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qués comme faisant autorité dans ces matières.

Il est rare qu'au début d'une discussion sur le duel on n'ait pas à répondre à certains arguments irréguliers qui, sans se présenter en son nom, servent cependant sa cause.

Je conçois que le médecin le plus habile hésite quelque temps sur le choix des remèdes lorsque le malade annonce lui-même qu'il se soucie peu de guérir; je conçois que l'esprit le plus ferme ait des doutes sur l'efficacité d'une loi nouvelle contre un crime qui a su déjà résister à tant d'efforts; mais c'est, je l'avoue, avec un sentiment pénible qu'en ouvrant le compte-rendu des séances de la Chambre des représentants de la Belgique, j'ai lu, dans le discours d'un orateur, les lignes que je vais transcrire :

« Lorsqu'on voit quel bien immense le duel procure à la société, que deviennent les maux dont il est la cause? Quelques hommes tués, c'est un fait déplorable sans doute, mais c'est peu de chose au point de vue social. Morts de la fièvre, on n'en parlerait pas; morts d'accidents, on les plaindrait. Si un noble sentiment les a conduits, plaignons-les et honorons leur mort; elle est en ce sens utile à la société qu'elle apprend à redouter, à éviter toute offense de nature à conduire à un si triste résultat. Dans de pareilles morts, c'est le mode qui frappe et qui effraie, car la mort de quelques hommes est peu de chose en elle-même : dix fois plus trouvent la mort en se

baignant, et de toutes ces victimes on s'occupe à peine. »

Ainsi donc, de conséquence en conséquence, après avoir troublé d'abord les saines notions du droit public, le préjugé finirait par obscurcir les perceptions les plus claires de la conscience humaine, jusqu'à combler l'abîme qui existe, dans le monde moral, entre le résultat d'un accident et le résultat d'un crime.

Et cependant, le croira-t-on, l'honorable membre auquel sont échappées ces étranges paroles protestait lui-même contre les dernières de ces conséquences; car il se prenait d'une indignation généreuse à la pensée qu'on pourrait l'accuser de s'être fait l'apologiste du duel; mais, dans l'entraî→ nement de la discussion, il avait mis le pied sur une pente où il est difficile de ne pas glisser.

On voit, par son exemple, combien il faut sonder à fond les théories à la défense desquelles on s'engage.

S ler.

DE LA QUESTION DE COMPÉTENCE.

Importance de cette question.-Combien il importe qu'elle soit nettement posée. Comment les Chambres belges ont été conduites à donner implicitement, en matière de duel, la préférence aux tribunaux correctionnels sur le jury.

Avant d'entrer dans le détail des articles, signalons une circonstance qui nous a paru donner

à la discussion tout entière une allure embar

rassée.

La première question qui soit à résoudre lorsqu'on s'occupe du duel, et à notre avis la plus grave, c'est celle qui concerne la juridiction.

Le choix des juges est plus important encore que le choix des peines: plus la condamnation tombe de haut, plus on peut alléger son poids; elle ne frappera pas moins fort et son effet sera plus durable.

Toutefois, le règlement des compétences a toujours, il faut le reconnaître, son côté gouvernemental et politique. Aux considérations qui naissent du sujet même dont on s'occupe, viennent se joindre d'autres considérations plus générales qu'il faut également apprécier. L'état de l'opinion, le progrès des mœurs doivent influer à cet égard sur les déterminations des pouvoirs publics.

La question de compétence pourra donc être résolue, ici dans un sens, là dans un autre, suivant les situations et les circonstances; mais il importe, du moins, qu'elle soit posée, et qu'un débat contradictoire la mûrisse et l'éclaire.

Les Chambres belges ont tout fait, au contraire, pour l'éviter. Non-seulement elles l'ont reléguée au dernier rang, mais elles auraient voulu, en quelque sorte, absorber la question de compétence dans la question de pénalité.

Afin de satisfaire à la fois, s'il était possible, les partisans d'une loi spéciale et ceux du droit com

mun, le Sénat avait essayé de faire au droit commun sa part dans la loi spéciale elle-même.

En établissant des peines contre la provocation au duel, contre le combat non suivi de blessures, et en modifiant légèrement les peines du droit commun en cas de simples blessures, ce projet renvoyait au Code pénal pour l'homicide et les coups ou blessures ayant occasionné une incapacité de travail de plus de vingt jours.

La juridiction devait ainsi changer au hasard des circonstances, comme il arrive aujourd'hui parmi nous.

Ce projet eut le sort de tous ceux qui éludent les difficultés au lieu de les résoudre.

Après avoir quelques instants obtenu faveur, il fut repoussé à la fois par les deux opinions qu'il prétendait réconcilier ensemble.

On reconnut qu'il fallait opter entre la juridiction des tribunaux correctionnels et celle des cours d'assises, mais qu'on ne pouvait souder ces deux juridictions l'une avec l'autre.

La section centrale 1 de la Chambre des représentants affecta, il est vrai, de ne revenir à l'u

1 D'après le règlement de la Chambre des représentants, chacune des sections (ou bureaux) dans lesquelles se divise la Chambre nomme, après l'examen préparatoire du projet de loi, un rapporteur (ou commissaire): la réunion de ces rapporteurs, sous la présidence du président de la Chambre, forme ce qu'on appelle la section centrale, qui remplit les mêmes fonctions que les commissions de nos Chambres législatives.

niformité de juridiction que par voie de conséquence, et parce que la détermination prise à l'égard des peines rejetait tous les faits de duel dans la classe des simples délits.

Mais la discussion de principe fut soulevée incidemment devant cette Chambre.

Un député (M. Metz) présenta un article additionnel ainsi conçu :

« La connaissance des faits prévus par la présente loi est attribuée au jury. »

A voir les noms cités dans le débat comme patronant l'une ou l'autre compétence 1, on pourrait un instant se croire au sein de l'une de nos Chambres législatives.

Mais on s'aperçoit bientôt qu'on a quitté la France lorsque le ministre de la justice rappelle à l'assemblée que, «même pour les matières cri» minelles ordinaires, ce n'est qu'à grand'peine » que la constitution a admis la compétence des » jurés. »

Il est évident que, chez nos voisins, l'institution du jury n'a pas encore pénétré aussi profondément que chez nous dans les mœurs : ils en sont encore à cet égard aux objections qui nous arrêtaient il y a trente ans.

En vain l'honorable auteur de l'amendement a-t-il invoqué l'analogie frappante qui existe entre la spécialité du duel et celle des délits politiques

1 MM. Portalis et Dupin d'un côté, M. Mourre de l'autre.

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