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fense du pays, c'était, dans les croyances de ce temps, l'élever en quelque sorte au rang de la noblesse.

Louis-le-Gros mourut en 1156, laissant Roi son fils Louis VII, le Pieux, qu'il avait associé à la couronne et fait sacrer quelques années auparavant. Ce Prince, comme ses prédécesseurs, fut un habile administrateur du système féoda!. Il fut cependant moins souvent obligé de recourir aux armes; aussi cut-il le temps de faire un de ces pélerinages guerriers en Terre-Sainte, en usage dans ce temps. Il mourut en 1180, laissant sur le trône son fils Philippe-Auguste, qu'il avait fait sacrer Roi. Ce Prince trouva les mêmes difficultés et les mêmes oppositions que Louis-le-Gros, mais avec des circonstances qui lui permirent un triomphe plus complet. Il eut à combattre contre son vassal le Roi d'Angleterre, contre l'Empereur d'Allemagne, à Bouvines, et contre les Flamands, tous conjurés contre le centre de suzeraineté siégeant à Paris, lequel faisait une seule puissance de tous les fiefs de France. L'Empereur fut vaincu, et les chroniqueurs remarquent que la victoire fut en partie duc au courage et à l'impétuosité des milices des communes. La Flandre fut soumise, et la Normandie, l'Anjou, le Poitou et l'Auvergne, furent rattachés au domaine de la couronne. Philippe mourut en 1225, chargé de gloire, aimé du peuple de Paris surtout, après un long règne, qui avait commencé par le fait d'armes qui terminait ordinairement la carrière militaire des guerriers de ce temps, par une croisade en Palestine. Il laissa le trône à son fils Louis VIII. A cette époque, le nom français était partout : il avait été s'illustrer jusqu'à Constantinople, en donnant une couronne impériale à Baudouin, un simple comte de Flandres, et en fondant des seigneuries, des baronies françaises sur le sol de la Grèce. La langue française elle-même devenait universelle; en général c'était celle de toute la littérature qui n'était pas uniquement religieuse.

Louis VIII fut le premier Roi qui n'eùt point été couronné du vivant de son père : ainsi le droit de primogéniture avait acquis force de loi, Louis VIII fut sacré à Reims sans obstacle; il ne

vécut que quelques années, et mourut en 1226, laissant un fils mineur, qui fut plus tard saint Louis.

C'est un fait remarquable que cette première succession des Rois de la troisième race; de l'un à l'autre, la capacité et les services rendus au pays sont en série croissante. Qu'on veuille bien étudier les difficultés qu'ils avaient à vaincre, et l'on sera étonné du haut degré de puissance qu'ils avaient acquis au moment où nous sommes parvenus, du respect qu'ils avaient conquis à la légitimité de leur race: c'est qu'ils avaient fondé la grandeur de leur dynastie sur un intérêt national; ils avaient uni leur fortune à celle des masses, en se faisant les représentans et les défenseurs de la révolution qui se faisait au profit du peuple. C'est ici le lieu d'en dire les premiers mots; plus tard nous n'aurons plus qu'à en noter les conséquences. Nous nous occuperons d'abord de ce que l'on a appelé la révolution des communes : lorsque nous arriverons à d'autres règnes, nous parlerons de celle qui emporta l'abolition du servage.

Pour bien comprendre la révolution des communes, il faut se rappeler ce que nous avons dit de l'organisation, sous Charlemagne, des cités, des ville, des bourgs à bénéfices, pagi, etc. C'est sur ce terrain que s'élevèrent toutes les créations nouvelles; et si on ne le connaît pas, on voit dans l'institution des communes un fait sans précédent, un accident plutôt qu'un événement historique.

Nous nous trouvons ici obligés d'entrer en opposition avec le système adopté par la généralité des historiens modernes : ils ont eu le tort de négliger la narration de ces premiers temps, de les laisser ignorer au lecteur; en sorte qu'on a cru que la commune était une institution aussi nouvelle que son nom même, et cependant, dans un grand nombre de villes, dans Paris même, la capitale de la France, les franchises et les coutumes qui constituaient la cité, sont antérieures au cinquième siècle, et n'avaient cessé de subsister.

Nous trouvons l'origine de cette erreur dans la préface du onzième volume de la collection des Ordonnances des Rois de la

troisième race, c'est-à-dire en tête du volume qui contient le plus grand nombre des chartes de communes que nous possédions. Cette préface renferme en effet un système entièrement analogue à celui qu'ont adopté les écrivains de nos jours: il est appuyé des mêmes faits. Mais l'auteur de cette préface écrivait en 1769, c'est-à-dire sous le règne de l'ancien droit de la monarchie française, et en vue même de la jurisprudence admise à cette époque. Il devait donc ne faire partir le droit des communes que du jour où le pouvoir royal avait confirmé leur institution par ordonnance; car il était reçu alors que la loi émanait du Roi. Ce jurisconsulte reconnaît cependant qu'antérieurement aux chartes royales d'institution, il existait des coutumes souvent plus anciennes que la monarchie. Or, à nos yeux, ce sont les coutumes mêmes qui constituent le vrai droit; les chartes ne sont que la reconnaissance et la garantie d'un fait existant, et telle est, en effet, la signification positive des formules employées dans leur rédaction.

L'erreur des historiens modernes nous paraît provenir surtout des sentimens qui agitaient l'époque où ils écrivaient. On était dans le moment le plus vif de la lutte qui se termina par la révolution de juillet. Toutes les passions de 1789 s'étaient réveillées, etavaient ramené jusqu'aux préjugés historiques de cette époque. Pour irriter le tiers-état, on lui avait présenté les nobles comme les successeurs des conquérans Francs. Animés des mêmes colères, les écrivains de nos jours voulurent aussi prouver que les Francs avaient conquis les Gaules. Or, puisqu'il en était ainsi, toutes les libertés avaient dû être confisquées par le vainqueur, aussi bien celles des villes que celles des individus. Alors l'indépendance des communes était un fait tout moderne, le résultat d'une insurrection analogue à celle qu'on demandait au peuple pour chasser les Bourbons.

Cependant, nous l'avons vu, l'histoire ne nous montre rien de semblable, mais, au contraire, une tendance lente, continue, invincible, où les faits sont engendrés les uns des autres, jusque dans leurs plus petits détails. C'est un spectacle plein d'ensei

gnement; car on y lit qu'il n'existe pas de germe si petit, si profondément enfoui qu'il soit, qui ne devienne arbre un jour et ne porte des fruits. Mais revenons à notre sujet.

La commune était un nom nouveau, un nom moderne qui exprimait l'établissement, entre citoyens, d'une relation qui n'avait existé jusqu'à ce jour qu'entre les hommes d'armes, la relation du serment et d'un vasselage réciproque pour l'intérêt de la chose publique. Nous avons dit que sous la première race les hommes libres, c'est-à-dire ceux qui ne payaient d'autre impôt que celui des armes, étaient seuls soumis ou admis au serment. Sous quelques-uns des derniers Princes de la seconde race, on demanda quelquefois le serment même du peuple sujet au cens; mais ce fut une exception, et jamais une coutume établie. L'habitant des villes était considéré comme faisant partie du sol qu'il occupait, et par suite sujet au maître qui représentait la fonction qui émanait de ce sol. L'admission des citoyens ou bourgeois au serment, équivalait donc à une introduction dans la classe des possesseurs de fiefs, c'est-à-dire dans la noblesse. Il est difficile, dans l'esprit de notre siècle, de faire comprendre que ce privilége nouveau fut le dernier terme de l'affranchissement possible et concevable au douzième siècle; aujourd'hui que nous le plaçons, non dans la possession d'un titre, mais dans la jouissance des libertés positives, telles que le droit d'élire ses magistrats, de s'administrer sans contrôle, de s'armer et de guerroyer pour son propre compte, etc., libertés qu'un grand nombre de villes possédaient déjà, et dont l'histoire nous offre mille exemples. Cependant alors c'était une grande affaire, et c'était une conquête telle, devant l'opinion, que, dès ce jour, plusieurs nobles de race se firent agréger parmi les bourgeois, et que ce fut aussi un événement tout simple que des bourgeois devinssent acquéreurs de fiefs militaires. Tout, d'ailleurs, confirme que le nouveau mot de Commune n'indiquait que l'agrégation d'une ville dans le corps des fidèles ou des feudataires. Ainsi, très-souvent, on voit dans la charte d'institution, qu'on les libère des tailles, des corvées, de toutes les charges enfin dont étaient exempts les pos

sesseurs des bénéfices militaires sous les deux premières races, et les feudataires sous la troisième. Il est vrai que les nécessités financières de l'État empêchèrent cette coutume de s'établir.

De tels honneurs et de tels avantages devaient être vivement recherchés. Les Rois aussi saisissaient avec avidité l'occasion de les reconnaître et de les accorder; car c'était un accroissement qu'ils donnaient à leur puissance : ils devaient préférer l'acquisition d'un feudataire qui leur assurait le concours de quelques milliers de soldats, à celui d'un seigneur qui ne leur en offrait que quelques-uns. Les cités montrèrent presque autant d'empressement que les villes. On distingue très-bien dans les chartes. ces deux élémens de la révolution des communes. On y désigne toujours les cités et leurs citoyens par leurs noms civitas et cives, et les villes et leurs habitans, par ceux de villæ, et de villani ou burgenses. Il en est de même de leurs magistrats: chez les premières, on les appelle échevins, scabini, ou consuls dans le Midi; maires, majores, et jurés dans les secondes. Remarquons en passant que c'est dans ces lettres d'institution que nous trouvons la preuve que, dans les troubles du dixième siècle, tous les groupes de population avaient saisi l'occasion, lorsqu'ils n'avaient pas été empêchés, de s'attribuer les priviléges des cités, car, il y est également fait mention des coutumes des unes et des autres. D'ailleurs plusieurs villæ étaient devenues de puissantes villes; voyez en effet les communes de Flandres. Partout où la commune fut arrachée à un Comte ou à un Évêque, on y envoyait un préposé ou prévôt pour le remplacer; car c'était sous ce nom de magistrature purement civile que les Rois de la troisième race avaient remplacé les représentans du pouvoir, qui, sous la seconde, portaient le nom de Comtes.

Il serait trop long d'énumérer tous les priviléges que comprenait le droit municipal. Il nous suffira de rappeler ce que nous en avons dit plus haut: car nul des avantages primitifs n'avait été supprimé. En général, ils consistaient dans l'administration de la justice, de la police, de la voirie et des deniers publics, par des magistrats élus. Un seul progrès

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