Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE XII.

Genève et avec la Suisse.

Démêlés avec

Affaires du comté de Nice.
Sardaigne.

Expédition de

INSTRUIT de la réussite de l'invasion du comté

Dispositions

de Nice, et convaincu que les troupes sardes des Suisses. rentreraient en Piémont à l'approche de l'hiver, le général Montesquiou ordonna aux généraux Rossi et Casabianca de s'avancer jusqu'au MontCénis et au Petit-Saint-Bernard, où ils parvinrent sans résistance. Dès-lors la Savoie entière se trouvait soumise, et la chute des neiges en assurait la paisible possession jusqu'au printemps. Cette circonstance vint fort à propos mettre le général français en état de tourner ses vues du côté de la Suisse, qui commençait à s'agiter.

L'invasion de l'évêché de Bâle, le désarmement du régiment de Wateville à Aix; et, plus que tout cela, le massacre du 10 août, avaient excité le juste ressentiment des cantons : le licenciement inopiné des douze autres régimens vint y mettre le comble. Malgré l'apparente neutralité

L'avoyer Steiguer veut la

guerre.

du cabinet britannique, et en dépit des assurances données par Brissot et Dumouriez des dispositions de l'Angleterre envers la République naissante, l'agent du cabinet de Londres près la confédération, ne manquait pas de tirer parti de l'aigreur des esprits. Ses insinuations, puissamment et ouvertement secondées par les ministres d'Autriche et de Sardaigne, et par l'influence que la cour de Vienne exerçait sur l'avoyer Steiguer, étaient sur le point de décider une rupture.

Ce président de la république bernoise, magistrat habile, énergique, mais passionné; voulait, contre l'opinion d'hommes plus calmes, tirer vengeance de l'affront fait au nom suisse. A la puissante raison d'honneur national, l'avoyer de Berne en ajoutait une autre qui le touchait de plus près, et qui était peut-être le véritable mobile de sa conduite : il savait que les habitans du pays de Vaud et de l'Argovie, justement mortifiés de ne jouir d'aucuns droits politiques et d'être sujets de la bourgeoisie de Berne, avaient accueilli avec enthousiasme les rayons d'espérance que la révolution française leur avait apportés. On que, si le tiers-état ne peut disconvenir en effet de France fut fondé à réclamer une part dans l'administration, ces deux provinces ne l'étaient pas moins à vouloir que la classe éclairée de leurs concitoyens, secouât des préjugés mille fois plus

vexatoires encore que les priviléges de la noblesse française, car celle-ci pouvait du moins s'ac quérir en servant bien l'état, tandis que les patriciens de Berne étaient à la fois plus exclusifs et plus orgueilleux

De tous les gouvernemens, le plus abusif est Abus de l'osans contredit celui qui donne aux bourgeois ligarchie. d'une seule ville, le droit de souveraineté sur un pays entier. Que penseraient en effet la noblesse et les citoyens de France et d'Allemagne, si les bourgeois de Paris et de Vienne prétendaient être souverains de ces peuples, et seuls susceptibles de remplir les dignités de l'état? De semblables abus ont pu s'introduire dans les siècles d'ignorance ou de féodalité; mais ils n'ont jamais résisté à la raison et aux saines lumières. Les fiers et redoutables Romains eux-mêmes, auxquels Montesquieu n'a pas craint de comparer le sénat de Berne, ne furent-ils pas obligés de concéder le droit de cité à la majeure partie des peuples

Latins?

Cette privation des droits les plus sacrés, paraissait d'autant plus pénible aux habitans des pays de Vaud et d'Argovie, que, nulle part, en Suisse, l'instruction n'est aussi généralement répandue que dans ces deux provinces (1); et que

(1) Nous ne prétendons pas que la ville de Berne soit moins

toutes deux ont fourni des hommes distingués par leurs talens et leurs vertus.

:

Le gouvernement de Berne, pour se justifier, vantait la douceur et la paternité de son administration les Vaudois et les Argoviens, au contraire, soutenaient que, s'ils jouissaient de la tranquillité, ils en étaient plutôt redevables à un concours de circonstances indépendantes de sa volonté, qu'à sa sollicitude. En effet, la neutralité dont jouissait, depuis deux siècles, le sénat de Berne, était moins le résultat de sa politique, que de la position géographique du canton et du système des grands états voisins. Si les impôts étaient modérés, c'est que cette neutralité dispensait l'état d'entretenir aucune troupe permanente les routes se réparant par corvée, les dépenses à la charge du fisc se réduisaient au salaire d'un très-petit nombre de fonctionnaires. Or, ces dépenses étaient si modiques, que, depuis plus de cent ans, l'excédant des recettes formait un capital assez considérable, pour que la rente seule suffit à l'acquittement des charges publiques; et que, chaque année, le trésor pût se grossir successivement du produit de l'impôt.

éclairée que le pays de Vaud il y a d'excellens administrateurs dans cette capitale; mais les habitans des campagnes sont moins instruits que ceux des nombreuses petites villes du canton de Vaud.

En examinant les choses de plus près, on voit donc que les pays de Vaud et d'Argovie, sous la sujétion du canton de Berne, ressemblaient à des fermes bien exploitées; mais, outre que le plus grand profit tournait à l'avantage du propriétaire, il y avait dans cette ferme des maîtres et des valets, et ce dernier rôle était le lot exclusif des Vaudois, abus qui ne devait pas manquer d'être renversé à la fin du 18° siècle.

et le

pays

tion dans le

Vaud.

Dès l'année 1791, des germes de mécontente- Fermentament s'étaient manifestés dans le de Vaud; canton de gouvernement avait été obligé d'employer la force pour les étouffer. Accusés de haute trahison, plusieurs Vaudois furent jugés par un tribunal suprême, et condamnés, les uns au bannissement, les autres à un emprisonnement limité. Le capitaine Laharpe, principal moteur, avait été condamné à mort par contumace (1).

Si cet acte de sévérité avait contenu l'effervescence, il avait aussi aiguisé les haines, et servi d'aliment aux passions. La conquête de la Savoie par l'armée française, parut offrir, aux Vaudois comprimés, l'occasion de secouer le joug: les esprits étaient exaltés, et nulle part,

(1) C'est le brave général de division Laharpe qui fut tué au passage du Pô en 1796.

« PreviousContinue »