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rare ! reconnaissent et avouent que leur découverte ils l'ont retrouvée tout au long, soit dans les livres des anciens, qu'ils ne connaissaient pas, ou qu'ils n'avaient point suffisamment médités, soit dans les ouvrages encore assez récents et qu'ils avaient souvent parcourus légèrement ! Toutefois, il ne faut pas se laisser abuser par ceux qui soutiennent qu'il n'y a rien, ou même qu'il ne peut rien y avoir de nouveau sous le ciel, et qui croient retrouver dans les anciens tout ce que nous pouvons penser et dire aujourd'hui. En effet, nous attribuons souvent à tel auteur, surtout si quelques siècles se sont écoulés depuis l'époque où il vivait, telle pensée qui ne fut jamais la sienne; une idée, un mot, éveillent souvent en nous un aperçu nouveau, que l'auteur n'avait jamais conçu, mais que nous lui rapportons, parce que c'est à l'occasion d'une phrase souvent insignifiante que notre esprit a créé une idée qui nous appartient bien. Avouons cependant qu'il en est bien plus souvent autrement, et qu'il faut nous résigner à faire seulement revivre des principes qui ont longtemps été professés, ou qui ont, dans de bien plus nombreuses circonstances, été mis en pratique, et que la tradition nous a parfois conservés. C'est, du reste, déjà un mérite bien réel, que de rendre une seconde fois, même une troisième ou une qua · trième à la science, des principes et des préceptes qui avaient été oubliés, surtout aujourd'hui où aucune doctrine ne saurait avoir quelque crédit, si elle ne repose sur des faits suffisamment mombreux et bien observés. De ce que la taille bi-latérale se trouve indiquée dans Celse, où, du reste, personne ne l'avait aperçue, le mérite en est-il moins grand pour Dupuytren de l'avoir fait revivre, d'en avoir compris toute l'importance et de l'avoir perfectionnée? Il fallait déjà l'avoir inventée, pour l'apercevoir dans le texte de Celse; c'est l'avoir inventée que de l'y avoir vue. De même, l'on rapporte toujours à Alanson l'honneur de la formation d'un cône creux, à sommet dirigé vers le tronc, dans les amputations circulaires; que le chirurgien de Liverpool en ait mieux compris l'importance que personne, c'est ce que l'on ne saurait lui refuser; mais qu'il l'ait exécuté par son procédé, qui est absude, c'est pour moi ce que je déclare impossible; tout l'honneur doit en revenir, partie à J.-L. Petit, partie à Louis, et en définitive c'est à Desault qu'il faut attribuer le mérite d'avoir atteint complétement le résultat, en combinant les procédés de J.-L. Petit et de Louis.

Les réflexions qui précèdent nous sont venues à l'occasion de plusieurs cas de tumeurs lacrymales, qui se sont offerts à nous depuis quelques années, et que nous croyons utile de publier.

Nous devons admettre encore sur ce sujet, que, bien que depuis Manget plusieurs praticiens aient reconnu la possibilité de guérir les tumeurs T. XIX. 2o LIV.

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lacrymales sans opération et par l'emploi de moyens généraux et de moyens locaux plus ou moins simples, émollients, antiphlogistiques, cathérétiques ou dérivatifs, ce mode de traitement était presque entièrement oublié lorsque l'école de Beer et celle de Broussais, connaissant mieux la modification morbide à laquelle on peut le plus généralement les attribuer, s'efforcèrent de le faire revivre: mais n'oublions pas que MM. Demours, père et fils, avaient été ramenés antérieurement à l'emploi des médications générales, et particulièrement à la méthode antiphlogistique, et en avaient obtenu de nombreuses guérisons. Du reste, nous devons dire d'avance que nous adoptons les idées de M. le professeur Velpeau, au sujet des émissions sanguines; nous pensons avec lui qu'il faut en être fort ménager et ne mettre en usage les saignées générales que tout autant que quelque indication particulière bien marquée se présente. Relativement à l'emploi des sangsues sur le trajet du canal nasal, nous ne les rejetons pas, mais nous pensons qu'on doit n'y avoir recours qu'après que les moyens émollients ont échoué et dans le cas où l'indication est pressante. Les dérivatifs, suivant la manière de faire de Platner, conviennent lorsque les autres moyens ont échoué. Du reste, les observations suivantes montreront combien nous paraissent rarement nécessaires ces derniers moyens.

Obs. I. Dans le courant de l'année 1836, madame ***, portière, que Royale, au Marais, âgée de quarante ans environ, d'origine allemande, et d'une constitution légèrement lymphatique, jouissant d'ailleurs d'une fort bonne santé, remarqua, à la suite de plusieurs coryzas, qu'une petite tumeur se développait au grand angle de son œil gauche ; comme cette tumeur faisait des progrès, elle vint me consulter; en ce moment, un peu de rougeur érysipélateuse s'était développée sur la tumeur, et s'étendait à la paupière et à la joue; elle s'accompagnait de chaleurs et de démangeaisons; c'était la deuxième fois qu'un pareil accident se manifestait. Me trouvant encore sous l'influence de ce que j'avais yu et appris à l'Hôtel-Dieu, je proposai l'opération par la canule; elle fut acceptée, et lorsque l'inflammation érysipélateuse se fut dissipée par l'emploi des émollients, je pratiquai l'opération; rien ne fut plus simple et plus rapide. Je vis la malade pendant huit à dix jours, la petite plaie était guérie, et la canule, restée parfaitement en place, ne la gênait nullement. Deux ans après, je fus de nouveau appelé auprès de cette malade pour un écoulement purulent par le rectum, lequel était le résultat de l'ouverture spontanée d'un abcès de la fosse iliaque droite. Je m'informai de ce qui s'était passé du côté des voies lacrymales, et la malade avait en quelque sorte oublié qu'elle portait une canule ; il ne restait aucune trace de la tumeur; jamais guérison ne fut plus com

plète; elle peut être regardée comme bien assurée. Une année après, j'eus des nouvelles de la même personne, et les choses étaient toujours dans le même état; c'est le seul fait de ce genre que j'aie eu l'occasion d'observer par moi-même.

Obs. II. Cinq ou six mois après l'opération qui fait le sujet de l'observation précédente, un jeune homme, M. X., âgé de dix-huit ans, d'une constitution éminemment lymphatique, portait souvent des éruptions croûteuses sous le nez et sur la lèvre supérieure, et offrait, sur le bord libre des paupières, des croûtes résultant du desséchement de la sécrétion mucoso-purulente des follicules de Méibomius (blepharite glanduleuse). 'Au grand angle de chacun des deux yeux, s'était développée, depuis près de deux ans, une tumeur dont le volume était assez yariable, et cela suivant la température et l'hygromitricité de l'atmo sphère, et suivant l'heure de la journée; car, ainsi que Saint-Yves et Demours l'ont signalé depuis longtemps, contrairement à l'opinion des auteurs qui répétaient sans cesse que la tumeur lacrymale se distend et augmente de volume pendant la nuit; disant que, dans le jour les larmes étant répandues sous formes de vapeur par l'atmosphère, et n'étant pas obligées de parcourir les voies lacrymales, on observait que la tumeur était bien moins considérable le matin que dans le milieu et à la fin de la journée : On peut, je crois, donner de ce fait, une explication plus rationnelle que les auteurs ne l'ont fait jusqu'ici ; cela tient tout simplement à ce que la sécrétion des larmes est infiniment moins aboudante pendant la nuit que pendant le jour, ce dont la sécheresse des yeux au reveil, l'impression douloureuses que fait la lumière, pendant les premiers instants, sur la conjonctive, est la preuve évidente. Chez ce jeune homme, la difficulté que les larmes éprouvaient à parcourir le canal nasal, tenait évidemment à l'état de sub-inflammation de la membrane qui le tapisse, sous l'influence de sa constitution éminemment lymphatique. Un traitement général approprié fut mis en usage; des fumigations dans les narines avec la vapeur d'une infusion de fleurs de sureau, ainsi que des applications, sur la tumeur, de compresses trempées dans ce liquide, furent employées. Peu de jours après je procédai au cathétérisme du canal nasal, par son extrémité inférieure, avec la sonde de M. Gensoul. Je parcourus facilement la plus grande étendue de ce canal, des injections furent faites, et néanmoins les tumeurs formées par l'accumulation de la matière séro-purulente dans le sac lacrymal persistaient. Après un mois de persévérance, et sans plus de résultat, je proposai l'opération par la canule: le malade s'y refusa; alors je fis usage du collyre au nitrate d'argent (simple dissolution de deux grains par once d'eau distillée), et j'eus la satisfaction

de voir, après quatre ou cinq semaines, la liberté du passage des larmes dans les fosses nasales se rétablir; la compression sur la tumeur, exercée de façon à effacer les conduits lacrymaux et à s'opposer au reflux du liquide du côté de l'œil, fit passer ces matières à travers le canal nasal, ce qui avait été impossible jusque-là. En même temps la constitution s'était heureusement modifiée par suite de deux mois du traitement qui avait été prescrit; l'amélioration a continué, et lorsque j'ai perdu le malade de vue, la sécheresse des narines n'existait plus, les larmes descendaient assez librement à travers le canal nasal, quoique pourtant encore, la tumeur, qui avait notablement diminué, n'eût pas entièrement disparu.

Obs. III. Mademoiselle P***, âgée de dix-sept ans, demeurant à Boulogne près Paris, d'une constitution lymphatique, et non encore réglée, portait, au grand angle de l'œil gauche, une tumeur formée par la dilatation du sac lacrymal; elle s'était aperçue de son développement près d'une année environ avant le moment où je fus consulté, dans le courant de l'année 1838; à plusieurs reprises, l'inflammation s'est manifestée au grand angle de l'œil, mais sans qu'il y eût jamais menace de formation d'un abcès. Je conseillai l'emploi des moyens qui avaient réussi chez le précédent malade, mais on préféra une méthode plus expéditive, et une canule fut placée dans le canal nasal. La petite plaie se cicatrisa promptement, mais la canule remonta constamment, malgré les soins que je mis à la faire descendre et l'attention que mit la malade à la repousser vers en bas, plusieurs fois dans la journée, tout fut inutile; les larmes et la sécrétion puriforme s'accumulaient, dans le sac, autour de la canule remontée, et je me vis obligé d'en faire l'extraction trois semaines après qu'elle avait été introduite; j'eus le soin de passer ensuite une sonde cannelée, dans le canal nasal, jusque dans la narine correspondante, pour m'assurer que le canal était libre, et je laissai la plaie se cicatriser. Un petit noyau d'induration se forma à la place de la tumeur ; les fumigations émollientes et le collyre au nitrate d'argent furent employés, les larmes descendirent, suivant leur route naturelle, le petit engorgement dur du grand angle s'est dissipé à la longue, et la guérison est parfaite; j'ai revu maintes fois la malade depuis cette époque, et la guérison ne s'est pas démentie un seul instant.

Voilà donc un cas où la présence d'une canule, pendant trois semaines, a suffi pour le rétablissement de la liberté du cours des larmes ; or, je m'en suis rendu compte de la manière suivante : l'inflammation chronique dont la muqueuse du canal nasal était le siége s'est ravivée, et la résolution de l'engorgement dont elle était le siége s'est dissipée

sous l'influence de ce retour momentané à l'état aigu. Le collyre ou nitrate d'argent, absorbé par les points et les conduits lacrymaux, a agi dans le même sens, et les vapeurs émollientes portées dans les fosses nasales ont favorisé le rétablissement de la sécrétion de la membrane pituitaire. Chez les deux derniers malades, âgés de dix-sept à dixhuit ans, le développement qu'ils ont pris à cette époque, a, je n'en doute pas, puissamment contribué à modifier l'état pathologique de la membrane qui tapisse les voies lacrymales et nasales, en même temps qu'il a déterminé l'ampliation de ces voies toujours fort étroites dans l'enfance et l'adolescence.

Obs. IV. Une jeune femme, âgée de vingt-sept ans, habitant également Boulogne, portait depuis assez longtemps une tumeur lacrymale du côté gauche; le nez et les fosses nasales étaient peu développés, d'ailleurs la malade jouissait d'une bonne santé, mais offrait l'apparence d'un tempérament lymphatique et sanguin. Comme elle voulait être débarrassée le plus promptement possible de son mal, je l'opérai par le procédé de la canule; la plaie fut promptement guérie, mais six à huit jours s'étaient à peine écoulés, que la tumeur se reproduisit. Je cherchai à faire passer le liquide qui distendait le sac dans le nez, mais je n'y pus réussir; j'attendis quelques jours encore, et alors la tumeur avait repris son premier développement. Je cherchai à me rendre compte de ce phénomène, la canule pouvait être bouchée; je me décidai à en faire l'extraction; je détruisis la petite cicatrice avec un stylet; je cherchai à saisir le rebord de la canule avec des pinces à disséquer, je ne pus la trouver ; j'employai l'instrument de M. Cloquet, et la canule ne fut point ramenée. J'examinai alors la fosse nasale, et j'acquis bientôt la conviction que la canule était descendue, et s'était implantée dans l'épaisseur de la membrane fibro-muqueuse du plancher des fosses nasales; je la saisis et la retirai avec facilité. Aussitôt une légère pression fit descendre dans le nez les matières qui distendaient le sac; je pus alors me rendre raison de l'impossibilité où j'avais été de faire l'extraction de cette canule par la partie supérieure; chacun en trouvera facilement l'explication.

J'aurais pu m'en tenir là, et je l'aurais fait si j'avais eu l'expérience que j'ai maintenant acquise, mais je crus devoir remplacer la canule par un séton, que j'entretins pendant six semaines, après quoi la malade s'est trouvée parfaitement guérie ; je l'ai revue dernièrement, et la guérison ne s'est pas démentie.

Obs. V. Une dame de cinquante ans fut opérée par le séton, que je chargeais, à chaque pansement, de pommade au nitrate d'argent; au bout de deux mois le séton fut supprimé, et quinze jours après la tu

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