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Si les auteurs de notre Code pénal ont omis de prononcer le nom du duel, c'était avec le dessein arrêté de confondre ses suites sous l'application des règles du droit commun; ils n'ont prévu nulle circonstance qui pût marquer implicitement en quoi l'homicide commis par un duelliste diffère d'un homicide ordinaire, espérant en quelque sorte étouffer ce crime sous le silence de la loi.

Les Cortès de 1821 ont agi tout différemment; elles ont omis le nom, mais en désignant clairement la chose, et en s'appliquant à définir, dans une série de dispositions législatives, toutes les circonstances particulières, toutes les différences qui peuvent influer sur la criminalité du duelliste et sur la peine qu'il doit encourir.

Ainsi, en évitant de faire une catégorie à part de l'homicide commis en duel ou par suite d'un défi (duelo ó desafio), elles ont soigneusement distingué les caractères de l'homicide commis dans une rixe ou bataille (en una riña ó pelea) et par suite de provocation ou d'injure 1.

On a donc peine à comprendre l'importance que la commission chargée de la préparation du projet de loi attachait à ne pas se servir du mot consacré par l'usage, comme si l'écrire sur la liste des crimes c'eût été en quelque sorte l'accréditer et l'ennoblir 2.

1 El que mate al que lo provoca por alguna ofensa, injuria ó deshonra, sufrira pena de...

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« De propósito la comision usa solo de las palabras riña ó

Qu'est-t-il résulté de cette sorte de défi auquel le législateur s'était mis lui-même de ne négliger aucune des circonstances essentielles à la qualification du duel, tout en le groupant dans une catégorie qu'on avait à dessein généralisée ?

Sa loi semble embarrassée d'un secret qu'elle ne veut pas dire; elle multiplie les paroles pour qu'aucune des qualifications du duel ne lui échappe, et plus elle devient prolixe, plus elle court risque de ne pas bien faire comprendre une pensée qu'elle n'exprime jamais qu'à demi.

Je ne fatiguerai pas ici l'attention du lecteur en lui faisant parcourir cette longue série de dispositions confondues sous les titres de l'homicide et des blessures dans le projet de Code pénal soumis aux Cortès 1.

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Je m'attacherai plutôt à rechercher, dans les

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» pelea sin hablar de desafio, porque este no es otra cosa ni merece mas consideracion que cualquiera otra pelea ó riña. Tal vez cier»tas palabras no han servido sino para ennoblecer, por decirlo asi, algunos abusos... » « La audiencia de Cataluña hace varias >> reflexiones contra los duelos, proponiendo que se use de la pa» labra desafio, porque su omision daria lugar à siniestras interpretaciones... Ya ha dado la comision las razones que ha tenido » para ométirla (esta palabra) en este proyecto ... yo creo que si >> entre nosotros no se hubiera usado tanto de la palabra desafio, » hubiera habido menos, porque muchos no se desafian sino por > decir que se han desafiado. » (Observations de M. Calatrava dans la discussion du projet de Code pénal. Recueil déjà cité, tom. III, p. 355 et 392.)

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1 On pourra consulter le texte de ces dispositions dans l'Appendice à la fin de ce volume.

débats auxquels ces textes ont donné lieu, quelques aperçus sur la manière dont la question de principe était envisagée par les membres de cette célèbre assemblée.

Dans les discussions où la morale se trouve aux prises avec la coutume, les premières sympathies d'une grande assemblée semblent toujours acquises à l'avance à quiconque entreprend de plaider la cause de nos préjugés et de nos faiblesses,

Mais qu'une bouche imposante et grave vienne à s'ouvrir pour rappeler les principes éternels de la justice et du droit, la raison reprendra bientôt son empire et fera taire les impressions passagères qui inclinaient à l'impunité par excès d'indulgence. La nécessité de punir le duelliste, lorsqu'il a été provocateur, ne fut pas mise en doute au sein des Cortès de 1821 ; mais un habile orateur prétendit que celui qui « étant » provoqué» acceptait le cartel « à défaut de tout >> autre moyen de sauver sa considération » ne devait être atteint par aucune peine. « La loi, » disait-il, peut-elle donc demander à un homme >> le sacrifice de sa carrière, et, qui plus est, de » son honneur? »

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Ce fut sur ce point que s'engagea une discussion pleine d'intérêt.

Je rapporterai seulement les paroles qui la terminèrent.

1 M. Sancho.

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Quel que soit, dit M. Sanchez Salvador, le pré» jugé ou la raison qui, dans les siècles passés, a >> mis en vigueur cette coutume barbare, pour>> rions-nous, sans abdiquer notre caractère de lé>> gislateurs, nous assujétir à la domination de cet » usage? Il faut que les hommes soient retenus » avec le frein de la loi; il ne faut pas que les sim» ples particuliers se fassent de leur autorité pri»vée exécuteurs des vengeances que la société » peut seule exercer en vertu de son pouvoir sou>> verain et par l'organe de la loi. On a dit avec >> raison tout-à-l'heure que c'étaient les hommes >> les plus pervers qui, bien qu'étant le plus sou» vent provocateurs par voie d'injure, adressaient >> le moins de cartels. Cependant, si on laisse les >> cartels impunis, qu'arrivera-t-il ? l'homme qui » se sentira quelque habileté dans les armes aura » dans sa main le moyen de déshonorer quiconque » n'acceptera pas son défi. Tout homicide sera donc > mis sur le compte des duels, et ainsi un vaste champ sera ouvert à toute espèce d'atrocité et » d'impunité. Les horreurs de ce résultat n'attein» draient pas seulement la classe militaire, mais » aussi toutes les autres classes; c'est donc la société » tout entière qui a besoin d'être défendue à cet » égard. Ne pas faire une loi pour punir et celui qui » envoie un cartel et celui qui l'accepte, ce serait > autoriser le droit du plus fort, le droit de l'épée, l'anarchie, la ruine des citoyens paisibles, et ten»dre, en dernier terme, à la dissolution des liens

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> sociaux. Il importe donc d'abolir cet usage bar› bare des duels, établi par les insensés, et combat» tu avec l'autorité de la raison par tous les sa>ges. On avait, dans d'autres temps, imaginé ce » moyen pour empêcher que l'empire de la loi ne » prît le dessus sur tous les crimes, et ne protégeât » toujours les droits du faible et de l'innocent. » Mais dans un siècle de progrès, où l'horizon de » la justice et de la liberté s'agrandit et rayonne » d'un majestueux éclat, pourrions-nous nous ré>soudre à l'obscurcir avec des lois empruntées aux » siècles d'ignorance et de barbarie? Ne serait-ce » pas en quelque sorte faire rétrograder l'huma»nité 1? »

Mais, en défendant les principes avec cette vigueur d'éloquence, les membres les plus influents des Cortès étaient ramenés par une juste appréciation des nécessités de notre époque à user de modération dans le choix des peines.

Les raisonnements présentés à cet égard par M. Calatrava 2, dans la séance des Cortès du 26 janvier 1832, sont empreints du même esprit que le rapport fait, trois ans auparavant, à la Chambre des députés de France, par la commission dont M. le baron Pasquier était l'organe.

« Nous sommes accoutumés, disait le rapporteur

1 Recueil déjà cité, tom. III, p. 359.

2 Il remplissait les fonctions de rapporteur de la commission chargée de la préparation du projet de Code pénal.

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