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Un coup-d'oeil sur la carte d'Italie suffit pour indiquer que la chaîne des Alpes qui sépare la France du Piémont, forme de ce dernier pays un bassin demi-circulaire d'une défense avantageuse, puisque du point central de Turin, on peut faire face sur toutes les directions, en deux ou trois marches. Mais le duché de Savoie et le comté de Nice, situés au-delà des monts, aux versans du côté de la France, se trouvent comme des ouvrages détachés et d'autant plus compromis, que, pour les garder, il faudrait diviser l'armée. D'ailleurs les troupes ne peuvent y être entretenues, dans la mauvaise saison, en vivres et munitions, qu'avec d'énormes difficultés ; et les Français, tenant les points centraux de Grenoble, Fort - Barraux et Briançon, ont la facilité de tomber alternativement sur l'un et l'autre des corps isolés. Les mémoires rédigés depuis longtemps sur cette frontière, notamment ceux du maréchal de Berwick, étaient trop généralement répandus, pour que le gouvernement français ne fût pas éclairé sur les avantages que les localités lui assuraient dans une entreprise contre ces deux provinces.

Il savait aussi, qu'en les occupant et reculant sa ligne jusqu'aux sommités de la haute chaîne, il mettrait entre la France et le Piémont des barrières si difficiles à franchir, que l'influence des

Montesquiou forcé

sur le Rhin.

princes émigrés n'aurait plus d'action sur les départemens méridionaux.

L'invasion qu'on redoutait du côté de la Mod'envoyer selle, ou l'espoir que Victor-Amédée se bornerait une division à suspendre ses relations avec la France sans prendre l'offensive, fit différer, à ce qu'il paraît, l'exécution de ce plan de campagne. D'un autre côté l'espèce d'anarchie ou de lutte qui exista entre le pouvoir exécutif et l'assemblée, les changemens fréquens de ministère, la chute du gouvernement royal, furent autant de causes qui retardèrent la réunion des 30 mille hommes disséminés dans les garnisons ou les places du Midi. Lorsque Montesquiou fut parvenu à former le noyau d'une armée, il sollicita en vain l'autorisation d'exécuter le plan projeté. Le conseil préoccupé des dangers qui le menaçaient au Nord, loin d'obtempérer à sa demande, lui ordonna de détacher 10 bataillons à l'armée du Rhin et 3 à Dijon, ce qui retarda encore de quelques semaines l'expédition résolue et ajournée depuis si long-temps. Quelques observations faites par ce général sur le départ d'un détachement qui lui ôtait tout moyen d'opérer, provoquèrent, comme on l'a dit au chapitre VI, de nombreuses attaques de la part des Jacobins, et l'ordre de se présenter à la barre pour y rendre compte de sa conduite. On sait comment il s'en acquitta le 24

juillet, et le décret qui l'autorisa à requérir les compagnies d'élite des gardes nationales, pour remplir les vides occasionnés par cette mesure.

gardes

tionales.

na

Les départemens de l'Ain, du Gard, de l'Isère, Il la remdu Rhône, de la Drôme, lui fournirent à l'envi place par des plusieurs bataillons; et si ces braves, mal armés, peu instruits, ne purent être mis d'abord en ligne, ils servirent néanmoins d'auxiliaires précieux, et rendirent d'éminens services à l'armée.

est décidée.

Le général, sur ces entrefaites, ayant été joint L'invasion par ces nouvelles levées, et se voyant une seconde fois en mesure, sollicita, le 4 septembre, l'ordre de tenter l'invasion, et l'obtint du conseil. Par un rapprochement qu'il ne faut pas laisser échapper, cette résolution était prise au moment où l'ennemi partait de Verdun pour pénétrer dans l'Argonne. On a été assez généralement d'avis que dans ce moment critique c'était une témérité, et qu'il eût mieux valu différer l'expédition de quelques semaines, ou même de laisser des succès sur les points secondaires pour réunir sur les bords de la Marne toutes les forces disponibles; mais il ne faut pas oublier, que c'était immédiatement après les affreuses journées de septembre, à l'instant de la plus grande exaspération contre les Prussiens, et quand tout faisait présager que la levée des volontaires et des gardes nationales fournirait assez de ressources pour les repousser; en un mot, quand il était

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déjà trop tard pour appeler les troupes des Alpes au secours de Paris. Si le gouvernement commit donc une faute, on ne saurait disconvenir qu'elle est excusable, et dénote même plus d'énergie qu'on n'en eût attendu de sa part.

L'invasion fut donc ordonnée, et, pour en rendre le succès plus certain, Montesquiou crut devoir la faire précéder d'une proclamation rédigée dans le style usité de propagande, annonçant l'intention d'opposer à la ligue des rois, une ligue de tous les peuples. Elle eut quelque succès en Savoie, où les citoyens des villes étaient mécontens de la cour de Turin; ceux-ci, comme tous les montagnards, étaient disposés à épouser la cause de la liberté, parée alors de tous ses prestiges; il existait entre eux et les Français des rapports d'intérêt, que l'uniformité des mœurs et du langage rendaient encore plus intimes, et qui leur faisaient désirer depuis longtemps d'être sous la même domination (1).

La Savoie forme un massif rattaché à la crête

de la Savoie. des Hautes-Alpes, depuis les montagnes de Bardonache, situées au-dessus de Briançon, jusqu'au Mont-Blanc; elle ne communique avec le Pié

(1) Enclavés en quelque sorte dans les frontières de France, les Savoisiens viennent en grand nombre y chercher, à force de travail, une existence que leurs vallées populeuses et peu productives ne leur assurent pas toujours.

mont que par les routes du Mont-Cenis et du petit Saint-Bernard, alors impraticable dans la moitié de l'année; ou par quelques mauvais cols plus difficiles encore, et fréquentés seulement par des muletiers. Cette province est en outre partagée par trois chaînes secondaires fort élevées, qui dessinent pour ainsi dire les quatre vallées parallèles de l'Arve, des Bauges, de l'Isère et de l'Arc. La première, ou le Faucigny, part du MontBlanc près de Chamouny, et débouche sur Genève; elle est séparée des autres par des montagnes impraticables, où il ne se trouve que quelques sentiers. La Maurienne, ou vallée de l'Arc, se réunit entre Conflans et Montmélian à celle de l'Isère, qui forme la Tarentaise: au-dessous de cette dernière ville elle se bifourche, et va à Chambéry et Genève d'un côté, et au Fort-Barraux et Grenoble de l'autre; on voit donc que le point stratégique de tout le duché est dans la position centrale de Montmélian.

des Sardes.

Un corps de 8 à 10 mille Piémontais, aux or- Positions dres du général Lazary, occupait la province; mais il se trouvait dispersé en cordon sur toutes les issues de ces vallées; leur premier détachement à droite couvrait Annecy et Rumilly du côté de Seyssel; un autre gardait Chambéry par la route des Echelles; un troisième couvrait Montmélian, gardant des redoutes à Champarillan, aux Marches et à Notre-Dame de Mians,

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