Page images
PDF
EPUB

COURIER FRANÇAIS,

DU SAMEDI 31 JUILLET 1790.

ASSEMBLÉE NATIONALE du 30:

Veu des habitans d'Angleterre pour la paix. Décret fur l vancement aux grades militaires. Capture de MM. de Bonne Savardin & l'abbé de Barmont. Déménagement de M. le cardinal de Rohan.

LA

A lecture d'un difcours prononé par le docteur Price, dans une affemblée de la fociété de la révolution d'Angleterre, tenue à Londres, le 14 de ce mois, a ouvert la féance d'hier foir. Les fentimens de juftice & d'humanité, que refpire ce difcours, dans lequel on invite les Français à fe réunir aux amis de l'efpece humaine de l'Angleterre, pour déconcerter les projets finiftres des defpotes, ont été vivement applaudies; & M. Populus, en en votant l'impreffion, en a demandé une feconde lecture dans une féance plus nombreuse. M. Dufreifle, qui fair rarement de l'efprit, propofoit qu'on invitât cette focié té, qui doit être liée d'intérêt avec le parlement d'Angleterre, à lui demander les motifs de cet armement formidable qu'il vient de mettre en mer.

Mais M. Charles de Lameth, qui ne croit pas devoit fe permettre de plaifanteries, quand, de toutes parts, l'efpece humaine paroît être menacée par les tyrans, ob. fervoit que ce difcours renferme des motifs de confola tion pour les amis de la liberté en ce qu'il revele au monde le fecret des tyrans & le fecret des peuples, fecret qu'on a gardé trop long-temps, & qu'il eft bon que l'on

[ocr errors]
[ocr errors]

connoiffe d'un pôle à l'autre, que le difcours du miniftre des affaires étrangeres nous a affez fait appercevoir les projets des defpotes du mande; que la France eft l'épouventail de la tyrannie, & que c'eft pour cela que, dans le fein même de l'empire; les gens puiffans, qui paroiffent le plus prêcher la liberté, font ceux qui le prêtent le plus aux complots abominables que l'on trame journellement contr'elle; qu'on a le bonheur de trouver des amis des hommes dans la fociété d'Angleterre ; qu'il faut en profiter; qu'il eft temps d'établir entre l'Angle terre & nous des liaifons qui empêchent déformais les defpotes d'employer les peuples à leur tyrannie, & pour cimenter leur efclavage; qu'il faut faifir l'occafion de ce difcours, pour faire une adreffe au peuple anglais, & qui lui parviendra par l'organe de cette fociété; afin qu'on fache que ce peuple, autrefois notre rival, aujourd'hui notre ami, n'a point intention d'attenter à notre liberté, par l'armement qu'il vient de faire.

M. Rewbell, en répondant au farcafme de M. Dufreisle, obfervoit que le parlement d'Angleterre ne donneroit pas fon fecret à la fociété de révolution; & que d'ailleurs il ne croyoit pas qu'il fûr convenable de faire une adreffe au peuple anglois, mais feulement de charger M. le préfi. dent d'écrire une lettre de fatisfaction à cette fociété. M. Dupont a remarqué avec chaleur, que la motion de M. de Lameth n'eft ni digne de l'Affemblée, ni noble, ni fenfé, ni patriotique; que l'Angleterre n'eft pas gouvernée par un club, mais par un parlement ; que la fociété de la révolution d'Angleterre n'eft pas la dépofitaire des volontés nationales; qu'il eft des précautions d'une coute autre importance à prendre ; que les vaiffeaux anglais, unis à ceux des Hollandais, foat en mer, & paroiffent nous préparer des hoftilités que ce n'eft pas par des Hagorneries, mais par des actes de puiffance & de raison qu'il faut éviter les coups que cette nation veut peut-être nous porter, qu'enfin, l'Aemblée nationale ne peut correfpondre avec un club, mais feulement avec le parlement, qui eft l'Affemblée nationale d'Angleterre.

Ces difcuffions en font reftées-là; il a feulement été décrété qu'on reliroit le difcours du docteur Price à une autre féance. Puis on a introduit à la barre le fieur François Aude, ancien Carabinier, & connu fous le nom du général Ligonnier. Ce brave homme, âgé de foixante-dix

[ocr errors]

ans, & quarante huit ans de fervice, fe trouva, en 1747, à la bataille de Lawfeld. Le général anglois Ligonier, invefti par un détachement du corps des Carabiniers, fe plaça à leur tête, & les excitoit au combat, comme s'il eût été un capitaine français. Cependant, M. Aude voyant que M. Ligonier l'appeloit Cavaler, au lieu de Carabinier s'apperçut qui il étoit. Il l'arrêta prifonnier, & lui fic rendre les armes. Le général lui offrit de l'or, & un avancement rapide; mais M. Aude dit généreufement qu'il faifoit la guerre pour l'honneur & non pour de l'argent. Il remit fon prifonnier à M. Laugier, fon capitaine, & retourna combattre. Le généreux foldat, vive ment recommandé à Louis XV, en obtint une penfion de deux cens livres, qui, pendant fept ans, ne lui a point été payée.

Le généreux foldat, domicilié à Nangis, demandoit dans fon adreffe, une penfion pour alimenter fa vieilleffe, & l'Affemblée, après avoir rendu hommage à fa bravoure, par la bouche de fon préfident, & l'avoir fait placer ho→ norablement dans l'intérieur de la falle, a renvoyé la pé➡ tition au comité des penfions Puis, les officiers, dir de fortune, de Saint Domingue, ayant demandé l'exécution des décrets de l'Affemblee, fur l'admiffion aux emplois, fans diftinction de naiffance; M. Alexandre de Lameth a demandé que, pour éviter les abus qui fe commettent journellement dans les promotions militaires, i convient d'arrêter le cours de coure promotion, jusqu'à ce qu'on ait fixé les règles d'avancement; & il ajoutoit que M. Montmorin, major en second du régiment de Flandres, vient d'en être nommé colonel, à l'âge de vingt-fix ans. L'Affemblée a én conéquence rendu le déeret fuivant :

« L'Affemblée nationale décrete que le Roi fera fup» plié de furfeoir à la nomination de tous les emplois militaires jufqu'au moment très-prochain où l'Affemblée aura arrêté les difpofitions relatives à l'armement mili»taire.

» Décrete en outre que le président fe retirera dans le jour pardevers le Roi, pour porter à la fanction le » préfent décret »

Après avoir entendu à la barre MM, les députés da département de l'Héro, & ceux de Montpellier, M. le préfident a annoncé des dépêches intéreffantes qu'un

[ocr errors]

courier extraordinaire venoit de lui apporter de Châlonsfur-Marne. C'étoit la nouvelle de l'arrestation de M. de Bonne-Savardia, qui fuyoit en Alface, avec M. l'abbé de Barmont. Il paroît, d'après le procès-verbal dressé, le 28, par la municipalité, que M. Savardin, échappé des prifons de l'abbaye, s'est retiré à Athis, près Paris. Là, M. de Barmont l'envoya chercher, pour le ramener dans la maison, à Paris, vieille rue du temple M. de Bonne y eft refté plufieurs jours, fous le plus grand fecret. Il ne parloit à perfonne, pas même aux freres de M. l'abbé, qui feul pourvoyoit à fa fubfiftance. Cependant, telle a été la vigilance de M. Jullien, aide de camp de M. de la Fayette, qu'il le découvrit dans fon asyle, à travers une jaloulie, Il eût éré dès-lors arrêté; fì M. Jullien eût eu des pouvoirs fuffifans. Mais M. de Barmont étant parti, l'aide de camp, accompagné de M. Mestre, autre officier de la garde nationale de Paris, l'a fuivi jufqu'à Châlons, où, fecondés par le zèle de la garde nationale, ils ont fait arrêter MM. de Barmont, de Bonne & un fieur Eggff, confédéré d'Alface, que M. de Barmont avoit auffi placé dans fa voiture. Il paroît d'après le témoignage même de M. de Barmont, que la municipalité de Châlons a eu pour eux les plus grands égards; elle a dreffé inventaire de tous leurs effers; & à l'exception de deux paquets adreffés à M. le cardinal de Rohan, dont M. Eggff étoit dépofitaire, on n'a trouvé que du linge, & quelques volumes d'hiftoire. Voici la lettre que M. de Barmont écrivoit à l'Affemblée nationale:

» Meffieurs, j'ai été arrêté aujourd'hui dans la ville de Châlons-fur-Marne, ayant dans ma voiture M. le chevalier de Bonne-Savardin & un garde national d'Oberneheim. Je conçois fur le champ combien de foupçons peuvent s'élever fur moi. Je protefte qu'ils font tous faux. C'est à la feule fenfibilité que M. de Bonne a dû cet afyle, qu'il m'avoit demandé jufqu'à Strasbourg feulement. Je le lui ai d'abord refufé, fentant combien je me compromettrois en accueillant fa demande. Je lui ai dit enfin que ma voiture étoit toujours ouverte, que je ne l'en chafferois point. Le motif qui m'a déterminé eft fimple. M. de Bonne n'étoit plus entre les mains du comité des recherches. Le procureur de la commune ayoit fait fa dénonciation au Châtelet. Il n'étoit pas encora

[ocr errors]

(

[ocr errors]

au Châtelet, puifque le procureur du Roi n'avoir was conclu à le décréter, mais à une fimple information; ainfi, dans la rigueur des principes, M. de Bonne étoit libre. J'ai été touché de fon fort: qui ne Yeût pas été ama place? Je déclare fur mon honneur, & j'ai, je crois, prouvé combien il m'étois cher," que je n'avois jamais entendu parler de M. de Bonne avant qu'il s'adressât à moi pour cet objet. Il eft, dans cette affaire mille détails dont une lettre n'eft pas fufceptible. J'ai demandé à la municipalité de me remettre fur le champ à l'Affemblée nationale pour lui rendre compte d'une conduite qui lui manifesteroit des fentimens dignes d'être avoués, bien loin d'être corrompus. On a réfufé ma demande avant que l'Affemblée eût prononcé. Je la fupplie de me mander auprès d'elle. J'irai avec le con rage de l'innocence non pas me justifier ( je me fuis réellement compromis), mais diffiper des nuages incompatibles avec la générofité, motif de mon action. J'ar tendrai avec impatiance cette grace que j'ai le droit de demander comme votre collegue, il est encore un objet que je vous prie de ne pas perdre de vue. Le nommé Egg qui a été arrêté avec moi, ignoroit parfaitement quel étoit fon troisieme compagnon de voyage. If vint me demander uue place dans ma voiture pour retourner chez lui; c'étoit la premiere fois qu'il venoit à Paris. Il étoit membre de la fédération. A ce titre, & à la recommendation d'un membre de l'Af femblée, je me fis un plaifir de la lui offrir, je me fais un devoir de le défendre, quelque fingulier qu'il puiffe paroître à un accufé de devenir l'avocat d'un autre. Sa pofition doit vous intéreffer; je ne puis que rendre justice à la maniere dont la municipalité s'eft conduite à mon égard, fauf l'objet de ma requifition que je crois qu'elle ne pouvoit pas me réfufer; j'ai été traité avec toutes les marques de confidération, que je vous reporte comme en étant le but. Je fuis, &c. Signé, l'abbé de Barmon, député de Paris.

Le procès-verbal nous apprend, que M. Eggff a été reçu dans la voiture de M. de Barmont, à la priere de M. l'abbé d'Aymar; mais celui-ci, qui fentoit combien la circonstance étoit délicate, observoit qu'il avoit, fimplement prié M. de Barmont de fe charger de M. Eggff, qui lui avoit été spécialement recommandé par M. iç

« PreviousContinue »