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vasion de l'hémoptysie; les battements du cœur étaient plus forts que dans l'état normal, le pouls marquait 104 par minute; d'ailleurs, la constitution de la malade n'était pas altérée. Je prescrivis, comme dans les cas qui précèdent, dix centigrammes de tartre stibié.

La malade vomit trois fois après avoir pris ce remède, et au bout de quelques heures, elle cessa de rendre du sang. Le lendemain nous pûmes nous assurer que l'hémoptysie avait tout à fait disparu. Les crachats étaient blancs, muqueux, quelques-uns seulement étaient encore légèrement colorés en rouge. Les jours suivants, nous n'avons aperçu dans les crachats aucune trace de sang; le pouls a repris son type naturel, la respiration est devenue facile, et au bout de douze jours, la malade est sortie de l'hôpital dans un état satisfaisant.

Obs. IV. Un jeune homme de dix-huit ans entra à l'Hôtel-Dieu le 25 mai 1839. Il éprouvait depuis six semaines tous les signes rationnels de la phthisie pulmonaire, lorsqu'il fut pris d'un crachement de sang assez abondant, deux jours avant son admission à l'hôpital. Ayant trouvé les organes digestifs en bon état, je crus pouvoir prescrire dix centigrammes de tartre stibié dans deux verres d'eau tiède. Le malade vomit quatre fois, et eut en outre deux évacuations alvines. Dès ce moment l'hémoptysie diminua d'intensité, et le lendemain elle avait complétement cessé. Aucun accident ne s'est manifesté du côté de l'estomac ou des intestins, mais les tubercules pulmonaires ont continué leur marche. La fièvre s'est accrue, l'amaigrissement est devenu de plus en plus marqué, et le malade a succombé au bout d'un mois, après nous avoir offert tous les caractères de la phthisie pulmonaire au troisième degré.

Dans les quatre cas qui précèdent, la cessation de l'hémoptysie a suivi si promptement l'administration du tartre stibié, qu'il nous paraît bien difficile de ne pas attribuer ce résultat à l'action de l'émétique; en effet, l'hémoptysie, abandonnée aux seules ressources de la nature, dure habituellement de six à huit jours; rarement elle s'arrête spontanément avant cette époque, souvent elle se prolonge davantage; et si parfois il arrive que le crachement de sang se dissipe un peu plus tôt, il diminue d'une manière progressive avant de disparaître tout à fait. Or, telle n'a pas été la marche de l'hémoptysie chez les malades dont on vient de lire l'histoire. Chez tous, à peine le tartre stibié avaitil produit ses effets accoutumés, que les crachats contenaient moins de sang, et qu'au bout de quelques heures ils cessaient d'en contenir. Jusqu'ici, je le répète, l'efficacité du tartre stibié ne saurait être révoquée en doute; mais, comme il est d'ailleurs facile de le prévoir, ce médicament ne réussit pas toujours à arrêter l'hémoptysie; quelquefois même,

ainsi que nous l'avons observé chez un des deux malades dont nous allons rapporter l'histoire, il peut être suivi d'une recrudescence du crachement de sang.

Obs. V. Un homme de trente-huit ans, doué d'une constitution assez forte, mais affaibli par des travaux excessifs et par la misère, entra à l'hôpital de la Pitié le 8 janvier 1840. Cet homme, habituellement enrhumé depuis neuf mois, avait été pris d'un crachement de sang quatre jours avant son admission à l'hôpital. Le malade rendait chaque jour une grande quantité de crachats rouges, vermeils et mousseux; la poitrine rendait un son moins clair que de coutume, au niveau du sommet du poumon droit; dans ce même lieu, on entendait un râle muqueux à petites et à grosses bulles, sans traces du murmure vésiculaire normal; la respiration était fréquente, difficile, le pouls accéléré, mais faible; les organes digestifs étaient sains en apparence.

Je prescrivis dix centigrammes de tartre stibié dans deux yerres d'eau. Ce médicament produisit trois vomissements, mais il n'exerça aucune action sur l'hémoptysie. Le malade continua de cracher du sang comme les autres jours. Nous eûmes ensuite recours à la saignée, aux révulsifs sur les membres inférieurs, sans plus de succès. L'hémoptysie ne s'est arrêtée qu'au bout de douze jours. En dernier lieu, nous avons mis en usage la décoction de rathania, qui nous a paru diminuer un peu l'intensité des accidents.

Obs. VI. Un jeune homme de dix-neuf ans, tailleur, doué d'un tempérament lymphatique et offrant la prédisposition tuberculeuse à un haut degré, entra à l'hôpital de la Pitié le 3 novembre 1839. Il était enrhumé depuis plusieurs mois, et il avait un crachement de sang depuis quinze jours. La quantité de sang rendue chaque jour était trèsvariable; tantôt, en effet, le malade rejetait à peine quelques crachats sanglants, tantôt il en rendait de quoi remplir une ou deux assiettes. Quand nous le vîmes, il n'avait subi aucun traitement. Sa face était pâle, colorée seulement au niveau des pommettes; la toux était fréquente; les crachats, peu abondants, nous parurent formés d'un mélange de sang et d'une matière opaque, d'un blanc jaunâtre qui ressemblait à du pus; la poitrine rendait un son mat au niveau du sommet du poumon gauche; il y avait dans le même lieu du râle muqueux à grosses bulles, et de véritables craquements humides au niveau de la fosse sous-épineuse. Le malade accusait une douleur qui occupait la partie postérieure et supérieure du côté gauche de la poitrine, et s'irradiait dans l'épaule correspondante. Les organes digestifs étaient restés jusqu'ici exempts de troubles fonctionnels. D'après l'examen du malade, nous ne pûmes conserver de doute sur l'existence de tubercules pulmo

naires; il fut évident pour nous qu'il y avait là des tubercules à différents degrés, et que, suivant toutes les probabilités, le tartre stibié ne réussirait pas à faire cesser l'hémorragie pulmonaire. Cependant, comme les voies digestives étaient saines, je prescrivis dix centigrammes d'émétique.

Le malade prit ce médicament sans en éprouver aucun effet.

Le lendemain, j'eus recours à une saignée du bras qui n'eut pas plus de succès; enfin, le crachement de sang étant devenu plus abondant, au bout de huit jours, je réitérai l'administration de l'émétique à la dose de dix centigrammes. Le malade vomit trois fois, et, dès le même jour il fut pris d'un crachement de sang très-abondant, pour lequel on fut obligé d'employer les boissons froides, glacées, la décoction de ratanhia, les révulsifs sur les membres inférieurs.

L'hémoptysie diminua le lendemain, mais au bout de quatre jours elle reprit une nouvelle intensité; enfin elle s'arrêta complétement trois semaines après l'entrée du malade à l'hôpital. A peine était-il délivré de l'hémoptysie, qu'il fut pris d'une variole. Cette maladie activa d'une manière remarquable la marche des tubercules pulmonaires, et elle fut bientôt suivie de la mort.

En raison des variations de la marche de l'hémoptysie chez le malade dont l'histoire précède, il est difficile de déterminer les effets qui appartiennent au tartre stibié. Cependant, nous ne pouvons nous empêcher d'admettre que ce vomitif a exercé une certaine influence sur la recrudescence de l'hémorragie qui a suivi son administration; aussi, nous n'hésitons pas à proscrire ce remède dans tous les cas analogues, qui, d'ailleurs, sont ordinairement très-rebelles aux autres moyens. 11 nous resterait maintenant à préciser dans quelle espèce d'hémoptysie le tartre stibié peut être donné avec avantage, mais nous ne possédons pas assez de faits pour résoudre cette intéressante question; nous dirons seulement qu'il faut s'abstenir de l'employer, lorsque l'hémoptysie dépend d'une altération organique appréciable, ou lorsqu'elle se lie à une trop grande fluidité du sang. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que l'état du tube digestif doit être interrogé avec soin toutes les fois qu'il s'agit d'administrer un vomitif, et en particulier l'émétique. Il résulte du peu de faits que nous avons observés, que c'est principalement dans les hémoptysies actives, avec molimen hæmorrhagicum, que le tartre stibié peut être donné avec avantage; quant à la dose à laquelle il convient de le faire prendre, nous pensons que dix centigrammes suffisent dans le plus grand nombre des cas; telle est du moins la dose avons employée jusqu'à présent avec succès. Si ce remède échoue la première fois, nous sommes d'avis qu'on ne répète pas une seconde fois son

que nous

administration. Disons, en terminant, qu'on ne saurait apporter trop de circonspection dans l'emploi d'un médicament dont il n'est pas toujours possible de prévoir les effets.

A. NONAT.

OBSERVATIONS DE COMPRESSION DE L'AORTE, POUR ARRÊTER
L'HEMORRHAGIE UTERINE; PAR M. PIÉDAGNEL.

S'il est vrai, comme on ne peut en douter, que des femmes peuvent mourir d'hémorragie utérine après l'accouchement, c'est une belle idée que celle de la compression de l'aorte pour arrêter ces hémorragies; et, bien qu'elle soit toute naturelle et qu'elle eût déjà été mise en usage, ce n'est que dans ces derniers temps que M. Baudelocque neveu l'a proposée de nouveau et lui a donné une place dans la science. Ce moyen hémostatique a trouvé des contradicteurs dès son origine; du doute a été émis, non sur son efficacité, mais sur son exécution; et cependant, c'est la chose du monde la plus facile que d'arrêter le passage du sang dans l'aorte, immédiatement après la sortie de l'enfant ; car les intestins, pendant la grossesse, ont à peu près quitté la partie moyenne de l'abdomen pourse porter sur les parties latérales et supérieures de cette cavité; et si, lorsque l'utérus a repris sa position dans le bassin, ils reviennent se placer à la partie antérieure de la colonne vertébrale abdominale, c'est avec la plus grande facilité que, par des mouvements de pression exercés circulairement, et en partant de l'ombilic, on parvient à les éloigner de nouveau, et à toucher avec le bord cubital de la main la colonne vertébrale, et par conséquent l'aorte, que l'on comprime ainsi à volonté, comme du reste on peut s'en assurer après toute espèce d'accouchement.

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Aujourd'hui, une objection assez remarquable est faite à la compression de l'aorte M. le docteur Jacquemier (Archives de médecine, juin 1839) pense que, loin d'arrêter l'hémorragie utérine, ce moyen ne peut que l'augmenter. Il pense que, cette compression ayant pour but d'empêcher le sang de se porter aux extrémités inférieures, il se dirige en totalité vers la tête et les membres thoraciques; que, par conséquent, en revenant en plus grande quantité par la veine cave supérieure, il reflue dans l'inférieure, et de là consécutivement dans les veines utérines dépourvues de valvules.

Cette explication toute gratuite ne me paraît pas même admissible dans les cas de perte veineuse sculement, c'est-à-dire lors de la déplé

tion des sinus utérins, des veines et du tissu de l'utérus; car alors, que l'on comprime ou non l'aorte, l'hémorragie s'arrête. Qui n'a vu des flots de sang sortir immédiatement après le placenta ? On est quelquefois surpris de la quantité réellement prodigieuse de liquide que quelques femmes rendent ainsi, sans que par la suite elles en éprouvent le moindre accident. Et puis est-il réellement possible de comprimer l'aorte sans gêner la circulation de la veine cave inférieure?

Mais ce dégorgement naturel de vaisseaux dilatés outre mesure n'est pas la seule cause d'hémorragie par l'utérus; les artères de cet organe, au nombre de quatre, peuvent aussi fournir du sang, et des accidents graves avoir lieu : c'est encore ce que M. Jacquemier nie. Toutefois, quatre artères d'une ligne de diamètre nous paraissent plus que suffisantes pour donner lieu à une hémorragie mortelle. Dans les cas de ce genre, la compression de l'aorte ne doit-elle pas être de la plus haute importance?

Quelles que soient les théories et les explications, dans des cas aussi graves, devant des accidents qui entraînent en quelques heures la mort des malades, ce sont, je pense, des faits dont il faut tenir compte; et les deux qui suivent, que j'ai eu occasion d'observer, prouvent certainement que deux hémorragies utérines ont eu lieu, que dans les deux cas la compression a été mise en usage, et que si c'étaient des hémorragies artérielles, la compression a été utile; que si au contraire l'écoulement de sang a été veineux, elle n'a pas été nuisible, puisqu'elle n'a été discontinuée que lorsque les hémorragies ont été arrêtées.

Madame C...., fille d'un de nos confrères de province, jeune, de haute stature, d'une forte constitution, d'un tempérament sanguin lymphatique, jouissant ordinairement d'une bonne santé, vint s'établir en Paris en 1834. Je l'accouchai en 1835 : cet accouchement ne présenta rien de remarquable. Un an plus tard, elle accoucha de nouveau, mais ce fut son père qui lui donna des soins; elle eut une légère hémorragie. En 1837, elle revint à Paris, eut une belle grossesse, et accoucha naturellement et promptement. Quelques minutes après être délivrée, elle eut une légère hémorragie, mais qui sembla s'arrêter. Je lui appliquai méthodiquement un bandage de corps, puis je la fis transporter dans son lit. Au bout d'une demi-heure, avant de me retirer, j'examinai l'abdomen, et ne fus pas peu surpris de trouver l'utérus fortement développé et s'étendant jusqu'à l'ombilic. Je détachai le bandage de corps et vidai l'utérus; je ne retirai pas moins d'une demicuvette de sang de son intérieur, et je fus frappé de l'inertie complète de cet organe.

Après cette opération, le sang cessa de couler par la vulve, et je crus TOME XIX. 7 LIV.

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