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DE

THÉRAPEUTIQUE

MÉDICALE ET CHIRURGICALE.

THÉRAPEUTIQUE MEDICALE .

DE LA CIRCONSPECTION AVEC LAQUELLE DOIVENT ÈTRE MANIÉS CERTAINS AGENTS THÉRAPEUTIQUES.

Quand on cherche à remonter aux causes qui, dans les diverses sciences que l'esprit humain embrasse, empêchent la vérité de sortir des longues et laborieuses élucubrations des hommes, on retrouve que la première comme la plus puissante de ces causes réside dans la difficulté même des études qui doivent conduire à cette vérité. Mais cette cause, quelque puissante qu'elle soit, ne suffit point à expliquer la marche si lente des sciences à travers le temps; à côté de cet obstacle en existe un autre également puissant, et qui est une pierre d'achoppement à tous c'est l'antagonisme, l'état d'hostilité permanente que les mèmes passions créent partout et toujours entre les hommes. Toute puissance est forcée de se développer au sein de cette atmosphère, dans laquelle tous les travailleurs pressés sont à chaque instant menacés de manquer d'air, et toute science porte le poids et ces conditions fatales. La médecine, que le noble but qu'elle se propose semblerait devoir affranchir de cette triste nécessité, ne fait point exception. Loin de là, il faut bien l'avouer, entre tous les savants qui laissent la passion, l'égoïsme entacher leur amour de la science, les médecins sont ceux peux-être parmi lesquels on voit se développer l'opposition systématique la plus ardente; heureux encore quand cette hostilité ne descend point de la tête jusqu'au cœur, pour s'y nourrir de tout le fiel de la haine. On ne résout aucune difficulté en la tournant; la grue du dé

sert n'échappe point à son ennemi en se cachant la tête, il ne faut point sentimentalement se borner à ne voir là qu'un mode particulier d'émulation, qu'une constance à garder son idée, qui en définitive favorise le développement de celle-ci par les travaux opiniâtres qu'elle impose. Couvrons, dans le monde, la vérité de ce voile officieux, si nous le voulons; mais ici, face à face et dans l'a parte des aruspices de Rome, convenous que cela s'appelle, par son nom propre, de l'orgueil, de l'égoïsme, de la passion, quelquefois même de la haine; or, rien de plus anti-scientifique que toutes ces choses. Ce sont ces passions que dans l'histoire on voit venir à la traverse des idées neuves, fécondes, qui éclosent de temps en temps sur le terrain ingrat de la science; ce sont ces passions qui, biffant tout le passé, prétendent à construire celle-ci avec les seules données de l'expérience contemporaine. Ce sont ces passions qui, sur une échelle moins large, et dans telle ou telle série d'expériences scientifiques, ne mettent en évidence que les résultats heureux, et, dissimulant les résultats contradictoires, font que les questions sont toujours posées et jamais résolues. Si c'était ici le lieu de faire de l'histoire par la biographie, on en verrait jaillir dans tout son jour la vérité que nous venons d'exprimer.

Nous ne suivrons cette idée que sur le terrain où nous place notre dernière observation: oui, il est bien vrai qu'à son grand dommage la science est frustrée d'un grand nombre de résultats d'expérience, qui passent inaperçus, parce qu'ils ne concordent pas avec l'idée du moment. Il est bien vrai que ces résultats, ainsi dissimulés, préparent à la pratique des méprises quelquefois funestes; il est bien vrai que, si notre science fourmille de résultats contradictoires, de siècle en siècle plus nombreux, cela tient non pas seulement aux difficultés inhérentes à la solution de toute question scientifique complète, mais aussi, pour une bonne part, à ce que plusieurs expérimentateurs ne répètent point tout ce que leur a dit l'expérience: oui, tout cela est vrai, et nous le répétons, tout cela est un obstacle réel au véritable progrès de la véritable science. Les livres ne manquent point où sont célébrées à grand renfort d'affirmations candides comme la vérité même, la puissance, l'efficacité de telle ou telle série de moyens. Mais le livre qui manque, c'est celui où seraient exposés avec sincérité et bonne foi tous les cas néfastes où l'application de ces mêmes moyens aurait entraîné des accidents, des dangers, parfois une terminaison funeste1. Sans aucun doute, ce n'est point

1 Qu'on ne donne point à l'idée que nous venons d'exprimer, plus d'extension qu'elle n'en a dans notre pensée; nous savons qu'il y a parmi les médecins des hommes d'une probité scientifique sévère, qui ne tiennent point ainsi, au détriment de la science, la vérité captive. Ces hommes-là disent

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avec ces résultats négatifs qu'on peut édifier la science; non, mais c'est avec les résultats négatifs, tout aussi bien qu'avec les résultats positifs, qu'on éclaire la pratique, parce que par là on la prémunit contre les écueils qu'elle peut rencontrer, et qu'elle rencontre si souvent sur son chemin. Le premier précepte d'une science comme la nôtre, dont les applications se font toutes à l'homme dont la vie est menacée n'est-il pas celui-ci : Avant tout ne pas nuire, primò non nocere. Nous craignons bien que la nouvelle méthode que le scepticisme a dans ces derniers temps introduite dans la science, savoir, la statistique, ne nous engage encore plus avant dans la direction funeste que nous signalons. Toute question scientifique, d'après cette méthode, se résout par les chiffres; le chiffre est devenu le levier d'Archimède. S'agit-il, par exemple, de résoudre la question controversée des émissions sanguines ou des purgatifs coup sur coup dans la fièvre typhoïde les chiffres seuls sont en état de conduire à cette solution. Mais prenez garde, si par hasard les résultats venaient aboutir à un ex æquo sans gloire, n'est-il pas à craindre que, pour échapper à un statu quo si désespérant, certains partisans de ces deux méthodes ne mollissent quelque peu à l'endroit du diagnostic, et ne convertissent ainsi artificiellement le zéro, qui ne prouve jamais rien, en chiffres significatifs, qui prouvent toujours quelque chose! Si le chiffre n'existait pas, il faudrait l'inventer... Mais prenez garde!

Nous disions donc que les résultats négatifs et surtout les résultats funestes qui, dans quelques cas malheureux, suivent l'emploi normal des moyens thérapeutiques, doivent être mis religieusement sous les yeux des praticiens, pour les prémunir contre un danger toujours possible, dès qu'il s'est une fois réalisé. C'est dans cette pensée, dont la portée, nous sommes sûrs, a déjà été comprise, que nous allons ex poser successivement ici un certain nombre d'observations. dans lesquelles nous verrons quelques-uns des moyens les plus fréquemment mis en usage dans la pratique entraîner les conséquences les plus graves, bien que méthodiquement employés, et par des hommes dont le nom fait à juste titre autorité dans la science. Nous invoquerons en même temps, lorsqu'il y aura lieu, les moyens propres à combattre les accidents, résultat de ces applications malheureuses. Parlons d'abord de la digitale.

leurs revers comme leurs succès, publient sans restriction toutes les réponses de l'expérience; aussi bien font-ils autorité parmi nous, et leur autorité repose autant sur leur probité scientifique que sur leurs lumières mêmes. Cette réserve faite, nos paroles iront à l'adresse de ceux qu'elles regardent, puissent-elles ne pas frapper à la porte d'un trop grand nombre de gens !

C'est là un des moyens le plus souvent employés aujourd'hui ; signaler les accidents que peut entraîner son application est donc une chose utile. Le mode d'administration qui semble le plus propre à assurer à ce médicament toute son efficacité, c'est l'infusion des feuilles desséchées faite à chaud ou à froid; c'est aussi bien à cette préparation qu'aujourd'hui la plupart des praticiens donnent la préférence. Pour l'infusion à froid, la dose par laquelle on doit constamment débuter chez les adultes, c'est celle qui a été indiquée par M. le professeur Cruveilhier, 2 gram (36) de feuilles pour 120 gram. (jv) d'eau, et que les malades doivent prendre par cuillerée d'heure en heure. Les proportions qu'on emploie, en général, pour l'infusion à chaud, sont 4 gram. (3) de feuilles pour un litre d'eau, et qu'on peut ainsi administrer depuis 15 gram. (36) jusqu'à 30 gram. (3 j). Nous dirons que ce sont là les doses normales auxquelles cette substance est généralement employée, et presque toujours sans autres inconvénients que ceux qui résultent de l'intolérance qu'elle rencontre chez certains individus, et dont on finit le plus souvent par triompher. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'un médicament tel que la digitale, qui peut porter une atteinte funeste à la vie, cette intolérance, l'une des expressions de cette puissance de conservation dont est doué tout organisme vivant, mérite la plus sérieuse attention de la part du médecin, qui pense que la médecine n'est point une simple chirurgie interne. Sans doute la loi d'accoutumance, à laquelle est soumis aussi l'organisme, nous force à limiter les restrictions que la première loi tendrait d'emblée à faire établir; il en est ainsi, par exemple, dans un grand nombre de cas de l'intolérance que manifestent tout d'abord certains individus, vis-à-vis des préparations de digitale. En effet, comme nous l'avons dit déjà, on triomphe le plus souvent de cette sorte d'antipathie par la persistance, par la cessation et la reprise alternatives du médicament, par la rétrogradation dans les doses; mais, dans ces cas même, il ne faut point oublier ce cri de l'organisme, qui, en bonne philosophie médicale, signific au moins autant que cette problématique injection sanguine qu'on vous montrera demain sur le cadavre, dans la muqueuse gastro-intestinale; il ne faut dans aucun cas, disons-nous, oublier ce cri de l'organisme; là où il se manifeste, il faut suivre avec la plus sérieuse attention l'action du médicament, car il est peut-être le premier symptôme d'une intoxication, sous l'influence de laquelle la vie peut s'éteindre. Le fait suivant va nous montrer réalisé ce que nous venons de dire, moins le dernier résultat heureusement. Une femme âgée de trente-quatre ans, d'une constitution chétive, et ayant cessé d'être menstruée régulièrement depuis un an déjà, est atteinte d'une ascite prononcée, et d'un œdème considérable des membres inférieurs.

Vainement plusieurs médecins, consultés successivement, avaient tour à tour interrogé les divers appareils pour y saisir quelque lésion organique qui pût les éclairer sur la cause de cette hydropisie, ces examens avaient été constamment sans résultat : cependant les urines, examinées immédiatement après leur expulsion, semblaient former une mousse plus considérable que dans l'état ordinaire; soumises à l'action du calorique et d'un acide concentré, elles laissèrent précipiter de l'albumine. Alors les idées de Bright étaient encore dans toute leur nouveauté; on crut d'abord à une maladie des reins, et la malade fut traitée dans ce sens. Plus tard, d'autres médecins qui avaient constaté l'albuminurie dans les cas de simple hydrothorax, dans l'ascite symptômatique d'une maladie du foie, voire même chez des individus jouissant d'une santé parfaite1, ne crurent point devoir s'arrêter à ce diagnostic, et ne saisissant point, plus que les premiers, de lésion organique, conseillèrent la digitale à titre de diurétique : ce fut à l'infusion à froid qu'on donna la préférence, et dans les proportions que nous avons indiquées plus haut. Quatre onces de cette infusion furent consommées dans la première journée il y eut des nausées fréquentes, plusieurs vomissements, mais cela n'arrêta point la malade, pleine de courage. Le lendemain, la même dose fut prescrite, mais les cuillerées devaient être plus rapprochées : à la troisième cuillerée, des nausées continues se déclarèrent, puis arrivèrent des vomissements abondants, et accompagnés de la plus vive anxiété. Ces accidents persistèrent jusqu'à la nuit; les suivants vinrent successivement s'y joindre. Facies profondément altéré, intelligence nette, voix demi-éteinte, vue trouble, tous les objets paraissent à la malade voilés d'une teinte jaune; faiblesse extrême, découragement profond; douleurs très-vives au creux de l'estomac, et que des boissons glacées exagèrent encore; coliques de temps en temps, deux selles liquides peu abondantes; langue pâle, toutefois bouche sèche, soif vive; pouls à 90 et 95, peau chaude, brûlante; engourdissement avec sensation de fourmillement très-incommode du bras gauche. Pendant quinze heures suspension des urines; plus tard celles-ci reparaissent, mais rares, et s'accompagnent à leur sortie d'une douleur extrêmement vive. Sous l'influence de deux applications de sangsues à l'épigastre, les douleurs paraissent se calmer un peu, mais ne cessent pas. Puis elles reviennent avec leur intensité première : la malade ne peut faire le plus léger mouvement dans son lit, sans qu'aussitôt

1 Dernièrement encore, M. Becquerel, interne de M. le professeur Andral, à la Charité, a constaté la présence de l'albumine dans les urines d'un infirmier; cet homme est jeune, d'une bonne constitution, et jouit de la plénitude de la santé.

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