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COURIER FRANÇAIS,

DU DIMANCHE 29 AOUT 1790.

ASSEMBLÉE NATIONALE du 28.

Décret fur la ville d'Avignon. Discussion importante fur l'é miffion de nouveaux affignats. Décret fur la liquidation de la dette publique. Lettre du Roi à l'Affemblée nationale.

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A füite du rapport fur Avignon, fait par M. Tronchet, a feule occupé la féance d'hier foir. Après avoir rapporté dans un très-volumineux travail, tour ce qui s'eft paffé dans cette ville, à l'occafion de la révolution il a foutenu que la volonté du peuple avignonais, pour réunir à la France n'eft pas évidente, puifqu'il n'exifte aucune piece qui démontre la majorité des fuffrages qu'en fuppofant l'existence de cette majorité, on ne pourroit avoir égard à une délibération qui, précédée de troubles & de maffacres, porte les caracteres les plus frappans de l'illégalité; & que d'ailleurs la ville d'Avignon, formant une partie intégrante de l'adminiftration du Comtat, ne peur se réunir à une autre puiffance, fans le vœu du corps politique auquel elle appartient. A l'égard des prifonniers détenus à Orange, le rapporteur concluoit à ce qu'ils fuffent élargis provifoirement, à la charge par eux de garder la ville d'Orange pour prifon, & d'y refter fous la fauve-garde de la nation française.

Ce projet de décret, vivement foutenu par M. de Clermont-Tonnerre, a été attaqué par M. Bouche. On a remarqué dans l'opinion de celui-ci une allufion bien frappante à la fortune de M. Maury, dans l'hiftoire qu'il a rappellé d'un prêtre italien, nommé Zametto, fils d'un

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cordonnier, qui vint en France, où il acquit une fortune de deux fois huit cents mille écus. Si l'homme aux huit cents fermes eût au moins béni la terre qui l'a accueilli fi généreufement en arrivant du Comtat, cette fortune fcandaleufe pour un célibataire n'eût peut-être pas fi vivement affligé les honnêtes gens. Quoi qu'il ea foit du décret propofé par M. Tronchet, il n'en a été adque la difpofition fuivante; & le reste a été ajouroć. Les prifoniers avignonoi, détenus à Orange feront ,, élargis provifoirement, à la charge par eux de garder la ville d'Orange pour prifon; & il y feront fous la ,, protection & la fauve-garde de la nation française. Il jera auffi pourvu à leur nourriture

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A l'ouverture de la féance de ce matin, M. de la Rochefoucault, après avoir annoncé que le comité des impolitions pourroit faire demain fon rapport fur le ta bac, a dit qu'en exécution du décret du 6 août, la municipalité de Paris venoit de faire afficher l'estimation des biens nationaux qui lui ont été vendus, & d'indiquer les encheres pour lundi prochain. Il a deplus annoncé que plufieurs particuliers avoient renouvellé leurs foumiffions pour l'acquifition de ces biens, & il a propofé d'en décréter une nouvelle vente de 3,541,745 livres ; & cette propofition a été accueillie.

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Puis, M. de Gouy d'Arcy a ouvert la difcuffion fur les affignats; mais avant de développer fon opinion, nous devons reprendre celle de M. de Mirabeau. « Je dois, continuoit l'honorable membre, relever ici une imputation, dirai-je, une chicane faite aux affignats? Ce ne font pas eux qui ont produit la rareté actuelle de l'argent. Tant que la caiffe d'efcompte a fait les paiemens avec exacticude, le numéraire a été abondant. Dès qu'elle a pu tenir du gouvernement des titres d'infidélité, fous le nom de furféance, l'argent s'eft refferré, a eu un prix qui cha que jour s'eft augmenté. Avant la création des affignats les billets de la caiffe perdoient jufqu'à cinq pour cent. Joignez à cela que les délais des paiemens au tréfor public, font une caufe bien puiffante de la rareté du numéraire. Tel eft enfin l'effet de tant de circonftances que les marchandises abondent, & que les acheteurs foot

rares.

» Offrons donc des facilités qui rouvriront une circulation Interceptée; ne faifons pas le jeu de nos adverfaires, qui

ne demandent pas mieux que de nous jetter dans des em barras, & de nous offrir enfuire leur prudence meurtriere; me fuivons plus les erremens trompeurs de la caille d'ef compte. Faifons une opération générale qui ait pour but Ja tranquillité de l'avenir & l'avantage commun. Si les affignats peuvent conduire depuis un louis jufqu'à deux cents livres, on n'aura plus à les échanger que contre des affignats. Faifons une operation qui puiffe nous mettre à même de fatisfaire à tous nos créanciers. L'honneur de la nation est devenu le garant de la derte publique, nonfeulement dans fon enfemble, mais dans chacune de fes parties. Chaque créancier peut avoir des raifons de préfé rer la créance: ne faifons point de ces injuftices partielles qui n'accoutumentque tropaux grandes injuftices. N'ont ils pas déjà affez fouffert ? n'est-il pas temps de les acquitter 2

L'abyme eft ouvert, il s'augmente devant nous. Un nouveau fyftême d'impofition qui forlagera le peuple, peut L'effrayer d'abord; mille des embarras que nous avons éprouvés, peuvent renaître encore. L'hiver s'approche; le pauvre va bientôt se trouver entre toutes les rigueurs de cerre faifon & les malheurs des circonstances: que de befoins il éprouvera dans ces journées fi courtes & ces longues nuits! Il éprouvera le plus impérieux de tous, celui de fe plaindre, de s'agiter quand on fouffre, & ces agitations viendront jufqu'à nous ? Que ferons-nous ? quelles feront nos reffources? Aurons-nous encore celle de ces dons patriotiques, de ces facrifices généreux qui déja nous ont foutenus?

» Tout a été épuifé, tour ett englouti: la nation s'eft appauvrie, & le tréfor public n'a rien gagné. Je vois déja le miniftre des finances qui vient dolemment nous préfenter le tableau de nos miferes, & qui viendra nous propofer ces attermoiemens, ces éternelles fufpenfions de paiement, ces anticipations. Eft ce donc là, bon Dieu !, Loute fa fcience en finance! Sans ceffe vous verrez devant Vous ce malheur affreux dont vous êtes toujours menacés, & qui pourra enfin vous atteindre; ce malheur que je n'ofe nommer, tant ce nom vous révolte. Alors vous. Vous verrez forcés de revenir au plan que je propofe; vous braverez la honte d'avouer une erreur; pour fauver à la nation une honte éternelle. J'attefte la patrie que je n'au sai rien négligé pour parer ce malheur »

A la faire de ces réflexions, M. de Mirabeau concluoit

à rembourfer la totalité de la dette exigible en affignats. monnoie, fans intérêt ; à mettre en vente fur le champ la totalité des domaines nationaux, & à ouvrir à cet effet des encheres dans tous les diftricts; à recevoir en paiement des acquifitions les affignats, à l'exclufion de l'argent & de tout autre papier; à brûler les affignats à mefure de leur rentrée ; à charger le comité des finances de préfen. ter un projet de décret & une inftruction pour mettre cei opérations en activité le plutôt poffible.

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M. Necker, dont on a lu le mémoire à la fin de la féance d'hier, n'étoit point du tout de l'avis du comité, ni de celui de M. de Mirabeau. Il penfoit, au contraire, qu'une émiffion confidérable d'affignats feroit fort dangereufe. » C'eft avec une peine infinie, disoit-il, que les manufacturiers que les marchands trouvent l'argent dont ils ont besoin ; 'eft avec une peine infinie que l'administration parvient à fournir le numéraire néceffaire à fes paiemens ; province eft dans le même embarras que Paris, Bordeaux, fans le fecours qu'il a reçu, n'eût pu faire face à fes engagemens. Pour réfoudre ces difficultés, il y avoit, felon lui, trois moyens : 1o. le produiz des impôts, ils fe verfent en affignats; 20. l'achat des espèces; ce moyen eft ruineux ; 3°. l'achat des lingots; c'est une spéculation qui devient forcée ; tandis que l'on tire ces métaux d'vn côté, il fort des écus de l'autre. Paffant enfuite aux moyens que l'Affemblée peut y oppofer, il obferve que les déerets pour le remplacement de la gabelle, ceux qui doi. vent fixer la dépenfe des départemens, ne font pas encore rendus ; que le produit des impôrs directs & indirects continue à s'affoiblir, & que rien ne permet d'espérer à l'avenir un meilleur fort. Une jufte frayeur s'em. pare des efprits, l'argent fe refferre, & au milieu d'une femblable crife on ne peut prévoir le terme des

malheurs.

M. de Gouy n'étoit pas de l'opinion du premier miniftre des finances ; & en embraffant le projet de M. de Mirabeau il oblervoit qu'il eft extrêmement urgent de retirer du commercè cette quantité innombrable depapiers morts qui ne fervent qu'à favorifer l'agiotage; que les affignats feront bientôt préferes au numéraire effectif, que ce fleuve limpide fecondera toutes les branches de notre induftrie; & que ce n'eft qu'à l'aide d'one nouvelle frabrication, qu'on pourra parvenir à vi

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vifier notre commerce & nos manufactures, Il a fini par montrer le plus grand étonnement du fiftême de M. Necker; ce ministre, difoit-il, qui n'a ceffé de nous propofer de petits moyens, de purs paillatifs, & qui en définitif ne nous offre aucuns moyens propres à liquider la dette publique. Si ce miniftre, a-t-il ajouté, a été le premier miniftre des finances, il doit être le dernier, parce que dans le fyftême des affignats, il n'y aura plus de finances, & par conféquent plus de miniftres des fi nances. M. de Gouy a conclu a une émission de deux milliards 400 millions d'affignats, fans intérêt, & qui feroient reçus par préférence à l'argent dans l'acquifition des biens nationaux. Cependant ; comme le fujet lui paroiffoit extrêmement important, il a conjuré l'Assemblée de l'ajourner à quinzaine.

M. Brillard Sarrafin n'a dit qu'un mot fur cette importante matiere; que fi l'on fabrique de nouveaux afsignats, ils perdront bientôt 30 pour cent, multiplieront les ennemis du bien public,& détruiront notre commerce, notre agriculture & notre conftitution. Ce n'étoit point là l'avis de M. Gouttes, qui a prononcé ces mots énergiques: » Nous avons des dettes; nous avons envie de payer; nous avons des fonds & point d'argent, que faire ? nous ne pouvons forcer nos créanciers à prendre telle ou telle portion de nos biens: il faut donc leur fournir les moyens de choisir.... On propofe de leur donner des quitances de finances; mais les porteurs de ces quittances qui auront l'appât de l'intérêt, les conferveront, & nos biens nous refteront; les peuples, qui continueront à payer cent millions d'intérêt pour une dette que nous pouvons éteindre, fe plaindront ; ils maudiront vos travaux & la conftitution. Vos affignats ne porteront point d'intérêt : car nous avons fait une grande fottife de leur en donner; mais avec eux on pourra acheter des terres, des maifons, des biens de toute efpece; cela vivifiera l'agricultue & ré. tablira les bonnes mœurs ; il faut d'ailleurs en fabriquer de moindre fomme que ceux qui exiftent, afin de fournir au pauvre le moyen d'acheter un petit morceau de terre qui avoifine la fienne ; car on n'eft jamais fi bon patriote que lorfqu'on poffede quelque chofe dans l'Etar.

M. Rewbell goûtoit affez l'opinion des affignats ; &,ea effer, il ne nous reffe aucun autre moyen de foulagerile

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