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cités des Gaules, qui n'étaient point retenues par la présence des Visigoths, essayèrent de se faire indépendantes, et d'entrer dans la confédération des Bagaudes. En 455, cette conspiration était flagrante partout, et avait même déjà réussi dans la partie septentrionale, sous la conduite d'un citoyen nommé Tibaton.

Elle fut arrêtée dans ses progrès par le retour d'Aétius. La guerre civile était terminée, et il accourait pour rétablir enfin l'ordre, c'est-à-dire la soumission dans les Gaules. Il amenait avec lui une armée de ces barbares, Huns, Alains ou Scythes, tant détestés. La ligue commandée par Tibaton fut attaquée et vaincue. Les Bourguignons, qui s'avançaient vers le Rhône, furent repoussés; les Visigoths furent forcés à renouveler leur serment. Vers 443, il ne restait plus à soumettre que les vingt-deux villes de la puissante union armoricaine; mais, après tant de succès, achetés sans doute à grand prix d'hommes, 'Aétius se trouva trop faible et craignit de se compromettre en tentant cette entreprise: il la confia à un certain Eocarix, roi de barbares auxiliaires. Celui-ci fut arrêté dans sa marche, dit la légende, par les prières de saint Germain, Évêque d'Auxerre. Il est probable qu'il recula devant une expédition dont ce saint envoyé sut lui montrer les dangers, et qu'il accorda un armistice qui permit de négocier les conditions de la soumission des villes rebelles. En effet, ce même saint Germain se rendit à Ravenne, en 445 ou 447, pour traiter avec la cour de la pacification des Bagaudes.

Quelles pouvaient être les bases sur lesquelles saint Germain l'Auxerrois était autorisé à traiter? Il est facile de le deviner d'après ce qui s'était passé et d'après ce qui arriva bientôt. L'Union devait être persuadée du danger de se mettre à la disposition de la cour impériale: l'état affreux des parties des Gaules restées sous son administration, constamment parcourues par des armées mues seulement dans des intérêts particuliers, leur offrait un exemple de ce qu'elles devaient craindre. En outre, les Évêques, qui avaient la principale part dans le gouvernement des villes associées, devaient éprouver une profonde horreur contre cet usage impérial de se servir indifféremment de généraux et de

soldats barbares ou ariens, et contre cette indifférence qui abandonnait à leurs violences, des populations chrétiennes. Les Bagaudes devaient donc seulement se proposer de gagner du temps. Elles étaient si peu disposées à se soumettre, qu'elles chassèrent un émissaire d'Aétius; et, les troupes romaines ayant réussi à se faire ouvrir les portes de Tours, d'Orléans et d'Angers, elles armèrent pour reprendre ces villes, et défendirent avec tenacité tous les postes qui dépendaient de leur territoire, et que la trahison ne leur avait pas enlevés.

C'est dans ce but d'indépendance qu'elles durent voir avec plaisir l'établissement des Francs, commandés par Clodion, sur les limites septentrionales de la seconde Belgique, province qui obéissait tout entière aux officiers d'Aétius. Ce dut être à leurs yeux une diversion favorable, et une garantie pour leurs propres frontières de ce côté. Clodion était parti du pays de Tongres (1). Après avoir traversé la forêt Charbonnière qui couvrait alors tout le terrain si riche que nous appelons la Flandre, il entra dans Cambrai d'abord, puis s'empara de Tournai, en chassant de ces deux cités les officiers et les soldats impériaux qui les occupaient. Clodion était un barbare; mais son expédition dut avoir un caractère d'humanité inconnu dans ce temps. En effet, le territoire de Tournai était occupé depuis long-temps par un peuple qui était en partie d'origine franque, et qui y avait reçu des terres à titre de bénéfice militaire. Dans Cambrai, il existait encore un grand nombre de payens non convertis. Il est donc probable que le roi Franc avait été appelé par une conjuration des citoyens, et les nouveaux venus apprirent de ceux-là à respecter les Évêques. D'ailleurs, c'était un établissement stable qu'on voulait fonder, et l'on respecta les mœurs de ceux dont on voulait se faire des associés ou des fidèles: le pays était en outre trop pauvre et trop peu peuplé pour qu'il pût être un but de pillage. Il est très-remarquable que Clodion entra en guerre avec Aétius dès le premier jour; mais il fut en paix avec les Bagaudes; il arrêta même ses

(1) Voyez à cet égard la discussion de Dubos. (Hist. crit. de la Mon. franç., liv. 2.)

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conquêtes là où il rencontra leurs frontières. Il ne chercha à s'é tendre que du côté où était le territoire appartenant aux Romains. Au reste, ses conquêtes furent peu étendues; elles ne dépassèrent pas la partie de la seconde Belgique, située entre l'Aisne et la mer. Mérovée, qui succéda à Clodion en 448, imita son exemple: il ne dirigea ses empiétemens que du côté des provinces germaniques.

A cette époque, le représentant du pouvoir impérial se trouvait encore gouverner directement par ses officiers un grand tiers des Gaules. Les deux autres tiers étaient au pouvoir de diverses bandes militaires ayant chacune leurs chefs propres, lesquelles n'obéissaient aux ordres du lieutenant Romain, en quelque sorte, que comme feudataires. Le plus puissant était le roi des Visigoths. Deux parties détachées de ce territoire étaient en insurrection ou verte: c'étaient celle où s'était établi Clodion, et la Bagaudie.

Nous trouvons une notice exacte de ces divisions, que Jornandès rapporte à l'occasion de la guerre contre les Huns (1). En effet, ce fut le dernier soupir du pouvoir romain; ce fut la dernière fois que son représentant exerça un grand pouvoir dans les Gaules. Aétius réunit alors, un moment, sous son commandement, toutes les forces confédérées de cette grande province; ce fut à leur tête qu'il battit Attila, en 451, dans les plaines de Châlons. Le danger les avait réunis, la victoire les sépara. On trouve dans la notice que les Romains et les Visigoths furent rejoints par les Francs, les Sarmates, les Armoricains, les Lètes, les Bourguignons, les Saxons, les Ripuaires, les Bréons, et quelques autres nations celtes ou germaniques.

Les événemens qui se passèrent dans l'empire, après cette grande victoire, le mirent à jamais hors d'état de menacer aucune des indépendances partielles qui s'étaient constituées. Dans l'espace de dix ans, l'Italie est pillée par Attila; Aétius est assas siné par l'empereur même qu'il servait; et celui-ci, bientôt, périt frappé par ses soldats. Maxime s'empare de la couronne. Un parti -(1) Jornandès, De rebus Geticis.

appelle les Vandales d'Afrique en Italie; ils prennent Rome, et la pillent; ils livrent Maxime au peuple, qui le met à mort. Alors les provinces des Gaules restées romaines, unies aux Visigoths, élisent Empereur leur préfet du prétoire. Celui-ci abdique bientôt : Majorien lui succède à Ravenne. Ce fut lui qui nomma Ægidius, de la famille lyonnaise de Syagria, maître de la milice dans les Gaules. Ce nom est le dernier chainon par lequel les événemens de notre patrie se rattachent encore à l'histoire de l'empire d'Occident. Le préfet du prétoire vécut plus long-temps que le maître qui l'avait nommé: celui-ci périt assassiné en 461. Nous avons hâte d'abandonner cette histoire, où tout est trouble, désordre, accident; où nul fait n'est intelligible, parce qu'il émane d'une source toujours secrète, la personnalité et l'égoïsme. Qu'on juge par le dégoût qui nous saisit après quatorze siècles, au spectacle de ces horreurs, quelle devait être la répugnance des Gaules pour le pouvoir impérial!

C'est sous l'administration d'Egidius que l'on vit paraître les commencemens de ce but d'activité, qui, trente ans plus tard, réunit tout le nord des Gaules sous un seul nom, celui de terre des Français. Doit-on l'attribuer à l'habileté de ce maître de la milice, ou à l'effet des circonstances? Il importe peu. Lorsqu'il prit le gouvernement, les provinces fidèles aux Romains étaient bien réduites. Leur domaine était une longue bande de territoire qui allait des Alpes aux Bouches-du-Rhône, suivait ce fleuve, et venait, en traversant la Champagne, s'élargir et se terminer en comprenant une partie des deux Belgiques. Le point le plus étroit était placé sur les rives du Rhône ; c'était un isthme pressé d'un côté par les Bourguignons, de l'autre par les Visigoths. Les Bourguignons occupaient déjà l'Alsace, une partie de la Suisse, le Doubs, la Haute-Saône, et menaçaient Lyon. Les Goths étaient arrivés sur la Loire, et faisaient effort pour traverser le Rhône. Le Nord, au contraire, était tranquille. Chilpéric avait succédé à Mérovée dans Tournai; les Ripuaires étaient paisibles dans leurs cantonnemens. En conséquence, Ægidius, que nos chroniques appellent Gillon, se transporta dans le Nord et vint solliciter l'alliance des Armori

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ques. Il mit sans doute en avant l'intérêt religieux, et se fit aider des Évêques. En effet, on vit cette confédération qui, jusqu'à ce jour, n'avait pris les armes que pour défendre ses foyers, fournir des soldats pour aller combattre au loin. C'est que les Bourguignons et les Visigoths, contre lesquels on leur demandait secours, étaient des Ariens. Ces derniers étaient particulièrement détestés, parce qu'on les accusait de plusieurs persécutions sanglantes exercées contre les Catholiques. Ægidius n'eut pas seulement le secours des Bagaudes : il fut élu roi par les Francs de Tournai qui chassèrent Chilpéric. Alors, Ægidius alla combattre les Goths à Arles, en Auvergne, sur les bords de la Loire. Ce général, au reste, s'occupa de conserver des provinces, moins pour la cour de Ravenne que pour la foi catholique, dont il était lui-même profondément imbu. On ne le voit pas même, depuis son élection, entretenir le moindre rapport avec les Empereurs. Un fait semblait devoir déranger la bonne harmonie qu'il avait réussi à introduire dans le Nord, ce fut le rappel de Chilpérices Francs. Il est probable que nos chroniqueurs ont rapporté inexactement les causes de ce retour, ou que nous les avons mal interprétés. En effet, on voit Chilpéric à la tête d'un corps de troupes dans une armée que commandait Ægidius; bien plus, on dit qu'ils régnèrent ensemble. Chilpéric reçoit un titre dans l'administration de la milice; enfin il reste allié des Armoriques.

Ægidius fut tué dans un combat au bord de la Loire. Après sa mort, son fils Syagrius lui succéda dans le gouvernement dont Soissons était le centre; un comte Paulus resta commandant des troupes qu'on voulait bien encore nommer romaines; la confédération continua d'ailleurs à être très-unie. Ainsi, les chroniques nous montrent Chilpéric allié avec le comte Paul. Le chef franc fut surtout occupé contre les Ripuaires, qui habitaient entre Rhin, Meuse et Moselle. Dès ce moment les rapports d'obéissance furent rompus avec les Italiens. En effet, la cour impériale accorda le tit de chef de la milice à l'aîné des rois des Bourguignons. Ceux-ci en profitèrent pour s'emparer de Lyon et de Vienne; les Visigoths s'emparèrent d'Arles et du

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