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Bandes de Marseillais

Paris.

Déjà les conspirateurs ne déguisent plus leurs desseins; ils disent hautement que le jour de la délivrance du peuple est enfin venu, qu'il faut défendre la liberté contre l'oppression et anéantir un pouvoir qui n'a plus rien de sacré, puisqu'il a violé ses engagemens.

Le peuple de Paris ne paraissant plus assez appelés à exalté pour se livrer aux excès que l'on méditait; des bandes de fédérés ramassés à Marseille et à Brest, sont appelées dans la capitale, pour y donner l'impulsion aux mouvemens. Les factieux avaient une tactique que les plus grands généraux n'eussent pas désavouée; ils savaient dans les émeutes, comme dans les attaques, que l'essentiel est d'avoir des têtes de colonnes sur lesquelles on puisse compter. La foule suit toujours les téméraires, et les hommes qui suivent le torrent, ne manquent jamais dans les grandes cités.

Journée du 20 juin.

Les Marseillais arrivèrent le 19 juin, et leurs adresses à l'assemblée ne laissèrent plus de doute sur les crimes qui se méditaient.

Le 20, des rassemblemens considérables se forment dans le faubourg Saint-Antoine; effrayée du rôle qu'on veut lui faire jouer, la multitude semble néanmoins frappée d'une morne stupeur. Ses chefs, au nombre desquels on remarque terre, dociles aux instructions de la Gironde, cherchent à l'étourdir en excitant son indignation contre le renvoi des ministres. C'est leur

San

réintégration, c'est la révocation du véto qu'ils prétendent obtenir. Cette troupe en grande partie armée de piques, précédée de quelques canons, se grossit à chaque instant de toute la populace qui accourt sur son passage. La garde nationale alarmée veut maintenir la tranquillité; mais elle ne reçoit aucun ordre, et tandis qu'on délibère, la foule des insurgés, semant partout l'épouvante, traverse une partie de la ville et touche aux portes de l'assemblée législative, qui, bien qu'elle fût le moteur de tout ce désordre, affectait d'y rester étrangère. Elle refusa même d'entendre les rapports des autorités administratives, déclarant que c'était faire injure au peuple que de se défier de ses démarches. Une députation vint lire une pétition aux représentans et obtint que cette multitude désordonnée fût admise dans la salle, où elle défila, en continuant sa marche vers le château des Tuileries.

On avait eu soin de n'y laisser que de faibles postes de garde nationale, qui se dispersèrent à son approche. Alors les portes sont forcées, le palais est envahi, et une pièce de canon est traînée jusque dans l'intérieur. Louis ne parut jamais plus grand que dans ce moment où l'on cherchait à l'avilir. Il ordonne qu'on ouvre ses appartemens, la foule s'y précipite, exigeant par d'épouvantables menaces la sanction des décrets de l'assemblée. Le Roi refuse, et les plus sanglans outrages

Suites de la journée du 20 juin.

ne peuvent l'ébranler. S'il protesta de son amour pour le peuple et de son attachement à la constitution; rien ne put lui faire promettre la révocation du véto. La touchante bonté qui le caractérisait désarma les plus audacieux. Ils allaient se retirer, lorsque Péthion parut inopinément dans le château, et d'un geste fit écouler en arrivant ce qui restait de cette horde turbulente. Cet homme qui avait plutôt le goût de l'intrigue que le génie de l'ambition, se croyait un homme d'état et un grand orateur, parce qu'il possédait les lieux communs révolutionnaires; il donna une explication assez embarrassée de son retard et de son imprévoyance, et se retira en bravant Louis.

L'issue de cette journée a laissé des doutes sur le véritable but des meneurs; mais s'ils ne cherchèrent pas à renouveler l'attentat du 6 octobre 1789, on peut croire qu'ils voulurent provoquer l'abdication du Roi, ou habituer, en l'avilissant, les esprits à sa déchéance; et tout porte à croire que le plan des Girondins ne différait guère de celui de la faction à laquelle ils succédaient.

Il s'en fallut peu que cette insurrection ne tournât au profit de l'autorité; le département de Paris qui était encore en grande partie composé de propriétaires et d'hommes recommandables, eut le courage de suspendre Péthion, pour n'avoir pas fait usage de la force armée, dont en sa

qualité de maire, il pouvait disposer pour réprimer cette sédition. L'impuissance de cette tentative contre sa personne, ayant rassuré Louis et rejeté l'épouvante dans le camp des Jacobins, le Roi fait proclamer qu'il ne cédera jamais à la violence. Une pétition revêtue des signatures de plus de 20 mille habitans de Paris, est présentée à l'assemblée législative, qui se tait et frémit: les signataires demandent que l'on sévisse contre les coupables, et des adresses rédigées dans le même sens sont envoyées de toutes les provinces.

auteurs

20 juin.

du

Lafayette se présentant à la barre demande fiè- Lafayette rement à l'assemblée, au nom de toute une armée demande la punition des indignée, la punition des auteurs de la journée du 20 juin. C'était adresser des menaces à des furieux qui n'en tenaient aucun compte. Il eût été plus prudent de diriger une partie de l'armée sur Paris; mais elle était en présence de l'ennemi, et il ne dépendait pas de son général de l'amener dans la capitale, en laissant Luckner et la frontière à la merci des Autrichiens; nous aimons à croire, que sans cette circonstance, il n'eût pas balancé. Au surplus on doit lui savoir gré d'une démarche qui l'exposait au ressentiment d'adversaires implacables. On assure d'un autre côté que rigoureux observateur des formes, il refusa de prendre part à un coup de main contre les Jacobins, qui loin d'en être reconnaissans, après avoir brûlé son effigie, le dénoncèrent

pour avoir quitté son poste et conspiré contre la liberté; Brissot osa même demander sa mise en accusation. Lafayette regagna ainsi son camp, allégé du poids de son ancienne popularité, dont la perte fut l'unique résultat de sa démarche.

Les Jacobins et la faction girondine qui marchaient alors de concert, ne tardèrent pas à reprendre cette sorte de courage qu'inspire toujours l'assurance de l'impunité : ils eurent recours à leurs moyens accoutumés, les libelles et les groupes séditieux; ils attaquèrent aussi de vive voix et par écrit, ce département de Paris qui avait eu la hardiesse de prononcer la suspension de Péthion; ils reprochèrent amèrement à l'assemblée législative, l'indifférence qu'elle avait montrée dans cette affaire. On répandait à dessein les nouvelles les plus sinistres; dans peu l'ennemi serait aux portes de Paris; il était urgent de déclarer la patrie en danger et d'aviser aux moyens de la sauver, puisque le pouvoir exécutif s'endormait au bord du précipice.

Dans de semblables conjonctures l'anarchie devait bouleverser la politique extérieure aussi facilement que l'ordre intérieur. Celle de Louis ne semble pas toujours sincère, car Bertrand de Molleville convient naïvement que toutes les espérances de son conseil étaient placées dans la marche victorieuse du duc de Brunswick. II y avait dès-lors deux pouvoirs dans l'état, l'un in

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