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COURIER FRANÇAIS

SUPPLÉMENT AU No. 225.

LES apanages remóntent, pour ainsi dire, au berceau

de notre monarchie; et, l'histoire de cet ancien abus détruit par l'Assemblée Nationale, ne sera point indif férente à nos neveux. Il est peu d'écrivains qui l'aient fait connoître avec autant de précision que M. Enjubault de la Roche; et c'est rendre un service bien essentiel à la postérité, que de recueillir les réflexions dont il a enrichi son rapport sur cette partie de notre ancien droit public.

« Il n'est aucune partie de notre législation, disoit M. Enjubault, qui ait éprouvé d'aussi grands changemens que celle qui a réglé le sort des enfans de nos Rois sous les trois dynasties. Il n'en est aucune sur qui le progrès des lumières ait obtenu une influence aussi marquée. Dans les premiers temps de la monarchie le droit d'aînesse, étranger aux lois barbares, étoit absolument inconnu. L'Empire se partageoit en autant de souverainetés, à peu-pris indépendantes, que le dernier monarque avoit laissé d'enfans. Cette premiere division étoit suivie de divisions nouvelles dans les différentes branches; et le Royaume des Francs, réduit en portions infiniment petites, se seroit bientôt anéanti, si la Fortune, plus sage que la Loi, n'avoit fait na tre des événemens extraordinaires, propres à détruire l'effet de ces morcellemens progressifs, en réunissant à plusieurs reprises tous les droits sur la même tête.

Sous les Capétiens, la souveraineté devint indivisible. Le fils aîné du Monarque régnant fut associé à la Couronne du vivant de son père, et les puînés n'eurent en partage que des Provinces que le régime féodal subordonnoit au chef de leur maison; mais, si l'on en excepte les droits souvent éludés de la Suzeraineté et l'obligation

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stérile de l'hommage, ils étoient vraiment souverains dans leur territoire, et la Loi salique, sans application à cet égard, ne les empêchoit pas de transmettie leur patrimoine aux filles. Il n'est de vous personne Messieurs, qui ne se rappelle, à ce sujet, la célèbre Mahaud d'Artois ; et chacun sait que le Comté de Dreux, donné en apanage en 1150 à Robert de France, quatrieme fils de Louis-le-Gros, n'est rentré à la Couronne que par l'achat qu'en fit Charles V des filles de Jeanne de Dreux arrieres-petites filles de Robert. Nous ne citons ce dernier exemple que parce qu'il prouve tout-àla-fois que les filles pouvoient succéder, et que les Apanagistes pouvoient vendre.

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» Louis VIII sentit le premier que ces démembremens multipliés, et dont l'effet étoit perpétuel, affoiblissoit la Monarchie, et qu'ils finiroient par l'anéantir. Il donna le premier exemple de l'apanage réversible à défaut d'hoirs. Cette heureuse innovation, adoptée par Philippe-le-Bel fut perfectionnée par Philippe-le-long; et Charles V qu'avant la révolution nous appelions Charles-le-Sage, en fit une loi de l'Etat.

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>> Cette loi, inspirée par une sage politique, fut accueillie avec transports, et elle n'a reçu jusqu'ici que de légères modifications. Sans nous attacher à la lettre de ce réglement, nous en avons pénétré l'esprit; il a servi de base à nos discussions; et pour procéder avec ordre, et obtenir un résultat complet, nous avons envisagé séparément le passé et l'avenir. Nous avons distingué les concessions possibles et purement éventuelles, des concessions déjà existantes. Par cette méthode, la question principale s'est divisée d'elle-même en deux branches. La première nous a conduit a exami ner si, sous le nouveau régime, il seroit encore concédé des apanages réels; la seconde, si on laisseroit subsister les anciennes concessions.

» La solution de la première partie de ce grand problême n'a éprouvé aucune dificulté, nous sommes unanimement convenus des principes, et nous sommes arrivés de front aux mêmes conséquences.

>>>Nous avons tous reconnu que la Nation unissant irrévocablement à son domaine le patrimoine de ses Rois contractoit par cela même l'obligation de fournir à leurs

enfans puinés une subsistance proportionnée à l'éclat de leur rang et à la splendeur de leur origine; que, comme tout autre débiteur, elle avoit le droit de s'acquitter de cette dette de la manière la plus convenable à ses intérêts, en leur abandonnant des jouissances foncières, ou bien en leur assignant des rentes annuelles sur le Trésor public.

>> Ces principes adoptés, nous sommes encore tombés d'accord qu'un traitement pécuniaire devoit, sous tous les rapports, obtenir la préférence: une foule de motifs, également puissans, semble devoir le lui assurer. Nous ne croyons pas pouvoir nous dispenser de vous en rendre compte, parce qu'ils sont indépendans des Décrets qui ordonnent la vente des biens domaniaux, et qu'ils doivent encore influer sur la solution de la seconde partie du problême. Autrefois les principaux revenus de la Nation étoient tirés de ses domaines; c'étoit sur-tout avec leurs produits que le Monarque fournissoit à ses dépenses personnelles, à celles de sa maison, et à l'entretien de ses enfans. Il étoit donc naturel, il étoit indispensable alors d'en détacher une partie, lorsqu'ils se marioient, pour fournir à leur subsistance et aux frais du nouvel établissement. Aujourd'hui les domaines ne forment qu'une très-mince portion du revenu public: Cette foible branche est même menacée d'une suppres sion totale. C'est avec les impôts que la maison du Monarque est, depuis long-temps, defrayée; ce sont eux qui fourniront désormais à sa liste civile. C'est de la même source que doivent sortir les traitemens annuels qui seront accordés à ses enfans.

» La concession des apanages réels présente d'ailleurs des inconvéniens capables de les faire à jamais proscrire. De grandes possessions territoriales sont toujours accompagnées d'une grande puissance; elles pourroient dans des temps malheureux, favoriser l'ambition et conduire à une indépendance dangereuse. Les apanages réels coûtent beaucoup à la Nation, et produisent peu à l'Apanagiste. Ils coûtent à la Nation, qu'ils privent de la totalité du fonds concédé ; ils produisent peu à l'Apanagiste, parce que les frais de régie et d'administration absorbent pour lui la meilleure partie du produit.

» S'il subsistoit quelques doutes sur la préférence due A a

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au traitement pécuniaire, l'établissement de la liste civile suffiroit pour les dissiper. Il seroit contre toutes les convenances d'accorder aux Princes des jouissances foncières, tandis que le Monarque, chef de leur Maison, seroit réduit à un simple traitement annuel; il en résulteroit un contraste choquant qu'une constitution sage peut difficilement admettre. L'uniformité des principes d'une bonne législation doit se communiquer a toutes leurs conséquences, qui n'en sont que des développemens. Nous bornerons ici nos réflexions, parce que vous avez d'avance résolu le problème, en ordonnant la vente d'une portion considérable des domaines nationaux, en affranchissant les autres de l'ancienne loi de l'inaliénabilité.

» Du reste, vos Comités ont pensé que tout ce que les loix anciennes avoient sagement établi pour les араnages réels, pouvoit s'appliquer à la rente qu'ils vous proposent de leur substituer; ainsi cette rente apanagère sera payée exclusivement à l'air é, chef de la branche, sauf les alimens dus à ses puînés. Elle s'éteindra d'ellemême avec la postérité masculine du Prince, premier concessionnaire; elle ne sera susceptible d'aucune hypothèque en faveur des créanciers de l'Apinagiste, qui ne pourront se venger que sur les arrérages échus de son temps. Cet affranchissement ne souffrira qu'une exception en faveur de la veuve, pour son douaire viager seulement; et encore cette exception sera bornée à la moitié de la rente; l'autre moitié sera touchée par le successeur, franche et quitte de toute dette.

«Quelques Membres des Comités réunis ont cru voir dans cette transmission une substitution fidui-commissaire, difficile à concilier avec les principes de notre Constitution. Ils n'ont pas fait attention que cette rente n'est point une propriété; qu'elle ne se transmet point à titre héréditaire; que le Prince qui la touche, la reçoit des mains de la Ñation et ne la tient que d'elle; qu'elle ne suit pas même l'ordre des successions; qu'en un mot, cette transmission, image de celle de la Couronne n'a rien de commun avec la substitution linéale.

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» Vos Comités réunis n'ont pas eru devoir prendre sur eux de fixer la quotité des rentes apanagères qui seront concédées à l'avenir. Cette fixation éloignée et

éventuelle doit porter sur des bases trop incertaines et trop variables. Elle dépend du degré de prospérité qu'atteindront un jour les finances nationales; de la quantité du numéraire que l'économie, les arts et le commerce doivent attirer dans cet Empire, de sa valeur comparée au prix des denrées, du nombre mê me des Princes qui seront alimentés par le Trésor public; elle tient enfin à une foule de circonstances qu'il ne nous a pas été donné de prévoir. En 1630 le produit des apanages fut porté à 200,000 liv. : cette somme, peut-être suffisante alors, seroit aujourd'hui bien au-dessous des besoins réels. Ces motifs nous ont déterminés à nous en reposer sur les Législatures qui seront alors en activité.

» La seconde branche du problême de droit public que vos Comités réunis ont eu à résoudre, a souffert de plus grandes difficultés. Lorsque, sous Charles V, les apanages réels furent soumis par une loi précise, à une perpétuelle réversion, cette innovation salutaire ne parut alors devoir opérer qu'une simple substitu tion, une espèce de majorat qui gênoit la disposition, sans altérer la propriété. Les Apanagistes continuèrent d'en exercer tous les droits; ils instituèrent comme auparavant, les Officiers de Justice; ils prirent les titres des Seigneuries dont on leur avoit abandonné la jouissance; ils firent et reçurent les fois et hommages.

» Ces usages se sont perpétués; ils se sont transmis jusqu'à nous. On pourroit se laisser séduire par lės apparences, et en conclure que les Princes apanagés sont vraiment propriétaires. Gardons-nous d'adopter cette opinion visiblement erronée : le Chef de la Maison régnante, simple administrateur des Domaines nationaux, n'a pu transmettre à ses puinés des droits plus éten dus que les siens. Il n'a pu leur conférer une propriété qui ne résidoit pas sur sa tête. Ils sont coinme lui, réduits à une simple jouissance essentiellement précaire et la Nation, dont les droits ne peuvent être altérés par des actes qui ne sont pas émanés d'elle, a conservé ces droits précieux dans toute leur plénitude.

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» La maxime que nous avons l'honneur de vous rappeler, n'est pas nouvelle. Chopin, l'un des premiers Auteurs qui aient écrit sur le Domaine, Chopin qui

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