de simples bourgs, pagi, burgi.

Indépendamment de ces soldats qui veillaient à la défense générale du pays, il y en avait d'autres qui, à des conditions semblables, faisaient le service dans les cités. Il paraît qu'ils s'appelaient plus particulièrement casati.

(1) Voyez une lettre de Théodoric aux citoyens d'Arles. Collection des Bénédictins, t. IV, page 6. Voyez encore Eumène, Panég. de Constance Chlore, cap. 21.

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Cette milice se recrutait par succession. Le fils aîné avait le droit d'hériter du bénéfice de son père, pourvu qu'il présentât les conditions physiques requises, et qu'il se fut engagé par le serment militaire qui était exigible à onze ans. Aussi, dans le code Théodosien, on trouve cette expression, stirpes castrensis, pour désigner cette race militaire particulière.

La hiérarchie militaire était représentée dans ces camps. Là où ils avaient été fondés par des légionnaires, la hiérarchie était indiquée par les titres en usage chez les Romains; là, au contraire, où ils avaient été formés avec des corps de troupes recrutées chez les Barbares, les noms de dignités barbares étaient conservés: car il y avait des Lètes Teutons près de Chartres, des Lètes Suèves et Bataves près de Bayeux, des Lètes Francs près de Rennes. L'Empereur Dioclétien avait établi des Francs Lètes dans le pays de Trèves, dans le Hainaut, le Cambrésis, etc.

Comment était-il pourvu aux vacances dans les grades? Il est probable que ce fut d'abord par nomination du délégué de l'Empereur, puis ensuite par succession. Il paraît au moins qu'il en était généralement ainsi à la fin du quatrième siècle.

Ce qui est bien remarquable, c'est que dans cette milice le serment ne liait pas seulement le soldat aux devoirs de sa fonction', mais encore à la volonté de son chef immédiat : c'est un fait constaté par un passage de saint Augustin. (Serm. 1 in vigilia Pent.) D'ailleurs ces troupes étaient soumises aux ordres du commandant envoyé par l'Empereur.

L'administration de la justice dans ces camps avait lieu suivant le mode usité dans les armées. C'était une affaire de discipline.

Voilà quelle était la première classe des hommes libres; nous disons la première, car le plus mince rejeton de race militaire qui, par une cause quelconque sortait de la milice, pour devenir habitant d'une cité, était de droit dans la classe des curiales. Il avait fallu entourer le service de guerre de grands avantages, afin qu'il ne manquât point, tant il était difficile et rude. Vers le cinquième siècle les fils ne voulaient déjà plus succéder à leurs pères; on ne trouvait pas de remplaçans; en sorte que les rangs des Ripua

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