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COURIER FRANÇAIS,

DU DIMANCHE 22 AQUT 1790.

ASSEMBLÉE NATIONALE du 21.

Décret fur les baquers de Flandres. Autre qui met aux ar rêts pendant huit jours un membre de 1.Affemblée. Propos infame tenu par un autre membre, & qui eût pu avoir les fuites les plus fanglantes.

CETTE féance, qui, dans nos annales, donnera vrai

femblablement au 21 août 1790, la qualification de journée "des amendes honorables, a été plus pénible qu'orageufe, & tout auffi bonorable pour le patriotisme que décourageante pour les ennemis de notre conftitution. M. Merlin l'a qu verte par un décret qui ordonne que,jufqu'à cequel'on ait pris l'avis du département du Nord, fur les réclamations élevées contre les droits de brélandiers de Dunkerque & les baquiers de Condé, les chofes demeureroient au même état où elles étoient avant le 4 août 1789. Puis M. de Champigny, & par fuite M. Malouet ont propafé différens articles, qu'on lira plus bas, fur le code pénal de la marine, qui ont été adoptés fans, prefque aucune réclamation. Enfuite, on a renvoyé au comité des impofitions, deux lettres, l'une de M. Lambert, & l'autre du .directeur des impofitions de Paris, fur les caufes qui fufpendent la perception des impôts; & au comité militaires, une autre lettre adreffée à M le préfident, fur quelques actes d'infubordination commis par le régiment de la Fere, en garnifon à Auxonne. Enfin, on a prononcé l'envoi au comité réunis, diplomatique, de marine &de commerce, pour en faire le rapport demain matin,

des réclamations faites par la régence d'Alger, au fujet de ce qui s'est paffé fur les côtes de la Provence, à l'égard de quelques vaiffeaux Algériens.

M. Goupil eft ici monté à la tribune, pour y dénoncer une production insensée de M. de Frondeville, qu'il venoit de diftribuer à la porte. Cette brochure, qui portoit pour épigraphe, ces mots : Dat veniam corvis, veniat cenfura columbas; cela veut dire en Français, que la cenfure pardonne aux noirs, tandis qu'elle développe toute fa févérité contre les gens paifibles, (Ce qu'on va lire juftifie parfaite. ment le premier membre de cette épigradhe) avoit pour titre Difcours prononcé par M. le président de Frondeville à l'Affemblée nationale, dans l'affaire de M. l'abbé de Barmond, & pour lequel il a été cenfuré. A la tête de l'avantpropos, on lifoit ces mots fcandaleux : « Ceux qui prendront la peine de lire mon discours, devineroient difficilement pourquoi je le fais imprimer, fi je ne me hârois de leur apprendre qu'il a été honoré de la cenfure de l'Affemblée nationale, &c.

M. Goupil s'eft vivement plaint de cette imprudence de M. Lambert, dit de Frondeville, & il demandeir qu'il fût obligé de reconnoître ou défavouer la publication & la diftribution de ce libelle. Le cul-de-fac des Doirs, a auffi-tôt réclamé l'ordre du jour; mais l'Affemblée a décrété qu'on n'y pafferoit pas, & qu'il y avoir lieu à délibérer. M. Lambert s'eft alors préfenté à la tribune, & y a déclaré qu'il étoit l'auteur du difcours dont parloir M. Goupil & de l'avant-propos qui le précédoit, & qu'il l'avoit effectivement fair diftribuer dans la falle.

Un tel aveu, fait avec une audace incroyable, a excité des fentimens d'indignation dans tous les efprits. M. Goupil s'eft fortement récrié contre la conduite indécente d'un repréfentant de la Nation, qui s'honore d'avoir été cenfuré par le corps légiflatif, & par la patrie elle-même dont cette diete augufte eft l'organe ; & il a conclu à ce que M. Lambert fûr déclaré, de fon aveu coupable d'avoir manqué de refpect à l'Affemblée .nationale, & condamné, comme tel, à tenir prifon pendant huit jours.

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Déla les noirs, dont quelques-uns avoient voulu plaifanter fur l'affaire, s'appercevoient qu'elle devenoit férieufe. M. de Bonnay s'eft efforcé d'en offrir l'odieux, en obfervant qu'il considéroit comme un grand malheur,

que la cenfure, la peine que l'Affemblée a regardé comme la plus grande, ne fût pas affez refpectée; que peutêtre l'Allemblée la prodiguoit trop legérement; que la conduite de M. de Frondeville étoit coupable, & qu'il appuyoit la premiere propofition de M Goupil; mais qu'on ne pouvoit fixer fes regards fur la feconde, jufqu'à ce qu'on ait terminé le réglement; & que, d'ailleurs, on fe rappeloit encore les réclamations qu'avoient exci tées la propofition faite de placer dans ce reglement la peine de la prifon.

Pour détruire l'avis de M. de Bonnay, M Alexandre de Lameth a cité l'exemple de l'Angleterre, dont le parlement fait auffitôt emprifonner ceux de fes membres qui lui manquent de refpect; & il ajoutoit que quiconque eût ainfi manqué à un arrêt du parlement, eût été bien plus griévement puni; que la peine doit être proportionnée à la gravité du délit ; que celui qui manque à l'Affemblée nationale, mérite un châtiment d'autant plus févere, qu'il réfifte à la nation entiére, à la volonté de tous; que depuis quelque temps, on s'eft fait le fyftême de dégra der l'Affemblée nation. ; qu'on n'y réuffira pas, parce que tous les citoyens favent qua, malgré les grands mouve mens qui agitent l'Affembiée nationale, le réfultat de fes délibérations affure, fon bonheur ; & , en appuyant la propofition de M. Goupil, il a conclu à la question préalable for celle de M. de Bonnay.

M. Maury, qui veut défendre toutes les caufes, & qui a le malheur de les perdre toutes, M. Maury, que perfonne n'a défendu tandis qu'il étoit dans les prifons de Péronne, a voulu s'opposer à ce que M. de Frondeville vifitât cet asyle; & il a débité en la faveur quelques phrafes qui n'avoient pas même le mérite du fophifme. Ce qu'il a dit de mieux, c'est qu'il n'entendoit pas juftifier l'expreffion très-impropre de M. de Frondeville. Puis il a obfervé qu'il ne falloit pas confondre le blâme, qui emportoit avec lui le caractere de l'infamie, avec la cenfure, qui n'est qu'une peine correctionnelle; & que ce n'eft pas fans une profonde douleur qu'il voyoit les repréfentans de la nation affimiler leur collégue à un homme couvert d'infamie.

M. Maury a enfuite ajouté que tous les citoyens, & furtout les repréfentans du peuple, doivent fans doute refpecter l'Affemb. nationale;mais qu'il est un grand intérêt,

telui de la liberté, dont il n'eft pas permis d'abufer; que terre liberté acquiert encore un nouveau dégré de latitude lorfqu'il s'agit d'un repréfentant du peuple françois; qu'au parlement d'Angleterre, on fe contente d'appeler à l'or➡ dre; qu'il eft fans exemple que ce corps légiflatif ait jamais fait conduire un de fes membres à la Tour; qu'au moins c'eftoujours par le résultat d'une procédure instru te; que jamais ce parlement n'a déployé fa puiffance, pour venger Ta gloire; qu'une loi à laquelle il s'affujettit, c'eft que tout délit verbal n'eft pas foumis à la vindicte publique; que le mot répréhenfible n'ayant pas été prononcé dans cette Affemblée, il n'appartient pas à un corps légiflatit de lui appliquer un châtiment ; que d'ailleurs il n'existe aucune loi nationale fur ce point ; qu'il eft permis à tous les citoyens de blâmer les décrets de l'Affemblée; que tout Français a le droit de les réfuter & de les combattre; qu'il feroit dangereux de faire des loix de cirtonftance; & que, tandis que ce qu'il a de plus refpectable en France n'a point reçu encore de réparation pour les abus de la preffe, on ne pourroit agir avec autant de févérité envers un repréfentant de la nation. » Je nuis peut-être à M. de Frondeville, a ajouté le dépuré de Péronne, par le zèle que je mets à le défendre; mais vous avezdécrétél'inviolabilité des membres de cerre Affemblée;& vous allez jetter M. de Frondeville dans une prifon; la nation vous écoute, elle jugera fi vous avez le droit d'exercer un tel acte de févérité ».

M. Peythion n'a dit que peu de mots pour démontrer au député de Péronne, qu'il s'étoit éloigné de cent lieues des fairs & des principes. Sur les faits, il a prouvé qu'à la » voix de l'orateur feul, un membre des communes d'Angleterre eft conduit à la Tour ; & fur les principes, il a montré au droit le délit national, la prévarication maniffefte, qui en pouvoit demeurer impunie, fans compromettre la dignité de l'Affemblée. M. Foucault, comme s'il eût éré queftion d'appliquer ici les difpofitions du code anglais, fourenoit de toutes fes forces qu'il n'en Eroit pas ainfi ; & que d'ailleurs, comme il n'exiftoit pas dans le notre une loi contre le délit en queftion, on devoit paffer à l'ordre du jour.

M. de Bouville, autre magiftrat Normand, a répété les mêmes maximes, & avec la même éloquence; mais M. de Frondeville, commençant à s'appercevoir, qu'il

pourroit bien faire Tous les frais de la fête, s'eft présenté modellement à la tribune, pour y déclarer qu'il n'avoi pas eu intention d'outrager l'Affemblée. Puis on a fermé la difcuffion. Enfuite, M. Malouet a tiré de fa gibbeciere l'un de ces mille & un projet de décrets que le R. P. Torremada lui a laiffés en mourant, par lequel il avouoit le délit de M. de Frondeville, & laiffoit à la génération future le fon de le punir dans celui qui le commettoit. M. de Bonnay s'eft empreffé de rendre juftice aux vues fages de M. Malouet, en lui faisant le sacrifice de sa propre motion. Malheureusement, M. Barnave a réclamé la question préalable contre ce projet, & bientôt un événement tout neuf l'a fait perdre de vue.

Tandis que l'on difcutoit ainfi, M. Maury voltigeoic dans fon cul-de-fac, agitant les bras, épuifant sa voix, menaçant Pierre encourageant Claude, & jetant par tout des regards terribles fur ceux qui ne prenoient pas part à fes mouvemens. M. de Faucigny, excité fans doute, par le maître descérémonies, s'est alors exprimé en ces termes : «llexifte une guerre entre la majorité & la minorité ; il n'y a pas d'autre moyen que de mettre le fabre à la main contre ces gaillards-là .... M. Barnave étoit encore alors dans la tribune ; & il s'eft borné à obferver que ce délit-là étoit trop affligeant, , pour que l'Affemblée ne chargeâr pas fon président de donner les ordres pour le faire affurer de la perfonne de celui qui venoit de le commettre.

M. de Frondeville a mieux fenti qu'aucun autre toute l'atrocité de l'apostrophe. Il s'eft précipité à la tribune, &a dit, les larmes aux yeux : « Meffieurs, je me furs cru coupable, & très-coupable, des qu'il a échappé à un‹ membre un mouvement de défespoir qui peut avoir les fuires les plus férieufes. Je me fuis cru coupable; je le fuis; je vous en coujure ! que la peine frappe entiérement sur moi ; je vous en fuplie! ceci peut avoir les fuires les plus défaftreufes; c'est moi qui en fuis caufe; je m'accufe aux yeux du public; je m'accufe aux yeux de l'Affemblée: je fuis au défelpoir ; je m'en impure tous les torts; ordonnez, je fuis prêt à me rendre ́en prifon; mais je vous en conjure; au nom de la patrie; ne puaiffez pas cette violence qui ef échappée à une tête exaltée: jetez les yeux fur moi; je ne puis vous diffimuler tous les mouvemens de mon coeur ; ils font

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