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trop, peut-être trop vite, dans une matière où il était cependant impossible de n'innover en rien, la faute en est tout entière au législateur.

N'était-ce pas à lui qu'il appartenait d'aviser aux abus que pourrait faire d'un pouvoir légal presque illimité cette institution à laquelle on reprochait d'avoir déjà abusé d'un droit que la loi ne lui donnait pas encore ?

Quant au jury, sauf des écarts isolés, qu'il était plus facile, je l'avoue, de prévoir que de prévenir, on peut dire qu'il s'est montré plus sage que ne l'avait été le législateur; car, en somme, les crimes, quoi qu'on dise, ne restent pas impunis. Chaque année le nombre des expiations suprêmes, données en exemple à la foule, témoigne que, malgré son pouvoir discrétionnaire, le jury laisse passer, quand il le faut, la justice du roi.

Mais, ce qui montre mieux que toute autre chose quelles racines profondes a jetées parmi nous cette institution qu'en 1807 un souffle aurait suffi pour abattre, c'est qu'au moment où on y pensait le moins, elle s'est trouvée propre, non-seulement à assister les juges en matière criminelle, mais à les remplacer sur un point important en matière civile.

On ne peut nier que le plus grand fait social qui se soit produit depuis trente ans ait été le developpement immense imprimé à l'industrie, et notamment à ce qu'on appelle « les grands travaux publics,» par cette activité surabondante

qui, ne trouvant plus d'emploi dans la guerre, a reflué vers les arts de la paix.

Mais, en se mettant en campagne pour ses conquêtes pacifiques, l'industrie s'est trouvée arrêtée à chaque pas par une force, inerte si l'on veut, mais dont l'immobilité fait la puissance, et qui ne pourrait être ébranlée sans que la société tout entière tremblât sur ses bases, par la propriété.

L'intérêt privé, dans ce qu'il a de plus respectable et de plus sensible, était aux prises avec les exigences pénibles mais impérieuses de l'intérêt public; et ce qui rendait l'embarras plus grave encore, c'est que l'intérêt public se personnifiait ici non dans l'État, mais dans des associations qui, sous un certain rapport, étaient elles-mêmes des collections d'intérêts privés.

Qui pourra lever cet obstacle immense devant lequel s'était arrêté subitement l'essor de toutes les forces industrielles du pays?

Sera-ce la magistrature? C'était son droit, c'était sa tâche. Aux termes de la législation existante, elle essaya, mais en vain, de la remplir. La lenteur des formes judiciaires déconcertait tous les calculs de l'industrie, et les propriétaires fonciers, à leur tour, trouvaient ici dans l'inamovibilité des juges un danger à côté d'une garantie; ils craignaient de voir s'établir des évaluations par jurisprudence là où il fallait procéder par arbitrage. Leur confiance dans la magistrature n'avait pas diminué sans doute, mais leur confiance dans

le jury s'était accrue. Ce fut à lui qu'échut l'honneur de résoudre ce grand problème et d'amortir tout ce qu'il y avait de germes de conflits dans cette irruption légalement brutale de l'industrie tout au travers de la propriété foncière.

Des jurys, et, chose digne de remarque! des jurys spéciaux et choisis par la magistrature, furent constitués par la loi pour statuer en matière d'indemnités dues par suite d'expropriation pour cause d'utilité publique.

Depuis ce moment, cette machine immense fonctionne paisiblement, régulièrement, sans secousse, presque sans bruit. Ce n'est pas le silence imposé par la force et la conquête, c'est le silence de la justice.

Combien d'autres difficultés sociales qui jusqu'ici semblaient insolubles, et l'étaient peut-être, ne trouveront-elles pas, quand le moment sera venu, quelque moyen de solution naturel et simple dans une application plus ou moins modifiée du même principe?

Que sont déjà les tribunaux de commerce, les conseils de prud'hommes, les syndicats de propriétaires, sinon des formes de jury adaptées aux besoins spéciaux de telle ou telle nature d'intérêts?

Serait-ce donc une idée si étrange, si téméraire, de songer maintenant au jury pour la répression du duel et de l'injure privée ?

Plus de quinze ans se sont écoulés depuis qu'il

est devenu la juridiction ordinaire des délits politiques et des délits de la presse.

N'est-il pas mûr pour recevoir une attribution nouvelle, la seule peut-être dont sa juridiction en matière pénale semble pouvoir se grossir dans le siècle où nous sommes?

CHAPITRE VI.

SUITE DU MÊME SUJET.

Qu'il faut choisir, pour le duel et l'injure, entre la juridiction correctionnelle et le jury. - Avec la juridiction correctionnelle, le châtiment pourrait être plus sûr.

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Avec le jury, l'effet moral de la condamnation sera plus grand.-Combien ce dernier avantage est préférable à l'autre.

Il est un point sur lequel je crois m'apercevoir qu'aujourd'hui tout le monde est d'accord: c'est la convenance d'avoir une compétence unique en matière de duel, de ne pas s'arrêter ici à la distinction légale des délits et des crimes pour établir, entre deux juridictions différentes, un partage dont les inconvénients frappent tous les yeux.

Cela posé, je ne vois que deux systèmes entre lesquels on ait à choisir.

Ou il faut abaisser, à l'égard du duel et de l'injure, le degré de la criminalité de telle manière que toute poursuite intentée pour cette cause puisse tomber dans le domaine de la juridiction correctionnelle; ou bien il faut étendre en ces matières les pouvoirs du jury, comme on l'a fait en matière de presse et en matière politique, de telle sorte que, sans avoir égard à la gravité de la peine encourue, on prenne pour unique base de la compétence la spécialité du fait punissable.

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