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dans certains cas, pourraient être nuisibles les préparations mercurielles. C'est donc à cette période de transformation de la syphilis que conviennent les préparations iodurées.

Sans vouloir entrer ici dans les détails d'une description munutieuse de chacun des symptômes propres à cette période, sans parler des douleurs osteocopes, des périostoses, des exostoses, des caries, nécroses, je dois dire qu'une des plus fréquentes manifestations tardives de la syphilis sont les ulcérations siégeant soit sur les parois de l'arrière-cavité buccale, soit sur la langue, soit dans la partie supérieure des voies aériennes (les fosses nasales et le larynx). Aussi est-ce cette forme me propose d'examiner aujourd'hui plus particulièrement.

que je Ces ulcérations, qui ont pour siége plus spécial le voile du palais, le pharynx ét, en arrière, les piliers postérieurs, et plus rarement la région des amygdales proprement dite; elles ne sont pas rares dans les fosses nasales, s'étendent souvent jusqu'au larynx, où elles constituent la phthisie laryngée syphilitique.

Si maintenant nous jetons un coup d'œil rapide sur le développement et la marche de ces ulcérations, nous dirons qu'il se développe d'abord dans l'épaisseur de la muqueuse, dans le tissu cellulaire sousmuqueux, entre le périoste et les os, de petites tumeurs gommeuses présentant beaucoup d'analogie avec les tubercules dont elles se rapprochent, sous le rapport de la forme, de la marche et de l'évolution. Toutefois, ne les ayant pas encore étudiées suffisamment sous le rapport de l'anatomie pathologique, je ne veux rien préjuger ici de leur nature intime toujours est-il qu'avant leur période de ramollissement et de suppuration, la maladie reste indolente. On n'observe guère alors que des coriza, qu'un peu plus de gêne dans la déglutition ou l'émission de la voix; si la maladie s'étend du côté du larynx, les malades sont alors un peu plus sujets que de coutume aux angines. Mais, lorsqu'arrive la période de fonte purulente, les symptômes aigus se surajoutent tout à coup on voit rapidement survenir des destructions énormes phagédéniques et comme gangreneuses, destructions irréparables, et partant fort graves, qui souvent trompent malheureusement l'attente du médecin, qui, d'abord pensant n'avoir affaire qu'à une angine simple, est bientôt averti de l'importance d'arrêter la maladie dans une marche aussi rapide.

Ces ulcérations des fosses nasales ou du voisinage des os peuvent en outre reconnaître pour cause une maladie primitive de l'os ou de son périoste, circonstance aggravante, surtout dans le cas où il y aurait déjà formation de séquestres à éliminer.

Le diagnostic de ces ulcérations est toujours facile à établir. On ne

peut pas les confondre avec les tubercules muqueux ulcérés de la deuxième période; ceux-ci forment toujours plus ou moins de relief, et ne présentent pas de ces destructions de parties faites comme à l'emporte-pièce, qui font le caractère des ulcérations de la période tertiaire, Du reste, la marche et l'extension de la maladie des parties superficielles vers les parties profondes, dans les formes éruptives pustuleuses secondaires, est un caractère suffisant pour établir le diagnostic, Quant aux chancrés primitifs de cette partie, les antécédents et, lorsqu'on peut les obtenir, l'inoculation, viennent éclairer le diagnostic. Mais je dois plus spécialement insister sur les ulcérations de la langue, ulcérations qu'on a souvent pris pour une affection cancéreuse, et avec une apparence d'autant mieux fondée, qu'à leur pourtour existent des noyaux d'induration formés par les tumeurs gommeuses non encore ramollies, dont nous avons parlé plus haut, et qui donnent au toucher la sensation d'une dureté squirrheuse. Le médecin, du reste, se confirme d'autant mieux dans cette erreur, que le traitement mercuriel est plus inefficace,

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Le pronostic de ces ulcérations est toujours grave en lui-même, à cause des pertes de substance considérables qu'elles occasionnent, de la dénudation des os qu'elles amènent, à cause de leurs fréquentes récidives, et, si je n'avais maintenant les préparations iodurées à leur opposer, je dirais graves, à cause de leur durée illimitée. Au point de vue du traitement je dirai, pour ce cas particulier, ce que je dirais pour tous les symptômes tertiaires en général. Les mercuriaux guérissent souvent, aggravent quelquefois, dans d'autres circonstances restent sans action.

On conçoit, du reste, très-facilement quelle puisse être l'action délétère du mercure dans quelques cas; car les malades, à cette période, ont ordinairement une constitution pauvre, délabrée, et tout le monde sait combien les mercuriaux ôtent de plasticité au sang, combien ils contribuent à appauvrir le malade. D'ailleurs les stomatites mercurielles, dans de telles conditions, sont presque nécessaires, puisque les malades portent déjà dans la bouche un principe d'irritation permanente. Il est facile dès lors de comprendre quels peuvent être les inconvénients d'une stomatite, qui devient plus facilement encore ulcéreuse dans de semblables circonstances.

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Dans tous les cas, rien n'est plus difficile à manier que les préparations mercurielles pour la cure de ces accidents, lorsque le traitement a été couronné de succès, il s'est longtemps fait attendre, et pendant sa durée, désespérante pour le malade et le médecin, l'un et l'autre. se sont vus nombre de fois sur le point de n'en plus rien espérer. Eh bien, l'iode, si utile dans les affections scrofuleuses, l'est beaucoup plus encore dans les accidents tertiaires de la vérole; et pour ex

primer ici en deux mots toute notre pensée, nous dirons qu'à mesure que la syphilis se transforme, le mercure perd de son action sur elle pour la concéder tout entière à l'iode; qu'à mesure enfin que cette transformation s'effectue, s'achève, l'iode perd également de son influence.

Ainsi il est incontestable qu'une exostose, une carie syphilitique, une ulcération de la gorge, reconnaissant cette même cause, guérissent beaucoup plus vite et plus sûrement par l'iodure de potassium, que de semblables symptômes dus à une constitution franchement scrofuleuse.

Depuis que je donne les préparations iodurées à cette période de la syphilis constitutionnelle, je n'ai vu qu'un seul cas d'ulcération de la gorge dans lequel cette médication ait échoué; mais c'était chez un jeune homme scrofuleux par excellence, qui n'avait jamais eu d'antécédents syphilitiques, et chez lequel un traitement mercuriel, suivi religieusement pendant deux mois, n'avait pas peu contribué à le mettre dans un état déplorable.

Chez quelques malades, la guérison définitive s'est fait longtemps attendre; mais, dans ces cas, nous avons toujours eu affaire à des complications du côté des os. Toujours est-il que, sous l'influence de cette médication, on voyait les os du nez, de la face, ramollis, désunis, mobiles, les uns sur les autres, reprendre de la consistance, les suppurations osseuses se tarir, l'élimination des séquestres se faire, cette puanteur repoussante qu'exhalent les malades disparaître, et surtout la cicatrisation des parties molles ne pas se faire attendre. Bien entendu que, dans les cas où des séquestres se forment, on doit emprunter à la chirurgie tous les moyens qui peuvent faciliter, par leur élimination, la cicatrice de la plaie osseuse que leur présence rendrait intarissable de suppuration.

Je ne dirai rien de l'action physiologique des préparations d'iode, elle est trop bien connue. Je me suis déjà occupé des troubles fonctionnels qu'elles peuvent produire ; je n'aurais donc plus rien à ajouter, si le fréquent usage que j'en ai fait ne m'avait fait apporter quelques modifications dans son mode d'administration. Et d'abord, ma formule ne contenait, pour 90 grammes d'eau distillée, que 50 centigrammes d'iodure de potassium; maintenant, au lieu de le donner dans une potion, je trouve son administration plus facile dans un pot de tisane de saponaire ou de houblon. On peut, sans s'exposer au moindre accident, commencer d'emblée par un gramme et même deux : je suis arrivé à en faire supporter facilement 8 et 9 grammes par jour, et presque tous mes malades, au bout de quelques jours, arrivent à en prendre

5 et 6 grammes. Administré ainsi à une dose aussi élevée, l'iodure de potassium doit être dissous dans une assez grande quantité de liquide pour que cette tisane n'acquière ainsi qu'une amertume assez légère et une saveur iodée très-supportable; ce qu'on n'obtiendrait pas en l'administrant sous forme de julep ou de potion.

Des doses semblables pourraient paraître d'autant plus exagérées, qu'il est écrit que ce corps agit comme un violent toxique à la dose de 4 grammes; eh bien, j'affirme que les faits sur lesquels je m'appuie sont nombreux, et que toutes les précautions ont été prises pour acquérir la certitude que les malades le prenaient exactement.

Voilà pour ce qui concerne la médication interne ou générale des accidents tertiaires; mais dans les ulcérations de la gorge et des fosses nasales, comme aussi pour le pansement des surfaces cutanées ulcérées, on doit aussi conseiller, comme médication, une solution de teinture d'iode pour injection, lotion ou gargarisme. Ma formule contenait de 3 à 6 grammes de teinture d'iode pour 250 grammes d'eau distillée. Mais nous savons que l'eau ne dissout guère que, de son poids d'iode; aussi ce dernier corps se précipite-t-il presque entièrement quand on a opéré le mélange de l'eau et de la teinture alcoolique, et la liqueur, quoique légèrement alcoolisée, ne contient pas la quantité d'iode qu'on voulait faire agir; mais ce n'est pas là le seul inconvénient : l'iode précipité vient s'appliquer à l'état solide sur les surfaces ulcérées sur lesquelles il agit comme escharrotique, ce qui peut être grave. On peut très-facilement obvier à cet inconvénient en ajoutant dans la liqueur une certaine quantité d'iodure de potassium. Ce dernier jouit par excellence de la propriété de dissoudre l'iode; ajoutons ici que l'iodure de potassium nous a semblé, dans une foule de circonstances, agir d'une manière plus efficace que l'iode lui-même, sans doute par le seul fait de la grande solubilité qui rend son absorption plus facile. Ainsi, voici la formule pour les lotions, gargarismes, etc., que j'ai adoptée : Prenez Eau distillée. 250 grammes.

:

Iodure de potassium.
Teinture d'iode.

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On pourra successivement élever la dose de la teinture d'iode pour la même quantité de liquide, mais à la condition d'augmenter proportionnellement l'iodure de potassium; car il ne faudrait pas croire que l'iode soit soluble en toute proportion dans l'eau qui contient de l'iodure de potassium. Les expériences de Baup, sur les iodures potassiques, nous ont en effet appris que lorsqu'on fait macérer de l'iode dans une solution de proto-iodure de potassium, on obtient, en filtrant la liqueur, au bout de quelques heures, une solution d'un brun foncé qu'on

ne peut ramener à l'état solide par l'évaporation, et qu'on peut impunément étendre d'une grande quantité d'eau. Cette solution renferme un composé bien défini de bi-iodure de potassium.

Que si, au contraire, on faisait macérer de l'iode dans une solution très-concentrée d'iodure de potassium; on obtiendrait un tri-iodure qui, traité par l'eau, se décompose en iode qui se précipite et en biiodure qui demeure en solution.

C'est donc toujours une solution dans l'eau de bi-iodure de potassium que l'on obtient, lorsqu'on sature ce dernier corps au moyen de la teinture d'iode.

Ainsi traitées, les ulcérations guérissent assez vite; il en est qui, ayant résisté des mois entiers aux mercuriaux, se sont cicatrisées en moins de quinze jours. Ainsi, d'après un relevé fait dans mon service, par M. Hélot, mon interne, le minimum de la durée du traitement local a été de huit jours, et ce ne fut que dans des cas fort rares, et tout à fait exceptionnels, qu'on se vit obligé de prolonger cette médication topique au delà de la cinquième semaine.

On doit, et j'insiste sur ce point, continuer longtemps après la disparition du symptôme tertiaire, quel qu'il soit, l'usage de l'iodure de potassium, pour opérer plus sûrement dans l'économie la modification nécessaire pour prévenir les récidives. On peut continuer cette médication avec d'autant plus de sécurité, que cette préparation active d'une manière tellement énergique les fonctions digestives, que les malades qui en font usage se contentent à peine de la portion entière d'aliments, tant ils sont travaillés par un appétit dévorant; aussi les voit-on se refaire et s'engraisser rapidement,

Je suis tellement persuadé de l'efficacité des préparations iodurées dans le traitement des accidents tertiaires, leur administration est suivie de si heureux résultats, que je ne crains pas de les proposer comme spécifiques de cette période de la syphilis constitutionnelle, et peut-être comme prophylactique de ces mêmes accidents, alors qu'on a fait disparaître par un traitement mercuriel les accidents secondaires. Mes succès ont été déjà si nombreux, si constants, que je ne crains plus de promettre la guérison, et une guérison souvent rapide, des désordres qui, il y a quelques années, faisaient mon désespoir.

Ph. RICORD.

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