Page images
PDF
EPUB

honorable, d'une action qui n'avait rien que de louable, et eut recours au crédit de Dumouriez, pour conserver son commandement. Le vieux maréchal de Luckner, peu habitué à feindre, refusa, il est vrai, de reconnaître d'autre maître que le Roi, mais il avait perdu tout empire sur ses troupes; les autres généraux, à l'exception de Lafayette, attendirent l'événement pour se décider.

Ce dernier qui avait sondé toute la profondeur du gouffre où les partisans de la monarchie constitutionnelle allaient être jetés, n'hésita point à se prononcer contre l'assemblée. Il fit arrêter ses commissaires à Sedan, mais ayant perdu le temps en délibérations, et n'ayant pas su électriser son armée au moment décisif, il fut destitué et mandé à la barre. Ce coup qu'il aurait dû prévoir, lui ayant enlevé une partie de ses partisans dans le camp de Vaux, il sentit dès-lors qu'il compromettait inutilement le petit nombre de bataillons qui lui était resté fidèle, et crut devoir chercher son salut dans la fuite. Espérant de retourner aux Etats-Unis qu'il avait si bien servis, il partit dans la nuit du 18 au 19 avec Latour-Mau- 19 août. bourg, Alexandre Lameth et Bureau de Puzy; mais arrêtés d'abord aux avant-postes autrichiens, comme prisonniers de guerre, et jetés ensuite comme criminels d'état dans les cachots d'Olmutz, ces martyrs de la liberté y expièrent d'une

manière cruelle leur amour chevaleresque pour les idées libérales.

La nouvelle de l'attentat du 10 août, produisit aussi sur les chefs de la croisade royale, des impressions bien différentes. Le duc de Brunswick en fut effrayé il n'augurait rien de bon d'une course dans un pays, dont la population était exaltée au point d'assaillir le palais de son Roi, de massacrer ses gardes, et de le tenir dans la captivité. Déjà, dans les conseils de Potzdam, il parut vouloir bannir de ses plans d'opérations, les espérances frivoles conçues par une noblesse présomptueuse. Il avait insisté pour agir avec des moyens proportionnés, en prenant les précautions d'usage, pour une guerre longue et difficile.

Instruit à son arrivée à l'armée, que le prince de Hohenlohe, au lieu de 50 mille Autrichiens n'en amenait pas plus de 18 mille, le duc mesura les dangers qu'il courait dans une entreprise dont les moyens diminuaient à mesure que les obstacles grossissaient, et en conçut de justes

alarmes.

Les émigrés, les ministres de Frédéric-Guillaume, et ce Monarque lui-même, voyaient dans ces excès du 10 août un motif de plus d'accélérer la marche, pour secourir la famille royale: la passion les aveuglait; le duc jugeait en chef d'armée. L'on n'écouta que pour la forme ses obser

vations, que les princes français et les courtisans qualifièrent de conseils pusillanimes, et le roi de Prusse flatté du titre d'Agamemnon qu'on lui donnait, décida de continuer son mouvement.

Le 20, l'avant-garde se porta à Villers-la-Mon- Les alliés tagne : l'armée suivit par lignes, et investit Lon- prennent Longwy. gwy. Le général Clairfayt prit poste à Piermont, sur la droite de la Chiers: son aile gauche à Cosne; la droite, au ravin qui s'étend depuis la place jusqu'à Granville.

La forteresse de Longwy est un hexagone bastionné, dont cinq demi-lunes couvrent autant de fronts; le sixième a un ouvrage à corne. La demilune du côté de la ferme de la Colombe, et celle de la porte de France, sont couvertes par des lunettes; la place, d'une petite étendue, a tous ses établissemens voûtés à l'épreuve de la bombe. Le mont du Chat, qui en est à 2 mille pas, la domine. Si cette hauteur était retranchée, Longwy serait susceptible d'une bien plus longue résis

tance.

Le gouverneur ayant répondu négativement à la sommation qui lui fut faite, le colonel d'artillerie Tempelhof (1) eut ordre de bombarder la ville. Le 21, à l'entrée de la nuit, il fit établir une batterie de 2 obusiers et 4 mortiers dans le ravin à gauche de la Colombe, et commença le feu

(1) L'Auteur de l'Histoire de la Guerre de Sept Ans.

25 aoôt.

qui dura depuis dix heures du soir jusqu'à trois
heures du matin : une obscurité profonde empê-
chait de calculer les distances: les pluies, qui
duraient depuis long-temps redoublèrent, le
temps était affreux, et il fallut discontinuer. Le
22, à cinq heures, l'attaque recommença; et, à
huit, malgré la vivacité du feu de l'assiégé, plus
de 300 bombes étaient tombées dans la place,
un magasin était la proie des flammes. Cependant
le désordre s'étant introduit dans la garnison
composée de 2 bataillons de volontaires et d'un
de ligne qui ne s'accordaient point entr'eux, le
commandant, homme faible, désespérant de
pouvoir prolonger sa résistance, accepta un peu
légèrement la capitulation qu'on venait de lui
offrir pour
la seconde fois : la garnison sortit le
24, et fut prisonnière.

La facilité de la conquête de Longwy, et la nouvelle de la fuite de Lafayette, ne firent qu'accroître les espérances des alliés. Si la défection commençait à se mettre parmi les chefs mêmes de la révolution, le découragement de l'armée française devait être à son comble; et le succès de l'invasion paraissait infaillible.

Quatre partis s'offraient au duc: 1o se jeter avec le gros de ses forces, sur l'armée de Lafayette, ébranlée par la fuite de son chef, et plongée dans la stupeur et le désordre; 2° se rabattre par la gauche, pour tomber sur Luckner, à Metz;

3o continuer sa course politique, en s'emparant sur-le-champ des défilés de l'Argonne; 4° rester au contraire sur la Moselle, pour s'y procurer une base solide, en faisant méthodiquement les siéges de Metz et de Thionville.

Sous les rapports stratégiques, comme sous ceux de la politique, le premier de ces partis était le plus convenable; on pouvait employer 30 mille hommes à observer Luckner et les places de gauche, tandis que 60 mille combattans eussent accablé l'armée sous Sedan, qui se trouvait alors sans chef, Dumouriez n'en ayant point encore pris le commandement. Cette manoeuvre eût été d'autant plus sage qu'en l'exécutant avec vivacité, on la terminait en dix jours, et rien ne s'opposait ensuite à ce qu'on reprit le chemin de Paris. Si l'armée française évacuait son camp, à l'approche d'une masse si formidable, on l'eût poursuivie avec impétuosité, et probablement entamée. Se jetait-elle dans une place? alors les alliés renonçant à toute autre considération qu'au grand intérêt militaire, eussent employé tous leurs moyens pour la contraindre à capituler, ce que le défaut de vivres eût rendu inévitable.

Une marche contre Luckner à Metz, éloignant l'armée alliée de la direction de Paris, n'eût mené à aucun résultat. Le troisième parti, celui de se diriger vivement sur l'Argonne, et de s'em

[ocr errors]
« PreviousContinue »