Page images
PDF
EPUB

COURIER FRANÇAIS,

Du DIMANCHE 11 JUILLET 1790.

ASSEMBLÉE NATIONALE du 10.

Décret fur la reftitution des biens des proteftans. Fixation des récompenfes fuivant les fervices rendus à la parrie.

NE lettre de la municipalité du Havre, loe au coma mencement de cette féance > nous a appris que M. de Jobal & M. Maffe de Tabago viennent d'adreffer à cette ville la procédure inftruite contre un foldat du bataillon de la Guadaloupe, avec l'accufé qui eft actuellement détenu dans les prifons du Havre, & elle ajoutoir que deux vaiffeaux Américains dépoferoient inceffamment dans fon pour la plupart des foldats de ce bataillon. La municipalité demandoit fur cela les ordres de la diere au gufte, qui a cru devoir renvoyer l'affaire au pouvoir exé Cutif, puis, M. de Marfanne a reproduit fa propofition, dont l'objet eft de faire reftituer aux non-catholiques les biens dont ils ont été injustement privés; & fur la rés daction, l'Affemblée a prononcé le décret fuivant:

[ocr errors]

» L'Affemblée nationale decrete que les biens des non» catholiques, qui font entre les mains de la régie, fe »ront reftitués aux héritiers, fucceffeurs ou ayant caufe » de ceux qui en ont été dépouillés, à la charge par » eux de juftifier de leurs droits par titres, fuivant les » règles qui feront inceffamment prefcrites par l'Affem» blée nationale ».

M. de Biauzat a fait part ici à l'Affemblée de quel ques réclamations, faites contre quelques uns de fes offe

ciers par le régiment de Royal-Marine, qui, en gar nifon à Clermont-Ferrand, eft prêt à partir pour l'île d'Oleron, qu'il confidere comme un lieu d'exil; & ces représentations ont été renvoyées au comité militaire. On a enfuite renvoyé au pouvoir exécutif une autre réclamation, faite par M. Begouen, contre un emprisonnement fait fans motif, à Bruxelles, de M. Madiere négociant du Havre. Puis, on a prononcé, sauf rédac tion, deux décrets, l'un fur le rapport de M. Vernier, & qui a pour objet l'exécution des rôles des tailles d'Eglife-Neuve de la Diar; & l'autre, d'après le rapport de M. Wolfins, & qui concerne les comptes à rendre par les élus généraux de l'ancien duché de Bourgogne.

M. Camus s'eft enfuite présenté à la tribune, pour y faire fon excellent rapport fur les penfions; mais plu feurs membres, & particulierement MM, Malouet, de Winffem & Emmery foutenoient qu'on ne pouvoit riên ftatuer fur ce grand objet, fans s'être concerté avec les comités militaire & de marine. M. Fréteau › en. en obfervant que le comité des penfions avoit provoqué inutilement des conférences entre le comité militaire & lui, ajoutoit que l'intérêt que pouvoient avoir, dans cette difcuffion, les marins & les militaires, n'empêchoit pas qu'on pofâr les principales bafes de la théorie des penfions; que le temps preffe pour faire cette opération; qu'il a fallu autant d'activité que de courage pour l'entreprendre? & que l'intérêt du royaume exige qu'on la finiffe promptement. M. Fréteau a terminé fon difcours par d'excellentes obfervations fur les déprédations fcandaleufes, auxquelles, dans l'ancien régime, nos finances étoient exposées.

>> On dit, s'eft écrié M. d'Ambly, que le comité militaire eft compofé de gens qui ont des penfions; je cersifie que non; ils font trop jeunes, & ils n'ont pas fait la guerre...... Je ne fuis pas né riche; il eft dur quand on n'eft pas riche; vous pouvez être affurés de cela. Sous l'ancien régime, on renvoyoit impitoyablement ceux des officiers qui n'avoient pas fait leur cour aux miniftres, ou la révérence aux infpecteurs. Avec vorre justice, pouvez-vous diminuer la penfion de ceux qui font déja malheureux. Vous avez plufieurs offi ciers généraux qui ont 70 ans, qui ont marié leurs enfans, fuivant le grade qu'ils ont; pouvez vous bouleverfer

tant de familles ? En confcience, dix millions ne fuffic fent pas...... M. d'Ambly alloir conclure, lorfqu'il a appris que le rapport qu'on alloit faire n'avoit pour objet que l'avenir, & il eft defcendu de la tribune, en dilaut que ces dix millions fuffiroient, parce qu'il n'y auroit plus d'abus, qu'un officier ne quittera plus fes drapeaux malgré lui, & qu'il faudra un confeil de guerre pour le déplacer.

M. de Champeaux a enfuite entamé le rapport de M. Camus. « L'Etat, difoit le rapporteur, a deux maa nieres de reconnoître les fervices rendus au corps fòcial, les récompenfes honorifiques & les graces pécuniaires. Les premieres conviennent mieux à la fierté d'une nation libre; les fecondes ne doivant être accordées que pour le foutien honorable du citoyen qui a bien mérité de la patrie, ou pour lui tenir lieu des facrifices faits à Purilité publique.

» Les récompenfes pécuniaires font de deux efpècess les traitemens annuels & viagers, connus fous le nom de penfions; & les gratifications paffageres & momenta. nées, qui s'accordent en confidération d'une perte, d'une bleffure, d'un accident grave, ou comme récompenfe d'une action diftinguée, d'un fervice éclatant. Pour mériter les unes ou les autres, il faut avoir, ainfi qu'on l'a déja dir, rendu fervice au corps focial.

"On ne doit pas confondre ce fervice avec celui qu'un individu rend à un autre individu, & qui ne peut être considéré comme intéreffant la fociété entière, qu'autant qu'il eft accompagné de circonftances qui en font réfléchir l'effet fur toute la nation. Cette confufion a été, la fource de bien des abus, l'origine de beaucoup de penfions encore exiftantes. Pour qu'elle ne puifle pas, en fe reproduifant, opérer le même effet, votre comité à déterminé d'une maniere précité ce qu'on devoir-entendre par fervices rendus au corps focial; il a défigné ceux qui peuvent prétendre aux bienfaits de la nation: il a rangé dans cette claffe le guerrier, l'administrateur, le magiftrat, le favant, l'artifte; il a enfin pofe pour prin. cipe, que tout citoyen qui a fervi, defendu, illuftré ou éclairé fa patrie, ou qui a donné un grand exemple de dévouement à la chofe publique, peur prétendre aux écompenfes honorifiques ou pécuniaires.

Après avoir ainfi diftingué les différentes manieres de

récompenfer un citoyen vertueux, les différentes espèces de fervices qui lui donnent des droits à la reconnoiffance de la patrie, nous avons proferit avec févérité, continuoit Le rapporteur, tous les moyens odieux, dont on s'eft fervi jufqu'à préfent pour perpétuer les graces dans les familles, enrichir les courtifans avides, & faire paffer la Tubitance des peuples par les canaux de la faveur & de l'intrigue, dans les mains impures des vils agens du despotifme ou de fes efclaves.

» Nous vous propoferons en conféquence de décréter, comme principe conftitutionnel, qu'à l'avenir aucunes penfions ou gratifications ne pourront être accordées à titre de réversibilité, d'indemnité, de dédommagement, de prix d'aliénation, & autres caufes femblables. Le fonds destiné aux penfions ne peut jamais fervir au paiement d'une dette contractée; & quand un citoyen fe prétend porteur d'un titre. fur le tréfor public, le fond deftině au paiement des dettes doit y fatisfaire. Quant à la temme & aux enfans de celui qui, dans le cours des fervices qu'il rend à fa patrie, eft enlevé par une mort précipi tée au milieu de fa carriere, fi fa mort les laisse fans reffource, une pension alimentaire à la veuve, une éducation publique & gratuite accordée aux enfans fupplée. ront au défaut de patrimoine.

« La réunion de plufieurs penfions fur un même india vidu étoit encore un vice de l'administration ancienne. Nous avons également profcrit cet abus, qui ne tendoit qu'à fe faire accorder partiellement ce qu'on auroit rougi de folliciter en maffe, & accumuler sur la tête d'un seul ce qui eût pu fervir à récompenfer dignement plusieurs citoyens vertueux.

» Nous avons jugé qu'une pareille profcription devoir être prononcée contre toutes les penfions que la faveur accordoir à ceux qui, employés au fervice de l'Etat, jouiffent des traitemens & appointemens attachés à leurs places. Nous avons, en conféquence, établi pour principe, qu'on ne pourroit en même tems avoir traitement & penfion, ni continuer à toucher fes appointemens fous Le titre de traitement confervé. Mais, en pofant cette règle, nous n'avons pu prétendre, meffieurs, imprimer à la nation une tache d'ingratitude envers ceux qu'elle Emploie, & qui, par quelque action d'éclat, quelgué fervice fignalé, fe rendroient dignes d'un bienfait par

ticulier. Alors, fi quelque circonftance impérieuse exige foit une recompenfe, foit des fecours, la nation doir fuivant la nature des pertes ou des fervices, & la pofition de ceux qui les auront fouffertes ou rendus, faire ufage des récompenfes honorifiques, des dons ou gratifications. Quelle que foir, dans ce cas la grace que l'Etat accorde, elle est toujours honorable pour celui qui la reçoit. La récompenfe honorifique eft moins onéreuse à l'Erat;elle rappelle d'ailleurs la loyauté de nos anciens & braves guerriers, qui préféroient à tout le don d'une écharpe, d'une épée, d'une armure, d'un cheval de bataille. La nature du don, le montant de la gratification, dépendront du mérite de l'action, du genre de fervicen & de la fituation de celui qui aura mérité la récompenfe: & quand les circonstances exigeront que cette gratification foit en argent, on en fixera la femme, de maniere qu'elle foit toujours en proportion de l'action, du fervice & du befoin ».

Après avoir propofé différentes autres confidérations, fur les penfions qui pourroient être acordées par le Roi fur la lifte civile, fur la quotité des penfions qui feront déformais accordées par l'Etat, fur le temps, la nature & l'efpece de fervices qui en feront les motifs, le rapporteur propofoit le décret fuivant qui a été prononce article par article, & tel,au cinquieme article près, qu'H avoit été rédigé par le comité.

» L'Aflemblée nationale, confidérant que chez un » peuple libre, fervir l'Etat eft un devoir que tout citoyen eft tenu de remplir, & qu'il ne peut prétendre de récom» penfe, qu'autant que la durée, l'éminence & la nature » de fes fervices lui donnent des droits à une reconnoiffance particuliere de la nation; que s'il eft jufte que, dans l'âge des infirmitées, la patrie vienne au » fecours de celui qui lui a confacré fes talens & fes forces, lorfque fa fortune lui permet de fe contenter » des graces honorifiques, elles doivent lui tenir lieu de » toute autre récompenfe, décrete ce qui fuit:

[ocr errors]

Art. 1.» L'Etat doit récompenfer les fervices rendus au corps focial, quand leur importance & leur durée méritent ce témoignage de reconnoiffance. La nation doit auffi payer aux citoyens le prix des facrifices qu'ils ont faits à l'utilité publique.

» Les feuls fervices qu'il convient à l'Etat de re

« PreviousContinue »