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C'était évidemment préparer l'extinction de la noblesse par l'extinction des familles nobles, etc.

Le règne de Henri IV fut consacré surtout au rétablissement de l'ordre dans les finances. Cette réforme difficile a illustré le ministère de Sully. La France se trouvant enfin paisible à l'intérieur, se préparait à prendre part aux affaires générales de l'Europe, lorsque Henri IV mourut assassiné, le 14 mai 1610, laissant pour lui succéder Louis XIII, son fils, âgé de neuf ans. Le Parlement donna la régence à Marie de Médicis, sa mère, et celle-ci se laissa gouverner par le florentin Concini, qu'elle honora bientôt du titre de maréchal d'Ancre. Ce fut le signal d'une nouvelle insurrection de la noblesse. Les plus grands Seigneurs se retirèrent de la cour dans leurs gouvernemens, et armèrent contre elle. Celle-ci recourut aux États-Généraux. Ils furent convoqués et ouverts le 27 octobre 1614. Le Clergé avait cent quarante députés ; la noblesse, cent trente-deux; le tiers, cent quatre-vingtdeux présidés par Miron, leur orateur, prévôt des marchands. Les deux premiers ordres demandèrent la suppression de la vénalité des charges, la réforme des finances, la publication du Concile de Trente, le rétablissement de la religion romaine dans le Béarn, et une défense absolue aux Cours parlementaires de prendre connaissance de ce qui regardait la foi et l'Église. Le Tiers-État insista sur l'inviolabilité du pouvoir royal, sur sa supériorité à toutes les oppositions existantes. Il ajouta d'ailleurs aux demandes faites par les autres ordres, celles de l'industrie et du commerce; il sollicita enfin la répression des excès de la noblesse. Le Roi, qui était déjà déclaré majeur, leur promit que la vénalité des charges serait abolie, qu'une chambre serait établie pour faire justice du pillage de la fortune publique, qu'on supprimerait les pensions non méritées, et il ajouta que quant aux autres demandes, il en ferait un examen attentif, et ferait ses efforts pour y satisfaire. Il est en effet très-remarquable, que les premières années de ce règne furent occupées à la réalisation de la plupart des projets rédigés par les États-Généraux. L'Assemblée se sépara le 24

mars 1615.

Ce ne fut qu'en 1617 que Louis XIII fit acte d'indépendance en se débarrassant de la reine-mère et de son favori, le maréchal d'Ancre. Ce ne fut aussi qu'après cette époque qu'on le vit travailler aux réformes promises aux États.

La gloire de ce règne est celle du Cardinal de Richelieu. Ce grand ministre acheva ce que Louis XI avait commencé. Il fit une guerre acharnée à la noblesse, la dépouilla de ses places de sùreté, et fit raser ses châteaux. Il rendit le pouvoir absolu. A l'extérieur, la politique de la France fut occupée à affaiblir les grandes puissances voisines, l'Espagne et l'Autriche. Et ce qui prouve que le Cardinal frappait sur les Huguenots, non parce qu'ils étaient protestans, mais parce qu'ils tendaient à l'indépendance seigneuriale, c'est qu'à l'extérieur, il était uni aux Suédois; il faisait en commun avec ces chefs de la Ligue protestante, la guerre à la maison d'Autriche. Il se proposait ainsi d'affaiblir une unité redoutable, et de contribuer à la fondation d'un fédéralisme qui livrerait l'Allemagne à la suzeraineté de la France. Richelieu mourut avant Louis XIII; mais il lui légua ses principes, et laissa pour successeur, au ministère, le Cardinal Mazarin, qui, sans hériter de son génie, en conserva au moins les traditions.

Le ministère de Mazarin fut le lien qui unit le règne de Louis XIII à celui de Louis XIV, şon fils, qui commença en 1645. Il ne fut troublé qu'un instant sous la minorité du jeune successeur du fils de Henri IV, par ces émeutes sans caractère et sans but, auxquelles on donna le nom de guerre de la Fronde. Ce fut le dernier soupir du pouvoir aristocratique expirant, un jeu sans gravité, une mutinerie sans portée, et qui resta sans autre résultat que de donner au nouveau Monarque l'enseignement que ses ancêtres avaient puisé dans les terribles guerres du Bien public, et de la Ligue. Après Mazarin, qui mourut en 1661, vint Louis XIV et ses ministres. Ce Prince fut, des Rois, le plus absolu et le plus libre de ses actes. Il reçut le pouvoir de tout faire, mais il ne sut en user que dans l'intérêt d'une grandeur chevale

que

resque et vaniteuse. Il prit au vrai ce mot qu'il avait prononcé en parlement : l'Éta, c'est moi. Il fut assez orgueilleux pour croire l'humanité n'avait d'autre but qu'un homme; dans la nation, il ne vit que lui-même, et se fit adorateur de son propre égoïsme: il méconnut donc les obligations que lui imposait ce haut pouvoir qui lui avait été légué. Il oublia le peuple, et immobilisa toutes choses. Cependant la société qu'il avait reçue pour la gouverner et la diriger en maître, avait une organisation dont chaque détail niait l'unité. Elle portait l'empreinte des divisions féodales, qui l'avaient si long-temps possédée. Chaque province, chaque duché, chaque pays, lors de son agrégation au fief royal, avait été laissé dans ses coutumes, avec ses douanes particulières, son système d'impôts et de priviléges. L'administration n'offrait rien d'uniforme. C'était un assemblage sans unité, qu'on ne pouvait saisir ni par la vue, ni par la pensée; aussi faisait-elle l'objet d'une sorte de science obscure où mille abus pouvaient vivre à l'ombre et en pleine sécurité. Il y avait vingt-sept généralités gouvernées par des intendans, mais elles ne comprenaient pas tout le pays. Il y avait, en effet, ce qu'on appelait des provinces, telles que la Bretagne, le Languedoc, l'Auvergne, le Roussillon, lePerche, l'Alsace, la Franche-Comté, l'Artois; il y avait les duchés de Lorraine et de Bar, de Bourgogne, le pays de Bresse, Gex, Bugey, etc. Deces divisions territoriales, les unes étaient rattachées à une généralité, les autres en étaient indépendantes, mais elles étaient soumises à des systèmes d'impôts différens, exemptes des contributions auxquelles les autres étaient soumises; en sorte qu'elles étaient ceintes d'une ligne de douaniers. L'Artois, par exemple, qui n'avait pas plus de 90 lieues decirconférence, ne payait ni aides, ni tailles, ni gabelles, ni droits de douanes: ainsi, il formait une île isolée du reste de la France, par une surveillance qui empêchait les limitrophes de profiter du bénéfice de ses franchises. La Bretagne était franche et séparée comme un Duché étranger, par une ligne de douane, etc. On sera étonné, disait le comte de Boulainvillers, si l'on considère qu'une pièce d'étoffe, fabriquée à Valenciennes, ne peut être transportée à Bayonne, sans payer l'entrée en Picardie,

la sortie en Poitou, à Bordeaux la Com:ablie, à l'entrée des Landes la traite d'Arrus, et à Bayonne la coutume.

En général, toutes les contrées qui avaient été réunies au domaine royal depuis François Ier, étaient exemptes de l'impôt dit des cinq grosses fermes, c'est-à-dire des droits d'entrée et de sortie, de la ferme des tabacs, etc.

Le système administratif ne différait pas moins que celui de l'impôt : il y avait les pays d'États composés le plus souvent des trois ordres. C'étaient l'Artois, le Béarn, le Bellay, la Bigorre, la Bourgogne, la Bretagne, le Cambrésis, le Charolois, le comté de Foix et les Quatre-Vallées, le Labour, le Languedoc, Lille, le Maconnais, la Navarre, le pays de Soulles et le Tournaisis.

Il serait impossible de donner une idée des variétés infinies que présentaient toutes ces divisions territoriales, quant au droit administratif et judiciaire, quant aux attributions des magistrats chargés de veiller sur ces droits. Vers la fin du règne de Louis XIV, les intendans furent chargés de dresser un état de la France. Ce travail forme soixante gros volumes in-folio qui sont restés manuscrits, encore est-il extrêmement incomplet; et cependant il ne regarde que la statistique proprement dite, et le système administratif. On peut en prendre une idée dans le résumé qu'en offre l'ouvrage de M. le comte de Boulainviliers (1). Rien ne prouvera mieux quel était le désordre administratif de la France que le peu d'ordre qui règne dans l'exposition elle-même: on voit que l'auteur a fait effort pour mettre de la netteté et de la précision là où tout est contradictoire et vague comme sont les coutumes traditionnelles.

Ainsi, en définitive, et ce grand travail qui fut le fruit des dernières années du grand Roi en offre la preuve, toutes choses étaient restées dans le provisoire. La réforme était instante, demandée même. Ainsi, La Rochelle avait obtenu, comme une grâce, de sortir de l'exception qui la régissait. Il y avait à achever sous le rapport matériel l'œuvre d'homogénéisation opérée au

(1) État de la France. 3 vol. in-8°, Paris, 1728.

144 HISTOIRE DE FRANCE DU QUINZIÈME AU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE. moral. Louis XIV manqua à cette tâche. Nous pouvons donc dire qu'il fut seulement un prince égoïste, car il vécut uniquement pour consommer les fruits du domaine que ses pères lui avaient fait, et il ne s'occupa point un seul instant du soin de l'améliorer.

Cependant de nombreux projets avaient mis le pouvoir en demeure d'opérer la réforme. Depuis long-temps on avait demandé l'établissement d'un système uniforme dans l'administration, dans le droit civil et commercial, dans la répartition de l'impôt, etc. Le comte de Boulainvillers lui-même, qui écrivait sous le Régent, présente une théorie complète sur les finances, et considérant que le premier devoir du souverain est de garder et d'accroître la conservation de tous et de chacun; considérant que l'on a des garanties certaines sur la conservation de tous, seulement lorsque le sort des pauvres est assuré, il propose des moyens de multiplier le travail et la production; il les cherche dans un établissement général de crédit ayant son centre dans la capitale, et rayonnant de ce point commun vers toutes les divisions territoriales. Afin de prouver à quel point cette institution était facilement réalisable, il en donna le réglement en projet. Les efforts de Boulainvillers, comme ceux des hommes qui l'avaient précédé, furent inutiles; on les oublia: il fallut que le peuple lui-même vînt, en 1789, pour les mettre à exécution; encore ne sont-ils pas à cette heure tous accomplis.

Pendant que la volonté de Louis XIV immobilisait la France dans le provisoire, l'Europe aussi s'arrêtait dans le droit des gens provisoire qu'elle s'était donné en 1648, par les traités de Westphalie. Les souverains s'étaient déclarés seigneurs féodaux, mais sans suzerain, des contrées qui leur étaient soumises; la légitimité des races royales était établie comme doctrine sociale, et la balance des États comme principe diplomatique. C'est dans cette position que la révolution française trouva l'Europe.

FIN DE L'INTRODUCTION.

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