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main ces divers symptômes persistent, et le troisième jour après l'apparition de ces graves accidents, le malade succombe. Nous allons indiquer succinctement les résultats les plus intéressants qu'a fournis l'autopsie: la muqueuse qui tapisse le grand cul de sac de l'estomac est épaissie, en même temps très-friable, le grattage l'enlève comme une pulpe. Le reste du ventricule présente une teinte ardoisée générale avec pointillé rouge, fin, sans changement de consistance, une ligne comme mathématique sépare ces deux ordres d'altérations. Dans toute l'étendue de l'intestin grêle, un grand nombre de plaques légèrement saillantes, et injectées pour la plupart entre ces plaques la muqueuse est pâle, à l'exception des deux derniers pieds de l'intestin, où cette membrane elle-même présente une rougeur vive: çà est là quelques ecchymoses sous-muqueuses ayant la dimension d'un pois. Quelques articulations des doigts ne présentent autre chose qu'une infiltration légère avec un peu d'injection autour et en dehors d'elles. Dans l'une de ces jointures le cartilage est un peu rouge; dans une autre la cavité synoviale est remplie par un liquide jaunâtre, glutineux, qui, par sa couleur et sa consistance tout à la fois, rappelle le mélicéris. Dans l'articulation du poignet gauche, même liquide glutineux; de plus, usure notable du cartilage; dans l'articulation tibio-fémorale, synovie un peu épaissie, en même temps usure comme ailleurs d'une portion du cartilage.

Bien des remarques pourront être faites sur cette intéressante observation; bornons-nous à celles qui se rattachent immédiatement à l'idée pratique sur laquelle roule principalement le travail. Certes, s'il est un cas propre à faire sentir combien il est facile d'outrepasser le but en thérapeutique, c'est celui que nous venons de rapporter. Suivons un instant la marche des accidents : lorsque la dose de trois gros fut atteinte, l'état du malade ne différait en rien de ce qu'on observe lé plus ordinairement en pareille circonstance; les seuls symptômes constatés alors sont quelques coliques accompagnant trois selles liquides. Du côté du système nerveux, rien n'apparaît qui indique même la plus légère influence exercée sur lui par le médicament mis en usage. Visà-vis d'une tolérance si marquée, il était certes bien permis d'augmenter la dose du colchique, comme on l'a fait; voyez cependant ce qui est advenu. Les symptômes les plus graves se sont immédiatement déveJoppés (ils rappellent parfaitement une véritable intoxication cholérique), et en quelques jours la vie s'éteint sous le coup de cette agression funeste.

Dans le même temps où nous observions le malade dont nous venons de parler, nous suivions aussi l'observation d'une jeune femme placée

dans le même service, atteinte également d'un rhumatisme sub-aigu et soumise au même mode de traitement. Chez cette femme, on s'élève successivement jusqu'à 12 gram. (3ijj); à cette dose, le colchique détermine onze selles assez abondantes; mais ici heureusement le système nerveux montra, par des phénomènes tranchés, l'influence qu'il exerçait de la part du modificateur employé. Ainsi la malade accuse une céphalalgie assez vive; elle éprouve de forts étourdissements; lorsqu'elle ferme les yeux, il lui semble qu'on l'entraîne dans son lit; insomnie; réveil en sursaut, et immédiatement sorte d'étonnement durant lequel il lai semble qu'elle est entraînée. Du reste nous dirons que, dans ce cas, le colchique paraît avoir exercé une influence heureuse sur la marche et la durée de la maladie, car, en quelques jours, cette femme fut notablement soulagée, et bientôt elle put quitter l'hôpital dans un état parfait de santé. Si l'on voulait essayer de remonter aux causes qui ont fait que la même substance s'est comportée d'une manière si différente dans les deux cas que nous venons de mettre en parallèle, il scrait facile de résoudre la question par un mot, comme on le fait si souvent en médecine: il nous suffirait de faire intervenir l'idiosyncrasie; mais nous pouvons ici atteindre à quelque chose de plus palpable et de plus réel. Nous croyons que l'âge différent des malades peut, en grande partie au moins, expliquer la différence des résultats en même temps que les vieillards offrent aux causes de maladie une force de résistance vitale moindre que celle que présentent les adultes dans les mêmes circonstances, ils répondent moins fortement et moins vite à l'action des agents perturbateurs. Nous croyons que les choses se sont ainsi passées dans les cas que nous avons rapportés : chez la jeune femme, il y a eu réaction rapide contre l'agent perturbateur introduit dans l'économie, par conséquent indication claire et évidente de suspendre l'emploi du moyen dès qu'il devenait nuisible; chez le vieillard, au contraire, cette contre-indication ne s'est montrée que quand déjà il n'y avait plus assez de force de réaction dans l'organisme vivant pour éliminer l'agent morbifique, ou s'affranchir d'une manière ou d'une autre de son influence funeste. On tire de là une conséquence pratique importante, et qu'on ne doit jamais perdre de vue: c'est qu'il faut apporter la plus grande circonspection dans l'emploi de certains agents thérapeutiques chez les vieillards, et surtout surveiller leur mode d'action avec l'attention la plus sérieuse, parce que les contreindications s'expriment en général d'une manière peu tranchée à cette période de la vie, et que, quand celles-ci apparaissent nettes et prononcées sous la forme d'une réaction puissante, souvent alors il est trop tard pour y porter remède.

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Nous terminerons ici les réflexions que nous voulions présenter sur un point de thérapeutique important nous eussions pu les allonger beaucoup plus; nous avons préféré mettre sous les yeux du lecteur quelques observations qui parlent un langage qui est entendu de tous; les faits ne sont point tous dans la science, mais ils sont un de ses éléments les plus importants. Quand il s'agit surtout, comme ici, de choses qui vont droit à la pratiqué, il faut charger les faits d'une partie de la besogne.

CONSIDÉRATIONS PRATIQUES SUR LES ACCIDENTS TERTIAIRES DE LA SYPHILIS CONSTITUTIONNELLE, ET EN PARTICULIER SUR LES ULCÉRATIONS DE LA GORGE ET SUR LEUR TRAITEMENT PAR L'IODURE DE POTASSIUM.

PAR M. RICORD.

Si on consulte les ouvrages des syphilographes les plus justement estimés, on y trouve un vague, une confusion prodigieuse; il semble que la syphilis constitutionnelle, toujours irrégulière et insidieuse dans sa marche, ait dû nécessairement échapper à une description méthodique, et pourtant il n'en est pas ainsi; pour l'observateur attentif, qui ne laissera échapper aucun des anneaux de la chaîne qui unit le premier accident de la syphilis constitutionnelle à ses dernières et épouvantables manifestations, il y aura dans toute la série, un ordre, une régularité incontestables.

Ainsi l'induration du chancre, sa transformation in situ en tubercules muqueux, la chute des cheveux, les engorgements ganglionnaires cervicaux, la manifestation des diverses éruptions secondaires, les douleurs ostéocopes, les périostoses, les exostoses, les gommes, les caries, les nécroses, les ulcérations profondes, quel qu'en soit le siége, tous ces symptômes sont liés entre eux par des conditions d'évolution telles, que l'un ne puisse pas précéder ou suivre indifféremment l'autre. De l'étude approfondie de cette succession nécessaire des divers symptômes, il en est résulté pour moi une division fort importante à établir dans la syphilis constitutionnelle, dont les accidents sont secondaires ou tertiaires du chancre primitif.

Dans un précédent article publié dans le Bulletin de Thérapeutique, année 1839, t. xvII, p. 21, je me suis expliqué sur ce qu'on devait entendre par symptômes secondaires et tertiaires. J'ai dit leurs caractères spéciaux, leur siége ordinaire, leur ordre de succession..... Sans vouloir entrer aujourd'hui dans le détail des diverses causes idiosyncrasiques, hygiéniques ou thérapeutiques qui peuvent interrompre cet

ordre, cette succession, je dois dire toutefois qu'une des causes ies plus fréquentes de la combinaison des accidents secondaires et tertiaires est, sans contredit, un traitement mercuriel irrégulier et incomplet. Ainsi c'est un fait acquis à la science que, sans traitement mercuriel, le chancre induré donne presque nécessairement lieu au développement d'éruptions secondaires, et cela dans les six semaines, deux ou trois mois qui suivent l'apparition du chancre primitif. Mais aussi un traitement mercuriel, suivant qu'il est plus ou moins complet, retarde seulement ou empêche définitivement les manifestations secondaires. Dès lors, on conçoit qu'une éruption, ainsi retardée, puisse rencontrer les conditions nécessaires à son évolution, alors que les symptômes tertiaires peuvent se

montrer.

Dans les cas où, par un traitement mercuriel régulier, on a pu soustraire le malade aux accidents secondaires, si dans la suite il survient des manifestations tertiaires, c'est que le mercure, très-puissant dans le second âge de la syphilis, n'est qu'un modificateur bien infidèle de l'économie, au point de vue prophylactique des accidents tertiaires; nous verrons tout à l'heure combien plus infidèle eucore il se montre dans le traitement de ces mêmes accidents une fois manifestés.

Aussi n'a-t-on pas manqué d'attribuer, mais à tort, comme je ne me lasserai jamais de le répéter, à ce médicament ces tardifs et formidables accidents de la syphilis constitutionnelle.

Tous ces reproches graves qu'on adresse au mercure s'évanouiront lorsqu'on sera bien fixé sur ce qu'on a droit d'en attendre, lorsque les cas auxquels il convient seront bien déterminés. Ainsi le mercure, pour le moins inutile dans le chancre primitif non induré, quelquefois nuisible en faisant passer le chancre simple à l'état d'ulcération phagédénique, devient nécessaire pour prévenir les accidents secondaires lorsque le chancre s'indure, ou pour les guérir lorsqu'ils se sont déjà manifestés. Dans le traitement de la syphilis constitutionnelle, on doit se proposer deux choses: 1o faire disparaître l'accident actuellement existant; 2o prévenir les récidives. Eh bien, le symptôme peut disparaître de lui-même spontanément, avec ou sans mercure, mais je suis convaincu que la médication mercurielle est incontestablement celle qui met le plus heureusement le malade à l'abri des nouvelles manifestations secondaires qui pourraient se faire, celle aussi qui, bien administrée, amène la guérison la plus rapide. Ainsi les préparations mercurielles, si efficaces dans les formes secondaires, qu'on doit toujours les regarder comine spécifiques, ont une action tellement peu sûre, si incertaine dans la période tertiaire, que si, dans quelques cas, elles sont encore utiles, souvent aussi elles ont déterminé des accidents formida

bles; ce qui n'a pas manqué de les faire regarder comme les uniques causes de toutes ces exostoses, ulcérations, caries, nécroses... si fréquentes dans ce troisième âge de la syphilis. Pour être juste envers un médicament, qui, après tout, rend de si importants services à la thérapeutique, sans lequel il n'y a pas de médecine antisyphilitique possible, on doit dire que souvent on exige trop de lui; que, comme je le disais tout à l'heure, nécessaire dans la période secondaire, souvent utile dans la période tertiaire, plus souvent encore très-nuisible dans cette dernière, on n'aurait plus de reproches à lui faire si, dans son administration, on savait le bien conduire, s'arrêter à temps, l'associer aux préparations iodurées, et, dans certains cas bien tranchés, les lui substituer tout à fait.

Nous avons dit que souvent il y avait combinaison des symptômes secondaires et tertiaires; que les premiers peuvent très-bien s'interrompre pour reparaître ensuite, se continuer souvent pendant toute la durée des symptômes tertiaires, et même leur survivre quelquefois ; toujours est-il qu'à la troisième période la syphilis perd de sa physionomie spéciale, et nécessite également un traitement spécial. Car, outre ces profondes modifications pathologiques, dues incontestablement au séjour du virus syphilitique dans l'économie, il en est encore d'autres qui lui sont étrangères, et dont il n'est que la cause occasionnelle. L'observation prouve que les accidents tertiaires peuvent être encore sous l'influence de leur cause virulente, ou persister comme effets locaux, alors que cette cause a été détruite ou neutralisée par un traitement mercuriel antérieur; elle montre, dans une foule de cas, que le virus syphilitique, après avoir été la cause accidentelle de maladies étrangères, de scrofules, par exemple, peut cesser d'exister, ou persister seulement comme complication.

C'est donc à ce point de vue qu'il faut se placer pour bien diriger le traitement d'une maladie si complexe. Alors on se servira du mercure; et quand on aura obtenu tout ce qu'il peut produire, on lui substituera, et utilement, une autre médication complémentaire, si je puis parler ainsi, les préparations iodurées.

J'ai dit, dans l'article déjà cité plus haut, comment il fallait combiner le traitement mercuriel avec les préparations iodurées dans la période de transition des accidents secondaires aux accidents tertiaires. Je n'y reviendrai pas.

Si maintenant, après ces détails qui nous ont paru nécessaires pour bien établir la question, nous arrivons à l'étude des accidents tertiaires, nous leur trouvons une très-grande analogie, une similitude presque parfaite avec les scrofules, ce qui indique déjà suffisamment combien, TOME XIX. 1re LIV.

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