Page images
PDF
EPUB

décisif d'un théâtre de guerre, comme celui d'un champ de bataille, il eût été un grand capitaine. Lorsqu'il arriva à Sedan pour remplacer Lafayette, il trouva l'armée prévenue contre lui: les troupes l'accusaient hautement de la perte de leur général. Il parvint en peu de jours, à détruire ces impressions défavorables, et à rétablir l'ordre.

Toujours abusé par l'idée que le salut de la France était en Belgique, et que s'il se rendait maître de Bruxelles, tous les habitans des PaysBas se lèveraient en sa faveur, Dumouriez crut d'abord que les Prussiens seraient suffisamment arrêtés dans leur marche, par les siéges des places de la Moselle, de la Meuse et des Ardennes; et que le meilleur moyen de les décider à la retraite, était de conquérir le Brabant, pour les attirer sur la Basse-Meuse. Il avait l'intention d'y marcher, quand la nouvelle de la prompte reddition de Longwy, et de la marche des alliés sur Verdun, vint le tirer de son erreur. Il détacha aussitôt le général Galbaud avec 2 bataillons, pour se jetter dans cette place; et assembla un conseil de guerre, auquel assistèrent les généraux Dillon, Chazot, Vouillers, Miazinsky, Money, le commissaire Petiet, et l'aide-de-camp

Thouvenot.

Dumouriez, après avoir fait un tableau exact de la situation des affaires, affaiblit l'impression

fâcheuse qu'il laissait dans l'esprit des membres du conseil, en donnant à entendre que l'immense cavalerie des alliés, leur nombreuse artillerie, et surtout la suite fastueuse des émigrés, devaient embarrasser leur marche dans un pays aussi difficile, par un temps affreux. Il termina, en déclarant qu'on ne pouvait rester inactif au camp de Sedan; et qu'il fallait prendre un parti décisif.

de

Cette démarche avait pour but de sonder les généraux les uns furent d'avis de se retirer derrière la Marne, pour y attendre les renforts qui avaient été retenus dans l'intérieur, de peur grossir l'armée de Lafayette, et qui forçaient de marche depuis que ce général l'avait quittée. Les autres inclinaient pour une diversion dans la Flandre et, malgré ce que Dumouriez et tous les auteurs contemporains en ont dit, on assure que lui-même penchait pour cet avis, lorsqu'un courrier du conseil exécutif lui apporta l'ordre de s'établir dans l'Argonne, où il devait être joint par Kellermann.

Entraîné par les assertions de ce général, nous lui avons décerné une couronne civique, pour cette résolution qui sauva la France; mais la déposition d'un témoin oculaire, digne de foi, et l'ordre que Kellermann reçut à la même époque de marcher avec les troupes disponibles de Metz sur l'Argonne, portent à croire que la concentration des deux armées sur ce point, émana du

conseil exécutif (1). Quoi qu'il en soit, il était évident qu'une retraite derrière la Marne, dans l'état de découragement et de dispersion où se trouvait l'armée, aurait eu les conséquences les plus funestes. Elle eût livré sans combat, aux ennemis, les contrées fertiles des trois évêchés, la Lorraine, et toute la Champagne jusqu'à Châlons; tandis qu'en le prévenant dans l'Argonne, on lui disputait ce terrain difficile, jusqu'à l'arrivée des renforts, et on le resserrait dans un pays aride où il manquait de tout.

La forêt d'Argoune s'étend depuis Passavant, à une lieue au-delà de Sainte-Menehould, jusqu'auprès de Sedan; ce qui forme un développement de treize lieues. Cette forêt se lie ensuite à d'autres parties de bois moins considérables, qui se prolongent dans la direction de Bar-le-Duc. Elle sépare les belles contrées nommées les TroisEvêchés, d'avec la Champagne pouilleuse; pays aride, dont le sol crayeux n'offre ni prairies, ni arbres, ni eaux; et où l'on ne rencontre de loin

(1) Nous ne voulons rien diminuer de la gloire de Dumouriez, on verra plus loin que sa contenance à Grand-Pré et à Sainte-Menehould sauva tout. Mais le mérite de la marche dans l'Argonne lui est contesté; quoique dans ses lettres au ministre Servan, et dans ses mémoires, il s'en attribue toute la gloire, des témoins la revendiquent en faveur du gouvernement.

1

en loin, que de chétifs villages. Les bords de la forêt sont riches en pâturages, et assez peuplés : elle est coupée par des hauteurs, des ruisseaux, des étangs et des marais qui la rendent impraticable partout ailleurs que dans cinq passages.

Le débouché de Chêne-Populeux est le plus ouvert il y passe un chemin, qui mène de Sedan à Rethel. Celui de la Croix-aux-Bois, est à deux lieues du premier, et forme un chemin de charrettes, qui communique de Briquenay à Vouziers. Le troisième est Grandpré, par où passe la route de Stenay à Reims. A deux lieues et demie de là, se trouve celui de la Chalade, qui conduit de Varennes à Sainte-Menehould. Le cinquième, à une lieue et demie plus loin, forme un long défilé, et se nomme les Islettes: il est traversé par la grande route, qui conduit de Verdun à Paris (1).

Le salut de la France dépendait donc de cette position: puisqu'en gagnant assez de temps pour s'y renforcer et la défendre jusqu'à la fin du

(1) Voyez pour ces positions et pour toutes celles de l'invasion, la carte de Cassini. Je n'ai pu, sans étendre trop mon atlas, donner toutes les cartes nécessaires. Ceux qui veulent lire l'histoire militaire avec fruit, doivent avoir les cartes spéciales du pays où les. opérations ont eu lieu; car il est impossible de joindre à un ouvrage, de la nature du mien, la topographie de tous les théâtres de la guerre.

mois, on contraignait les Prussiens à prendre leurs quartiers d'hiver hors du territoire francais.

gonne, et s'y

La marche sur Grandpré étant résolue, il fal- Les Français préviennent lait encore chercher les moyens d'atteindre ce les alliés point avant l'ennemi. La chose ne paraissait dans l'Arpas facile Clairfayt n'était qu'à six lieues de concentrent. Grandpré; et Dumouriez en avait douze à faire, en passant par Busancy: Dillon occupait Mouzon, à dix lieues de la Chalade et des Islettes, dont l'armée ennemie n'était éloignée que de six lieues.

Deux routes conduisent de Sedan à Grandpré. La première passe par Chêne-Populeux, et longe la forêt, à l'ouest : elle est la plus sûre, mais la plus longue, et aurait donné le temps à l'ennemi de prévenir Dumouriez, dans les positions qu'il voulait occuper. La seconde est la plus courte : mais elle passe entre la forêt et la Meuse, non loin de Stenay et de la position de Clairfayt, qui aurait eu le temps d'arriver le premier à Grandpré.

Le général français résolut de prendre la dernière, et de manoeuvrer de manière à éloigner Clairfayt. Il fit, en conséquence, partir le général Dillon avec une forte division, pour attaquer vigoureusement l'avant-garde des Autrichiens, et l'obliger à repasser la Meuse. Ce mouvement ayant été exécuté le 31 août, le général Dillon

« PreviousContinue »